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Sardar Ahmad, journaliste de l’AFP au bureau de Kaboul, a été tué en mars 2014, ainsi que sa femme et deux de ses enfants dans l’attentat contre l’hôtel Serena, dans la capitale afghane.
Sardar Ahmad, journaliste de l’AFP au bureau de Kaboul, a été tué en mars 2014, ainsi que sa femme et deux de ses enfants dans l’attentat contre l’hôtel Serena, dans la capitale afghane.
©WAKIL KOHSAR / AFP

Bonnes feuilles

Emmanuel Razavi publie « Grands reporters : confessions au cœur des conflits » chez Bold éditions. Reporters, écrivains, photojournalistes ou cameramen, ils couvrent les conflits de notre temps. Certains travaillent en tant qu'envoyés spéciaux des grandes rédactions françaises. D'autres sont correspondants permanents de plusieurs médias dans des pays parfois dangereux, souvent difficiles. Depuis le 11 septembre 2001, ils ont vu le monde basculer, leur métier se transformer, les groupes terroristes les prendre pour cibles. Extrait 2/2.

Emmanuel Razavi

Emmanuel Razavi est Grand reporter, spécialiste du Moyen-Orient. Diplômé de sciences Politiques, il collabore avec les rédactions de Paris Match, Politique Internationale, Le Spectacle du Monde, Franc-Tireur et a réalisé plusieurs Grands reportages et documentaires d’actualités pour Arte, France 3, M6, Planète...  Il a notamment vécu et travaillé en tant que journaliste en Afghanistan, dans le Golfe persique, en Espagne …

Il s’est fait remarquer pour ses grands reportages sur les Talibans (Paris Match), les Jihadistes d’Al Qaida (M6), l’organisation égyptienne des Frères Musulmans (Le Figaro Magazine, Arte).

Depuis le mois de septembre 2022, il a réalisé plusieurs reportages sur la vague de contestation qui traverse l’Iran. Il est notamment l'auteur d'un scoop sur l’or caché des Gardiens de la révolution publié par Paris Match, ainsi que d’un grand reportage sur les Kurdes Iraniennes qui font la guerre aux Mollahs, également publié Paris Match. Auteur de plusieurs documentaires et livres sur le Moyen-Orient, il a publié le 15 juin 2023 un nouveau roman avec Chems Akrouf, « Les coalitions de l’ombre » (éditions Sixièmes), qui traite de la guerre secrète menée par le Corps des Gardiens de la Révolution contre les grandes démocraties. Il aussi publié en 2023 « les guerriers oubliés, histoire des Indiens dans l’armée américaine » (L’Artilleur).

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Le monde de la photographie a aussi ses grands reporters. En France, ils comptent parmi les meilleurs du monde. Durant près de quarante ans, notre pays fut le berceau des trois plus grandes agences de presse photojournalistiques de la planète : Gamma, Sipa et Sygma, qui ont permis de faire rayonner le travail de photoreporters exceptionnels.

« Une photo, c’est d’abord une histoire »

Ces professionnels de l’image sont, bien sûr, nombreux, et tous les citer tient de la gageure. J’ai donc fait le choix de parler de ceux que j’ai connus personnellement et dont les images, pour certaines d’entre elles, font partie intégrante du patrimoine photojournalistique mondial.

Ils s’appellent Jean-Claude Francolon, Alain Buu, Élisa Haberer, Sarah Caron, Alain Mingam, Antoine Gyori, Nadav Neuhaus, Noël Quidu, Patrick Chauvel, Alfred Yacobzadeh, Patrick Robert, Marc Charuel ou Frédéric Lafargue. J’ai eu la chance d’accompagner certains d’entre eux sur différents théâtres d’opérations, d’en croiser d’autres autour d’un verre de thé dans une tchairana de Kaboul, dans un bar mal famé du Caire ou, tout simplement, à l’occasion du prix des correspondants de guerre, grand-messe qui réunit, chaque année, la fine fleur du grand reportage international à Bayeux. J’ai appris à leur contact que cette profession de reporter photographe était celle dont les membres prenaient le plus de risques sur le terrain, connaissant, de fait, le plus grand nombre de blessés et de tués.

Le lecteur doit avant tout savoir qu’être grand reporter photographe, c’est appartenir à une sorte de fraternité. Il doit surtout comprendre que ces femmes et ces hommes ne sont pas que des techniciens de l’image. Ce sont des journalistes à part entière, dotés d’un sens du récit iconographique hors du commun. Chaque image qu’ils ramènent du terrain raconte une histoire, un moment particulier. Car un reportage photo, c’est d’abord de l’enquête, la compréhension d’un environnement, ce qui nécessite beaucoup de préparation en amont. Combien de mes camarades photographes ai-je vus partir en reportage, emportant avec eux des dossiers aussi épais que les miens sur le sujet que nous allions traiter.

Certains, comme Marc Charuel ou Patrick Chauvel, n’ont cessé, tout au long de leur vie professionnelle, d’alterner le travail d’écrivain avec celui de photographe de guerre, chacune de leurs activités nourrissant l’autre intellectuellement. Le premier, immense photographe de guerre qui a passé une partie de sa vie à parcourir les territoires mystérieux de l’Asie du Sud-Est, a écrit des romans magnifiques inspirés de ses expériences de jeune reporter. Ses photographies, qui mêlent souvent une absolue violence à des portraits d’une beauté ahurissante, se « lisent » comme un livre. Il en va de même du second, Chauvel, qui a passé sa vie à raconter des histoires en photographies, puis à en faire des livres, parfois proches du roman.

À croire qu’a un certain niveau, l’on ne peut aborder la photographie sans parler d’écriture. « Pour moi, un reportage photo, c’est 80  % d’écriture  », m’a confié un jour la merveilleuse Élisa Haberer, photographe française d’origine coréenne que j’avais rencontrée à l’agence Sygma au début des années 2000.

Alors que nous réalisions un reportage sur les médecins militaires français en Afghanistan pour le compte d’un grand magazine français, je pris conscience que le travail de cette passionnée d’ethnologie dont elle est d’ailleurs diplômée, s’appuyait – y compris en zone de guerre – sur une narration proche du documentaire, mettant en relief des histoires humaines qu’elle fixait à travers des portraits, immobilisant lors d’un instant une tranche de vie, voire un moment d’histoire.

«  Une photo, c’est d’abord une histoire. Ça doit raconter quelque chose », m’avait dit l’illustre Jean-Claude Francolon quelques années plus tôt, alors que nous couvrions ensemble pour Paris Match, à la fin des années 1990, un déplacement du pape Jean-Paul II en Europe de l’Est. Il savait de quoi il parlait, et pour cause : cet ancien pilier de l’agence Gamma est l’auteur de photographies devenues des objets de collection. Ainsi, celle du président cubain Fidel Castro jouant au basket lors d’un déplacement au Chili, en 1972, celle d’un père de famille vietnamien marchant à l’ombre de son parapluie, visage ravagé par les larmes, traînant sur le sable un sac de toile dans lequel se trouve le corps de sa petite fille tout juste tuée, ou encore celles de la chute de Saigon, en 1975.

Qu’il s’agisse de la guerre du Vietnam, du conflit israélo-palestinien ou de ses reportages politiques, Francolon est de ceux qui se projettent dans l’histoire des gens qu’ils photographient, parfois au prix de nombreux traumatismes psychiques. Car filmer ou photographier la guerre, ce n’est pas neutre. Voir des gens mourir sous ses yeux, figer leur dernier regard, leur geste ultime pour l’éternité sur un morceau de gélatine ou une disquette, fût-on le plus cynique des êtres, ne laisse pas indemne. « Nos photos font le tour du monde. Mais l’on porte toute notre vie en nous les drames que l’on a photographiés. Cela laisse des cicatrices que personne ne peut comprendre », m’avait-il confié un soir, la larme à l’œil, alors que nous descendions une bouteille de vodka dans une cambuse nauséabonde de Kiev, la capitale ukrainienne. À cet instant, j’avais compris à quel point cet homme que je vénérais était une âme blessée.

Alain Buu : rescapé de l’enfer des geôles irakiennes, mais prêt à repartir

Ces traumatismes vécus en première ligne, un autre photographe m’en a fait part quelques années plus tard en Afghanistan. C’était en 2004, à Kaboul, à l’occasion d’une soirée disco organisée par des confrères américains sur le toit de l’hôtel Intercontinental dévasté par les bombardements passés. La capitale afghane s’enfonçait ce soir-là dans la nuit noire, alors que résonnait le tube de Patrick Juvet I love America et que l’alcool coulait à flot. Parmi les reporters présents, les uns se déhanchaient au rythme de la musique, pendant que les autres refaisaient le monde autour d’un verre. Nous devions partir pour Paris Match au petit matin, dans le sud du pays, au cœur du territoire taliban, avec mes deux frères d’âme, les grands reporters Éric de Lavarène et Jean-Manuel Escarnot. Peu importait pour nous de passer une nuit presque blanche, notre sens de la fête étant à l’époque érigé au même niveau que notre sens du devoir journalistique.

Cette nuit-là, donc, alors que nous avions descendu bien des verres d’un mauvais whisky mélangé à toutes sortes de sodas, l’un de nos confrères vint s’assoir avec nous. Photographe de guerre, il était en Afghanistan depuis quelques semaines pour réaliser une série de clichés sur les cavaliers afghans, qui donnerait naissance quelques mois plus tard à au magnifique livre Sur les pas des Cavaliers (Éditions Galimard, 2005), avec des photographies d’Alain Buu, accompagné de textes de Joseph Kessel. Il alluma une cigarette, nous en offrit une et nous dit tout net : « les gars, vous ne devriez pas partir demain. Toi, Emmanuel, tu es père de famille. Vous allez dans un endroit dangereux. Vous risquez de vous faire tuer. Croyez-moi. Le jeu n’en vaut pas la chandelle. Je suis passé par-là, ça a bousillé une partie de ma vie. » Je m’étonnais de son avertissement, puisque lui-même se trouvait dans une zone de conflit, bravant, comme nous, le couvre-feu instauré par les autorités afghanes. Alors, il entreprit de nous raconter son histoire et, bien qu’un peu saouls, nous nous imposâmes de l’écouter. Il était notre aîné et, plus que cela à nos yeux, un ténor du reportage de guerre.

Alain Buu – c’est son nom – était arrivé en France en 1975 avec sa famille, suite à la chute du Vietnam du Sud. Marqué par la guerre de son enfance, c’est presque naturellement que cet ancien des boat people s’est engagé dans la couverture des conflits armés, après s’être destiné, un temps, à une carrière dans l’ingénierie. « Pour moi, la guerre, expliqua-t-il, c’était la bravoure et le combat contre le mal. Mais surtout, la guerre écrivait l’histoire. […] Il y a des militaires qui en ont vu bien moins que moi. »

Il nous parla de son premier conflit important, à savoir la première guerre d’Irak, en 1991, qu’il avait dû couvrir. À l’époque, il débarque en plein Kurdistan irakien, il est jeune, c’est son premier job de reporter de guerre. Sur place, il fait la rencontre de Franck Smith, un journaliste américain, et de Gad Gross, un photographe allemand. Entre Dohuk et Erbil, le reporter découvre les Kurdes et leurs traditions. « Les paysans nous logent et nous offrent généreusement à manger, bien que je ne sois pas sûr qu’ils en aient réellement les moyens. Ils sont fiers, racés ; beaucoup ressemblent plus aux Européens qu’aux Arabes. Ils sont un véritable peuple en soi. »

À Kirkuk, Alain se retrouve au quartier général des peshmergas, les combattant kurdes. Tout se déroule parfaitement bien, la guerre est proche, mais pas trop ; on entend davantage le bruit des bombardements que l’on ne voit d’engagements. Jusqu’au jour où les choses se gâtent…

Les troupes de Saddam Hussein, le président irakien, s’apprêtent à lancer l’assaut contre la ville. Des explosions retentissent alors rapidement de toutes parts. Kirkuk et sa périphérie sont bombardées. « Je découvre là mes premières scènes dramatiques de guerre. Au bord d’un cratère, une jeune fille est allongée, morte. Sa jambe droite arrachée repose à un mètre d’elle, et ses vêtements brûlent encore. »

Quand les Irakiens lancent leur offensive, c’est la débandade. «  La violence des combats nous saisit et nous transporte brutalement dans un monde d’explosions, de flammes et de destruction. Aux abords des combats, je vois des quartiers entiers de maisons s’effondrer, disparaître en poussière sous les tirs nourris des chars. » Les bombes continuent à pleuvoir, il faut se mettre à l’abri et quitter la ville à tout prix. Un chef kurde les fait monter dans une voiture. « Entourés de centaines de réfugiés et de peshmergas apeurés, nous assistons au ballet des hélicoptères qui se relaient pour balancer leurs roquettes. »

Des dizaines de véhicules sont en feu, et des corps déchiquetés jonchent le sol. « Deux femmes avec plusieurs enfants, les visages couverts de sang, pleurant et hurlant de terreur, et un homme claudiquant, car il vient de perdre une jambe, nous implorent de les emmener, mais nous sommes impuissants à les aider. » Un hélicoptère semble piquer sur eux, signe qu’il va tirer : ils sortent du véhicule ; le groupe se sépare.

Alain parvient à se cacher avec Franck Smith dans une tranchée aux abords de la route, tandis que Gad Gross et Bakhtiar, un peshmerga qui les accompagne, se réfugient dans de petits bâtiments à proximité. Cependant, Gad et Bakhtiar sont rapidement découverts par les militaires irakiens, qui les exécutent à une cinquantaine de mètres de leurs camarades, sans aucune forme de procès. Sidérés par l’horreur, Alain et son confrère, tapis dans leur trou, attendent à leur tour le moment qui leur sera fatal.

Chaque minute qui s’écoule leur semble infinie. La peur, l’envie d’uriner et le froid s’emparent d’eux. Mais impossible de faire le moindre geste, le moindre bruit sans risquer d’être repérés. « Je me persuade que je ne vais pas mourir là, maintenant, car j’ai une telle conscience de ce moment que je suis sûr de m’en souvenir toujours. » Un raisonnement par l’absurde qui est pour lui la preuve vivante qu’il va survivre.

Découverts après avoir passé dix-huit heures prostrés dans leur cratère, Alain et Franck sont arrêtés par les soldats, puis emmenés à la prison d’Abou Ghraib, devenue, depuis, la prison centrale de Bagdad. Leur enfer commence et durera plusieurs semaines, sans que personne ne sache où ils sont. Très vite s’enchaînent les séances d’interrogatoires, les menaces de torture, l’enfermement dans une cellule de deux mètres sur cinq. La peur, puis la terreur s’installent. «  Lorsqu’on a les yeux bandés, on devient totalement impuissant, et l’imaginaire devient votre pire cauchemar. Petit à petit, jour après jour, je retrouve des prières que je croyais avoir oubliées », raconte Alain.

Accusé d’être un espion français soutenant la révolte kurde, le reporter parvient cependant à convaincre ses geôliers qu’il n’en est rien. Avec son confrère, ils s’accordent sur la version des faits à donner aux militaires durant les interrogatoires, afin d’avoir une chance de s’en sortir. Les jours passent, mais ils n’entraperçoivent pas le moindre signe d’ouverture. Au contraire, les irakiens se montrent de plus en plus menaçants. Presque chaque jour, ils entendent les hurlements de prisonniers que l’on torture. Dans la cour de la prison, des malheureux sont contraints d’imiter le chant du coq pendant des heures, jusqu’à ce qu’ils réussissent à réveiller un vrai coq, dans les environs, qui va leur répondre.

Pour mettre un terme à son cauchemar, Alain pense alors à s’exploser la tête contre le mur de sa cellule. « Redoutant la torture, je suis déterminé à me suicider. » Subitement, sans que Franck et lui ne s’y attendent, leur situation évolue. Un jour, ils sont conduits dans une cellule plongée dans l’obscurité. « J’ai commencé à perdre la notion du temps. Je crois que nous sommes restés trois jours dans le noir. » Puis un soir, un homme ouvre la porte de leur cellule : « Monsieur Alain, Monsieur Frank, vous êtes libres. Vous avez été graciés par notre Président Saddam Hussein. »

Leur calvaire s’arrête ainsi, tout net.

Les deux reporters prennent alors la route de Bagdad, direction l’hôtel Al Rashid, repère des journalistes étrangers dans la capitale. Après l’effervescence des retrouvailles avec ses confrères et le soulagement, Alain se retrouve seul dans sa chambre. Il se souvient : « Là, je pleure. Non pas à cause de ce que je viens de vivre, ni par joie d’être relâché. Je pleure, parce que je ne serai plus jamais comme avant. J’ai perdu mon innocence et je vais peut-être devenir fou ou déséquilibré, parce qu’on ne peut pas sortir indemne de ce que je viens de traverser. »

Depuis, Alain Buu s’est juré de ne plus jamais faire de reportage de guerre, mais le temps efface les promesses, et l’appel de l’aventure est plus fort que tout. « Il faut être assez égoïste pour faire ce métier. Quand je suis sur le terrain, je ne pense qu’à la mission que je dois réaliser et je pense peu à ma famille. […] De toutes façons, les grands reporters sont une deuxième famille. Dans les moments difficiles, votre meilleur ami, c’est celui qui est avec vous. Et puis, qui mieux que vos compagnons de reportage peuvent comprendre ce que vous vivez ? »

Au cours de cet apprentissage particulièrement douloureux, Alain Buu a laissé une partie de lui. « Mais, nous a-t-il dit ce soir-là à Kaboul, la larme à l’œil et la voix pleine de douceur, tirant de longues bouffés sur ses Rothmans, cela m’a aussi appris des choses. Je sais maintenant prendre le temps de regarder ce qui est beau. Que ce soit un arbre ou une fleur, une chose simple me rend heureux. »

Le témoignage d’Alain m’a marqué. À vie. Nous avons eu l’occasion de travailler ensemble par la suite et de passer simplement du temps tous les deux à deviser, à Paris et à Barcelone. Nous nous sommes aussi croisés lors de la révolution égyptienne, logeant avec d’autres camarades dans un hôtel qui était régulièrement assailli par les manifestants.

J’ai toujours aimé me retrouver avec lui. Même dans les moments de tension, il cultive un humour décalé. Depuis cette fameuse soirée à Kaboul, je l’ai toujours considéré comme un brin philosophe. Peut-être à cause de ce qu’il m’a transmis. C’est étrange, mais quinze ans plus tard, alors que je préparais ce livre et lui reparlais de l’Afghanistan, lui ne se souvenait presque plus de cet échange que nous avions eu sur le toit de l’Intercontinental. Il m’a juste dit, pudiquement : « c’est vrai qu’on a beaucoup parlé. »

Comme Alain, j’ai aussi vécu les affres de la guerre. J’ai également connu la peur, celle qui vous dévore le ventre de l’intérieur. Mais comme lui, cela ne n’a jamais empêché de faire mon job. Il y a, en effet, un temps pour les confidences et les retours d’expérience, et un temps pour l’action. Si l’on pense différemment, alors, il faut abandonner.

Quelques heures après ses confidences, je prenais donc la route avec mes compagnons pour le territoire taliban où nous faillîmes rester les otages d’une bande guérilleros islamistes, l’un de leurs chefs, un dénommé Sal Jan, qui se déplaçait avec une kalachnikov en bandoulière, croyant obtenir une rançon en nous gardant auprès de lui… D’âpres négociations nous permirent de le convaincre qu’il faisait une erreur et de nous en sortir. Mais étrangement, alors que nous marchandions notre liberté avec ce salopard, pas un instant je n’ai pensé à ce que nous avait dit Alain la veille. Je me suis juste dit : si on s’en sort, je me mets à la guitare en rentrant en France (ce que j’ai fait, car j’en avais toujours rêvé). On se raccroche parfois à des choses surprenantes. Allez savoir pourquoi !

Photographes : des cibles privilégiées

La vie des photographes de guerre est dédiée autant à la quête de la vérité qu’à l’aventure. Ils ont toutefois conscience qu’une image peut amener la preuve qu’un évènement a eu lieu, alors qu’une description écrite, même faite par le meilleur des reporters, n’amène, au mieux, qu’un témoignage. Raison pour laquelle, sans doute, les photographes sont les cibles privilégiées de ceux qui ne veulent pas qu’on rende compte de leurs méfaits. Après tout, ne dit-on pas qu’une image vaut dix mille mots ?

A lire aussi : Grands reporters et envoyés spéciaux : le sens de l’engagement

Extrait du livre d’Emmanuel Razavi, « Grands reporters : confessions au cœur des conflits », publié chez Bold éditions

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