Pétrole moyen-oriental contre schiste américain : les émirs ne gagneront pas la guerre des prix <!-- --> | Atlantico.fr
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L'OPEP met la pression sur les hydrocarbures américains en maintenant une production élevée.
L'OPEP met la pression sur les hydrocarbures américains en maintenant une production élevée.
©Reuters

Bataille de barils

L'OPEP met la pression sur les hydrocarbures américains en maintenant une production élevée, ce qui entretient la tendance à la baisse des prix du baril. L'année 2015 s'annonce comme une bataille féroce entre une Amérique de plus en plus autosuffisante, et des pays producteurs de brent qui veulent garder leur position de leader.

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec est un spécialiste de l’énergie et en particulier du pétrole et professeur à l’Ecole du Pétrole et des Moteurs, où il a dirigé le Centre Economie et Gestion. 

Il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur des sujets touchant à l’économie et à la géopolitique de l’énergie et en particulier Exploitation et Gestion du Raffinage (français et anglais), Recherche et Production du Pétrole et du Gaz (français et anglais en 2011), l’Energie à Quel Prix ? (2006) et Géopolitique de l’Energie (français 2009, anglais 2011).

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Atlantico : Les pays de l'OPEP ont décidé de maintenir leur niveau de production, ce qui devrait mécaniquement maintenir le baril à un prix bas. Cette stratégie semble-t-elle la meilleure pour faire obstacle à l'ascension du pétrole de schiste américain ?

Jean-Pierre Favennec : Les coûts de production du pétrole de schistes aux Etats Unis sont assez élevés et réputés dans uns fourchette de 40 à 70 dollars par baril. Ces coûts diminuent et diminueront tout simplement du fait du progrès technique. Cependant la grande différence entre un gisement "classique" et un "gisement de pétrole de schiste" c'est que dans un gisement classique on investit plusieurs milliards de dollars pour mettre en place les installations de production mais ensuite le gisement produira pendant 15 ou 20 ans pour un coût supplémentaire faible, de quelques dollars par baril. La chute du prix du pétrole n'influera donc pas sur la production. En revanche dans le cas du pétrole de schistes, un puits ne produit que pendant un an ou deux (la production résiduelle est très faible) et il faut donc forer sans cesse. Les coûts de forage sont élevés et la production de pétrole de schistes sera plus vite affectée par la chute du prix du pétrole.

La stratégie de l'OPEP, qui est surtout celle de l'Arabie Saoudite, est de faire baisser les prix pour rendre non économique la production de pétrole de schiste (et peut être de pétrole synthétique produit au Canada à partir des sables bitumineux). Cette stratégie avait déjà été adoptée, toujours par l'Arabie Saoudite en 1986 : le prix du brut était tombé de 30 à 10 dollars en 6 mois et l'objectif était de stopper la production en Mer du Nord où les coûts de production étaient d'environ 20 dollars par baril. Mais comme ces coûts étaient surtout des coûts de plateformes qu'il fallait payer de toute façon, l'impact sur la production de la Mer du Nord avait été limité.

Compte tenu de la nature particulière de la production de pétrole de schistes soulignée ci-dessus l'effet de la baisse du prix sur la production pourrait être néanmoins plus important

La première baisse des prix ne semble pas avoir impacté la production américaine qui s'est monté, la première semaine de décembre, à 9,2 millions de barils/jour, un record depuis 1986. Comment expliquer une telle résistance ?

La production américaine n'est pas encore impactée car le prix était voisin de $80 par baril il y a quinze jours. IL faut donc attendre pour voir les évolutions. Il faut surtout s'intéresser aux nombres d'appareils de forage en opération. Un prix bas pourrait décourager les investisseurs et mettre à l'arrêt un nombre accru d'appareils.

A quel niveau de prix le pétrole "classique" produit par l'OPEP est-il indéniablement plus intéressant que les pétroles de schiste ? 

Les coûts de production dans les pays OPEP, même s'ils varient d'un pays à l'autre, restent bas de l'ordre de quelques dizaines de dollars au plus.  En revanche les pétroles de schistes seront difficilement rentables si le baril descend à, par exemple, environ 50 dollars

Quelle peut-être la conséquence pour les pays producteurs, reposant beaucoup sur la manne pétrolière, de s'abaisser à un tel niveau de prix ? Remporter la bataille ne risque-t-il pas d'avoir un coût exorbitant pour l'OPEP ?

La quasi intégralité des pays producteurs et exportateurs (pays OPEP, Russie..) dépendent très largement de leurs ventes de pétrole (et de gaz pour la Russie, l'Algérie ou le Qatar). Des pays comme le Venezuela, l'Iran (aussi frappé par des sanctions), le Nigéria (qui doit faire à de nombreuses menaces internes), la Russie (à la fois frappée par les sanctions et par la baisse du prix du pétrole)  sont directement et immédiatement touchés par la baisse du prix du brut. Les pays comme l'Arabie Saoudite, le Koweït, les Emirats Arabes Unis auront également des difficultés à boucler leur budget mais ils ont accumulé des réserves financières énormes (près de 1000 milliards de dollars pour l'Arabie Saoudite et les Emirats par exemple) et ils peuvent faire face sans trop de dommages à un prix du pétrole bas pendant plusieurs mois.

L'OPEP produit encore la majorité du pétrole exportable, a des réserves plus importantes, et peut mieux maîtriser son action sur les prix. Quels sont finalement les leviers sur lesquels les Etats-Unis peuvent jouer pour l'emporter ? Est-ce autre chose que la capacité des seuls pays de l'OPEP a supporter des prix bas sur la durée qui fera le vainqueur final ?

Tout d'abord la stratégie de l'OPEP pour l'instant est surtout celle de l'Arabie Saoudite car la plupart des autres pays de l'OPEP (sauf Qatar, Koweït et Emirats) souffrent terriblement de la baisse du prix. Cette stratégie est celle du gouvernement saoudien alors qu'il est difficile de parler de stratégie au niveau des Etats Unis. La production américaine est le fait d'une multitude de petits producteurs indépendants que le gouvernement ne peut - et ne veut - sans doute pas contrôler. Les producteurs américains vont s'adapter au prix en vigueur et réduire ou augmenter leur production en fonction du prix sur les marchés internationaux.  Rappelons d'ailleurs que la production de gaz de schistes aux Etats Unis, malgré un prix faible reste très abondante. Le rééquilibrage du marché du pétrole ne se fera peut-être pas uniquement par diminution de la production de pétrole de schistes aux Etats Unis.

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