Philippe Marini : “Le Sénat ne peut pas être un conservatoire d’une France qui n’existe plus”<!-- --> | Atlantico.fr
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Philippe Marini
Philippe Marini
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Un petit lifting ?

Pour Philippe Marini, sénateur UMP de l'Oise, la deuxième tentative sera-t-elle la bonne ? Convaincu que le Sénat repassera à Droite à l'occasion du renouvellement de dimanche prochain, l'actuel président de la Commission des Finances du Sénat se verrait bien présider la Chambre Haute. Son programme est ambitieux puisqu'il veut faire du Sénat un des lieux de réflexion pour la préparation de l'alternance de 2017, qu'il verrait incarnée par Nicolas Sarkozy. Ne craignant pas la controverse, il propose de construire la réforme territoriale autour du département, " l'armature de la République", et non de la région.

Philippe  Marini

Philippe Marini

Philippe Marini est Rapporteur général (UMP) de la Commission des finances du Sénat.

 

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Anita Hausser

Anita Hausser

Anita Hausser, journaliste, est éditorialiste à Atlantico, et offre à ses lecteurs un décryptage des coulisses de la politique française et internationale. Elle a notamment publié Sarkozy, itinéraire d'une ambition (Editions l'Archipel, 2003). Elle a également réalisé les documentaires Femme députée, un homme comme les autres ? (2014) et Bruno Le Maire, l'Affranchi (2015). 

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Anita Hausser : En 2008, votre candidature s'est  soldée par un échec face à vos concurrents qui étaient déjà Gérard Larcher et Jean-Pierre Raffarin. Pourquoi une nouvelle tentative cette année?         

Philippe Marini : La situation politique de 2014 est totalement  différente de celle de 2008. En 2008 l'UMP était au service du président de la République, alors  en début de cycle. En 2008 nous avions un Sénat normal qui avait élu  un président qui était susceptible de lui ressembler. L'UMP d'aujourd'hui, avec ses oppositions de personnes et ses chapelles est à reconstruire. Le Sénat peut y contribuer sur le fond par ses propositions. Mais il doit le faire en toute indépendance. Le Sénat a besoin d'exister par lui-même, il  a besoin de s'affirmer, de se  réformer, et de remettre en cause ses habitudes. Sinon, beaucoup de sénateurs en ont conscience, demain ou après-demain il sera menacé dans ses  pouvoirs et même dans son existence. D'où la nécessité  d' une ligne politique cohérente pour préparer l'alternance de 2017 .  

>>>> Gérard Larcher, candidat à la présidence du Sénat : "Il y a une radicalisation dans les territoires, une forme de désespoir qui se transforme en colère, et c'est assez inquiétant"

>>>> Jean-Pierre Raffarin, candidat à la présidence du Sénat : "Chez les élus, la grogne s'est transformée en colère !"

Dans ce contexte, le retour de Nicolas Sarkozy vous réjouit-il?

Cette initiative, je l'attendais depuis des mois. Aujourd'hui  son annonce clarifie beaucoup la situation politique et elle va faciliter la reconstruction de l'opposition . Il faut qu'il invente un nouveau mouvement, une nouvelle crédibilité, de nouveaux  objectifs. J'ai la conviction qu'il peut être le moteur de la machine de la droite française.  Et c'est pour cela que je le soutiens, librement, pas par opportunisme. J'entretiens  depuis longtemps un lien amical et affectif avec lui. Je considère que sa personnalité est telle  qu'il est incontournable aujourd'hui. Mais ce que j'ai, je l'ai eu avant lui. Je ne lui dois rien et  je ne fais pas un rétablissement pour me placer dans son sillage

Pour en revenir à votre candidature, l'indépendance du Sénat, n'est-ce pas le credo de tous les candidats de droite ?

Non ! Si vous comparez  les projets des trois candidats UMP,  je suis le seul à avoir articulé des propositions très concrètes susceptibles de se mettre en place dès le 1er octobre, afin de transformer l'image et la réalité du Sénat , et pendant une première période de 18 mois, c'est-à-dire avant la campagne présidentielle .

Par exemple ?

En créant  un Comité Stratégique  avec les dirigeants de la majorité,  les présidents des commissions, et  les porte-paroles des principaux  sujets, avec le président  qui  est un primus inter pares  (un sénateur parmi les sénateurs, ndlr), afin  de  définir une ligne, les sujets à aborder  et dans quels délais  les projets sont réalisables.

Ce comité stratégique doit  associer tous les éléments actifs de la nouvelle majorité. Cela figure dans mon seul projet. Le Sénat, pour moi, doit être réformateur, le contraire d'un Sénat conservateur. Un Sénat dans l'opposition doit être un Sénat dans la  proposition ; il doit donner envie de l'avenir ; il doit  être en mesure sérieusement de prendre les sujets les uns après les autres, pas comme dans les partis politiques où l'on fait les programmes en quelques semaines ou en quelques mois .

Par ailleurs  je suis le seul à proposer  que le Sénat  prenne en quelque  sorte  le système médiatique à rebours, et aille  dans les territoires. Je propose que le président  du Sénat, accompagné des dirigeants de sa majorité, aille deux fois  par mois dans un département pour écouter, faire remonter et en  même temps pour proposer ce qui serait le fruit de nos travaux. Donc c'est une démarche construite qui s'élabore au Sénat, avec les moyens du Sénat, mais avec les territoires, et qui va représenter au terme de ces 18 mois un capital de notoriété, de conviction, un corpus politique qui doit jouer son rôle pour l'alternance. Car la préparation de l'alternance, cela ne se passe pas seulement à Paris. Le Sénat  doit parvenir à construire une cohérence !

Comment cette démarche pourra-t-elle s'intégrer dans la réforme territoriale, qui, elle est en cours ?

Le Sénat va bientôt examiner en seconde lecture le texte qui crée des méga régions. De toutes façons la réforme territoriale  est une réforme  lourde et  longue. D'ici 2017 on commencera  seulement à la mettre en oeuvre. Mais bien des choses ne seront pas irréversibles ! Je pense, et ceci est vraiment une conviction, que la réforme  territoriale qui est indispensable, doit partir du département et non pas de la région ; je pense que  la culture politique de notre pays telle que l'avaient comprise et pratiquée François Mitterrand, comme Jacques Chirac, part véritablement du département .

Le département c'est l'armature de la République ; c'est ce qui fait que la communauté nationale est unifiée et, s'il est en effet nécessaire que nous n'ayons plus à l'avenir que deux niveaux d' élections au suffrage universel à l'échelon local, ces niveaux doivent être  la commune et le département. Je propose de diviser par deux le nombre de départements, c'est-à-dire que notre objectif soit une France à 50 départements. C'est une vraie réforme territoriale . On ne peut pas  faire la réforme  territoriale de la France  en calquant des méga régions sur un empilement de structures qui, en réalité, ne seront en rien modifiées. Ce n'est pas une réforme  territoriale,  ce n'est qu'un placage , qu' une apparence ! La région n'est qu'une super structure. On ne peut faire une réforme territoriale qu'en ayant mis en oeuvre  un processus patient et pluraliste .

C'est vous qui décrétez que le département est l'armature de la République !

Ce n'est pas moi, c'est la réalité  bicentenaire. Le Sénat, assemblée fondatrice de la République, procède des départements. Et raisonner  en termes de grands ensembles régionaux est extrêmement menaçant pour le Sénat et perçu comme tel par les sénateurs. Cela veut dire que  demain ou après demain leur circonscription ressemblera à celle dans laquelle on élit les députés européens, avec des listes à la proportionnelle. Il n'y aura plus d'élus de proximité. Je suis le seul à développer cette logique d'une France à 50 départements…

Est ce que ces idées rencontrent un écho favorable auprès de vos collègues de l'UMP?

Je suis presque surpris de constater qu'un  grand nombre de mes collègues sénateurs adhèrent à ce raisonnement ; j'ai encore pu m'en rendre compte  récemment devant une Association de Conseils Généraux à majorité de droite. Mes deux concurrents  UMP (ndlr : Gérard Larcher et Jean-Pierre Raffarin), qui font l'un et l'autre une excellente campagne - je ne suis pas là pour les critiquer - n'ont pas cette approche réformatrice  pour les territoires et pour le Sénat lui même. Jean-Pierre Raffarin  a une approche régionale mais il a infléchi son propos parce qu'il réalise que  les collègues dont il sollicite les voix, sont presque tous des départementalistes. Nous avons à prendre un cap pour notre institution ; soit il s'agit d'une aimable maison où une administration omniprésente répond toujours oui aux vieux messieurs qui viennent y passer un peu de temps , soit il s'agit d'une vraie assemblée qui  travaille, et c'est ce que je propose .

En quoi le Sénat serait-il plus utile demain qu'aujourd'hui, alors qu'on a pu constater que les choses fonctionnaient sans son apport  ?

Dans  la période qui s'achève (2011-2014), nous avions une majorité négative, une majorité des contraires ; nous avons rejeté tous les textes du champ économique, social et financier ; l'UMP et le Centre ne pouvaient pas y souscrire, le Parti  Communiste non plus, pour des raisons en général opposées ; et ils ont parfois été rejoints par  les Verts et les Radicaux .

D'où l'état d'esprit de ces collègues qui s'interrogent ; maintenant le doute est dans les esprits. Le Sénat a-t- il un avenir ? Or comme nous sommes tous attachés à cette institution et pas seulement pour des raisons utilitaires, nous pensons que la pérennité du Sénat qui est l'organe représentatif des territoires, de la diversité française, est un challenge suffisamment important pour qu'on se batte pour lui. Nous considérons que c'est un élément indissociable de la République elle-même, qui vit des moments difficiles dans un pays qui est sans doute en fin de cycle économique et peut être politique.

Qu'entendez vous par fin  de cycle économique?

Je regarde les indicateurs macroéconomiques, et je vois que le France est un pays dans l'impasse, qui a de grandes entreprises dont les succès viennent de l'extérieur, des entreprises qui peuvent avoir  des résultats brillants, mais qui le sont d'autant plus qu'ils sont de moins en moins liés à la conjoncture intérieure de la France. C'est un pays où  les prix de revient sont très élevés, qui a une aversion pour la réforme et presque une aversion pour le risque économique, ce qui pèse sur l'ambiance et qui conduit à faire partir à l'étranger beaucoup de jeunes, parmi  les mieux formés et  les plus aptes à jouer un rôle dans la vie économique. Il a des problèmes avec son identité, son devenir, ses perspectives. C'est un pays  qui peut devenir potentiellement violent si trop de désespoir s'exprime et s'il n'y a pas de capacité d'agir et pas de stratégie. En disant cela  je ne pense pas noircir les choses ; quand nous allons voir nos concitoyens, nous encaissons toutes ces réactions qui sont souvent hostiles à l'égard du système politique que nous incarnons . 

Vous présidez la Commission des Finances du Sénat. Que pensez-vous de la proposition de l'UMP de faire 100 à150 milliards d'économies ?

Je ne sais plus ce que veut dire le terme "économies",parce que, dans le cadre de la gouvernance européenne on a sophistiqué les notions ; "économies" veut dire freinage par rapport à une tendance que je calcule d 'évolution naturelle des dépenses. "Economies" ne veut plus dire économies. Dans les époques passées, quand on annonçait un programme, on faisait un tableau avec les ressources  et réductions de dépenses ou recettes nouvelles. Aujourd'hui, vous ne verrez jamais une  décision claire sur un tableau de financement clair. Ceci est propre à la méthodologie européenne ; les Etats ont accepté une contrainte mais ils se sont protégés contre cette contrainte. Et le TSCG (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, ndlr) de 2011 a créé tout  un mécanisme d'allers-retours entre les Etats et la Commission, fondé sur des notions intellectuelles complexes telles que la démocratie dans le domaine des finances publiques qui a été pour ainsi dire évacuée, rendant les conditions de l'assentiment parlementaire  inaccessibles aux non spécialistes .

En France la dette va frôler en 2015, 100% du PIB, alors que dans le PLF de 2014, l'objectif était de 92% et que dans la loi de programmation votée il y a deux ans, l'estimation pour 2015 était de 85%.  Aujourd'hui,  mes amis de l'opposition ont raison de le dire, par rapport aux objectifs affichés, il y a un décrochage quasiment sans précédent en France. L'action  doit d'abord être la réduction de la dépense publique. Les 21 milliards dont on nous parle à l'intérieur du plan de 50 milliards, nul ne peut aujourd'hui avoir  une certitude sur ce qu'ils représentent  et donc sur leur probabilité de réalisation.

Que pensez vous des initiatives de Mario Draghi?

Mario Draghi est le seul à innover et à créer une dynamique, à s'efforcer de faire bouger le système dans la limite de ses compétences. Ce n'est pas pour rien  qu'il est la seule personnalité qui figure dans ma plaquette. Il faut que le nouveau Sénat pose les vraies questions sur l'euro devant l'opinion publique. On ne peut pas en rester soit à des anathèmes soit à des fariboles ; donc le Sénat, c'est le lieu où l'on doit être capable d'assumer la problématique de l'euro, avec réalisme mais en toute liberté d'esprit.

Depuis quand faites-vous campagne pour l'élection à la présidence du Sénat ?

J'ai pris ma décision après  les municipales. Je suis très attaché à ma ville de Compiègne où je suis élu depuis 77, et  dont je suis maire depuis 27 ans. J'ai fait une campagne très approfondie, uniquement des réunions d'appartements dans tous les milieux sociaux ; et c'est ce qui m'a apporté le plus. Même si l'on se représente pour la Xe fois, si l'on ne montre pas qu'on en a vraiment envie, on ne fait pas son devoir. Et j'ai expérimenté à cette occasion  l'impact de l'erreur politique faite par le gouvernement avec le  mariage pour tous. Ceci peut expliquer l'ampleur du succès de la droite dans nos villes. Jamais le PS n'a été aussi bas et ce n'est pas seulement à cause de l'échec économique. On ne peut pas dire qu'on est pour  la diversité culturelle et ne pas admettre les façons de raisonner des  éléments qui créent cette diversité . A partir du moment où l'on absorbe, l'on intègre les populations d'origine méditerranéenne et maghrébine, la notion de famille  se renforce dans la société .Quand on intègre, on intègre tout, les schémas mentaux, tous les aspects. Ils deviennent français, ce ne sont  pas des faux Françai , comme certains le prétendent, mais ils arrivent avec leur culture, leur personnalité, leur mode de vie, même s'ils ont  fait des études supérieures et s'ils ont un niveau intellectuel très avancé. La démarche sociétale issue de l'idéologie de la gauche française a fait beaucoup  de mal à ses candidats. Je crois que le Sénat, sur les sujets relatifs à l'intégration, est une maison où l'on ose parler de ces sujets : l'Islam est-il compatible avec la démocratie ? Comment la société de la diversité  peut elle être assumée par l'identité française ? Ce sont des sujets qu'il faut traiter. Le Sénat ne peut pas être un Conservatoire d'une France  qui n'existe plus .

Avec votre candidature, vous développez des idées très novatrices pour le Sénat  qui est une maison très conservatrice. Ne craignez-vous pas d'effrayer vos "électeurs"?

J'aurai dit ce que je pense. Je suis très détendu dans cet exercice, en tous cas plus que mes deux excellents compétiteurs et amis. Ils jouent beaucoup plus que moi. Pour quelqu'un qui a été président du Sénat et qui voudrait très légitimement le redevenir, un échec, c'est douloureux ; pour quelqu'un  qui a été Premier Ministre, qui bénéficie d'une forte notoriété, c'est un enjeu très important. Mes collègues constatent que je suis le plus détendu des trois. Ils savent que je connais bien notre institution et que je respecterai sa nature profonde. Mais ils ont pu observer que je mène une vraie campagne et que mon succès ne serait pas celui d'un parcours individuel, mais un succès partagé avec chacune et chacun d'entre eux.

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