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Plafond de mère : le burn-out des mamans actives
©Pixabay

Bonnes feuilles

Peut-être encore plus pernicieux que le plafond de verre, le "plafond de mère" - expression inventée par les auteurs - empêche nombre de femmes à la fois actives et mères de famille de progresser dans leur carrière et/ou leur entreprise. Or plus de 70% des mères d'un ou deux enfants sont en activité en France. Extrait de "Plafond de mère", de Marlène Schiappa et Cédric Bruguière, publié chez 2015 (2/2).

Marlène  Schiappa

Marlène Schiappa

Fondatrice du blog Maman travaille, Marlène Schiappa milite auprès des pouvoirs publics pour améliorer l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Elle a publié plusieurs ouvrages, dont les best-seller Les 200 astuces de Maman travaille et Pas plus de quatre heures de sommeil. Mère de deux enfants, elle est adjointe au maire du Mans.

 

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Cédric  Bruguière

Cédric Bruguière

Cédric Bruguière est manager de carrières dans une grande entreprise française. Spécialiste du développement des compétences, il a publié de nombreuses fiches conseils et chroniques pour des ouvrages et médias spécialisés.

 

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Le sentiment d’appartenance

Les nouvelles méthodes de management, basées sur la pression permanente, gagnent du terrain, comme le note le psychologue Jérôme Vermeulen sur le site LePsychologue.be : « À côté du harcèlement moral existe un phénomène apparemment très proche, mais qui n’en est pas : ce que j’appellerais ici le management immoral. Je le nommerais d’autant plus volontiers ainsi qu’il se base sur des techniques de manipulation et de pression mises en évidence et étudiées depuis longtemps par les psychologues. » Même dans le cas où le management se base sur des méthodes « morales », pour reprendre ce terme, la situation économique actuelle entraîne les employeurs à attendre une rentabilité exponentielle de leurs salariés. On appelle ce phénomène le « mobbing »1.

Dans Travail au bord de la crise de nerfs (Flammarion, 2010), coécrit avec Jean-Bernard Senon, Anne Hidalgo, alors première adjointe à la Mairie de Paris, livrait cette analyse : « On retourne de plus en plus au paiement au résultat, avec [le] développement de l’auto-entreprenariat. Notre droit est devenu, au fil des ans, de plus en plus permissif (…) L’une des avancées majeures du salariat est d’avoir permis, grâce à un contrat de travail, une identification collective simple des travailleurs (…) en tant que membre d’un groupe, d’un atelier, d’un service identifié. Or aujourd’hui, tout est mis en place pour instaurer des relations individuelles. Avec une partie du salaire distribué en primes, ce qui fait jouer la concurrence entre tous, on fait éclater le sentiment d’appartenance à un collectif solidaire. »

>>>>>>>>>>>>>> A lire également : Plafond de mère : la procréation, encore un facteur d’exclusion des femmes du marché du travail

Ce sentiment d’appartenance est pourtant décrit depuis la pyramide de Maslow comme l’un des besoins fondamentaux de l’être humain. Pour rappel, ces besoins sont, par ordre d’importance :

• les besoins physiologiques (manger, dormir, respirer) ;

• le besoin de sécurité (garantie de ne pas être frappé, volé, absence relative de crainte du lendemain) ;

• le besoin d’appartenance (besoin d’identification dans un groupe de pairs) ;

• le besoin d’estime (besoin de reconnaissance, notamment de son travail) ;

• le besoin de s’accomplir, de se réaliser.

Avec ces nouveaux modèles de travail, non seulement le besoin n° 3 (l’appartenance) est remis en question, mais le besoin de sécurité financière n’est pas assuré.

Sortir du salariat, et donc du management, ne protège par conséquent pas du burn-out, loin de là. Les conséquences du burn-out professionnel sur la vie familiale sont nombreuses et agissent comme un cercle vicieux : « L’épuisement peut produire un énorme impact sur la vie de famille et je vois beaucoup d’enfants en consultation dont les parents sont stressés, insomniaques », note le Dr Yves Gunder.

La psychologue Maryse Vaillant conseillait aux parents (dans un article du magazine Psychologies « Trop d’enfants chez le psy ? ») de consulter d’abord pour eux : « Avec des parents en épuisement professionnel, les enfants peuvent devenir eux-mêmes à la dérive sur le plan scolaire, voire dépressif, anxieux, hyperagités. C’est une catastrophe que constatent aussi bien les écoles que les crèches, mais en tant que parents, on n’a pas le temps d’écouter ce qu’elles nous disent. Il y a un réel risque social qui peut générer de l’absentéisme, des accidents, des problèmes d’éducation de l’enfant non soutenu par ses parents et qui peuvent dévier vers des problèmes de tabac ou de drogue. » Pour elle, c’est même une question de santé publique : « C’est un indicateur important dans l’entreprise, car d’un côté il y a moins de sport et de l’autre une prise de toxiques plus importante : tabagisme, consommation de café qui explose ou de drogue comme la cocaïne pour tenir ou la prescription de psychotropes : antidépresseurs, anxiolytiques, somnifères et autres qui ont connu une forte explosion. C’est inquiétant qu’ils aient recours à des béquilles pharmacologiques parce qu’il y a après des accidents liés à la prise de psychotropes. »

De surcroît, les femmes appréhenderaient le stress différemment des hommes. Ainsi, selon le Dr Gunder, « aux hommes on dit il faut résister, c’est leur force, leur virilité qui sont mises en avant, mais notamment dans le milieu du bâtiment, on leur dit “tu ne dois pas avoir peur, souffrir ou avoir mal”. Les hommes se confient donc beaucoup moins, ils gardent tout pour eux et cela se manifeste parfois sous forme psychosomatique comme des pathologies de cirrhose ou cardiaque avec de l’hypertension… D’un point de vue quantitatif, je pense que les femmes trinquent beaucoup plus que les hommes, mais heureusement, en parlent plus, donc sont capables d’avoir une vraie logique de prévention, contrairement aux hommes ».

Communication et sentiment d’échec

Paradoxalement, les salariées d’entreprises engagées sur le thème de la conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée éprouvent parfois un sentiment d’échec plus fort. Ainsi Claire, ingénieur informatique dans une société de conseil, mère de deux enfants : « En façade, mon entreprise agit beaucoup, elle est de tous les colloques sur la parentalité. Dans les faits, c’est difficile pour elle de mener une vraie politique managériale en faveur des salariés parents et pour cause : le fonctionnement est la délégation de personnel en clientèle. »

Dans ce cas, l’employeur n’agit pas sur le management de proximité, qui est en réalité exercé par un client extérieur à l’entreprise. Le sentiment d’échec peut alors se révéler plus flagrant : la salariée éprouve le sentiment que ce n’est plus un problème systémique (puisque son employeur est perçu à l’extérieur comme agissant pour l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale), mais bien individuel, qui agit donc sur son estime de soi et son sentiment d’échec.

En théorie, si les hommes peuvent absorber leur stress professionnel en se détendant pendant leur temps personnel, les femmes souffrent aussi du poids de la fameuse « charge mentale » et ne bénéficient donc pas de soupape de décompression. Dans une interview au magazine Capital, le patron d’une grande multinationale américaine expliquait ainsi trouver le temps de pratiquer de nombreux sports (golf, course à pied – cinq fois par semaine, etc.) tout en n’ayant pas moins de sept enfants. Il serait intéressant de savoir combien de sports la mère de ses sept enfants a le temps de pratiquer pendant que lui-même mène une carrière riche tout en ayant des activités extraprofessionnelles assidues.

Le monde du travail se trouve souvent au noeud du problème de la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale. Parmi les freins dont il est responsable, on peut noter :

• les horaires à rallonge et le présentéisme à outrance ;

• le refus des pratiques innovantes ;

• le stress et la pression exercée sur les salariés de tous niveaux ;

• la précarisation du travail ;

• l’avènement d’un système basé sur la « flexisécurité » que des syndicats surnomment « maxiprécarité » ;

• une crise de la valeur travail ;

• et une crise tout court qui gèle parfois les recrutements et donc les carrières et incite les salariés à travailler sous tension et à se mettre en concurrence les uns avec les autres.

Paradoxalement, les campagnes de communication RH sur l’égalité entre les hommes et les femmes sont parfois à l’origine d’une défiance de « l’homme blanc » se sentant absent et exclu, n’entrant ni dans les quotas diversité, ni dans les quotas de parité. Les campagnes trop agressives ou mal conçues induisent donc un sentiment de défiance renforcé.

Extrait de "Plafond de mère - Comment la maternité freine la carrière des femmes", de Marlène Schiappa et Cédric Bruguière, publié chez Eyrolles, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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