Petites leçons Gorbatcheviennes : le PC chinois résistera-t-il à la fin de l’ère de la croissance pétaradante ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le dirigeant chinois Deng Xiaoping serre la main du secrétaire général du Parti communiste soviétique Mikhaïl Gorbatchev, le 16 mai 1989 à Pékin.
Le dirigeant chinois Deng Xiaoping serre la main du secrétaire général du Parti communiste soviétique Mikhaïl Gorbatchev, le 16 mai 1989 à Pékin.
©Catherine HENRIETTE / AFP

Indicateurs économiques

Face à son ralentissement économique, le régime chinois pourrait-il se retrouver fragilisé et menacé d’effondrement comme l’URSS a pu l’être ?

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : Les indicateurs économiques de la Chine ne sont pas brillants, en particulier le marché de l’immobilier, et les conséquences de la politique “zéro Covid” restent sévères. La Chine n’est plus dans la croissance pétaradante qui la caractérise. Quelle est l’ampleur de la situation ?

Emmanuel Lincot : La situation est grave. D’une manière significative Xi Jinping a fait récemment savoir que la politique future de la Chine se dissocierait de celle de ses prédécesseurs et de celle de Deng Xiaoping plus particulièrement. L’heure n’est plus à un enrichissement individuel mais bien à celle d’une prospérité partagée de la croissance. C’est un aveu de faiblesse. C’est le constat aussi que le Chine est de facto l’une des sociétés les plus inégalitaires au monde et que ces inégalités peuvent être source d’instabilité sur le plan politique. D’un point de vue de l’économie, tous les voyants sont au rouge. Plusieurs facteurs à cela: la pandémie a détruit des millions d’emplois, l’ascenseur social est en panne et nombre de diplômés ne trouvent plus de débouchés. Le confinement a été maintenu sur un très grand nombre de conurbations. Le ralentissement de l’activité s’en ressent. Ceci s’ajoute aux conditions climatiques exceptionnelles; la sécheresse force désormais les barrages hydroélectriques à rationner leur approvisionnement auprès des industries ou des conurbations comme Shanghai. Enfin, le délitement du marché immobilier et la crise du secteur bancaire ne peuvent en rien rassurer. Nombre de petits épargnants ont été spoliés comme dans la province du Henan. Depuis des décennies, la société chinoise est une société de défiance vis à vis du pouvoir. Mais jamais l’injustice n’y été aussi gravement ressentie.

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A quel point cela rejaillit-il sous forme de critique du régime communiste ?

Emmanuel Lincot : L’autorité du Parti communiste n’est pas remise en cause pour le moment. Mais il est probable que l’on assiste à des jacqueries cet hiver dès lors où les pénuries alimentaires vont apparaître. Le Parti sacrifiera quelques uns de ses cadres et l’attention de la propagande portera sur le rôle infaillible exercé par le Parti dans la protection de la population. Et de sa protection en particulier contre les étrangers tenus pour responsables de tous les maux qui accablent la Chine. Mais c’est prendre le risque d’admettre l’incapacité du Parti à gérer les vrais problèmes du pays. L’agressivité du gouvernement contre Taiwan et les États-Unis ne fait pas l’unanimité. Le soutien au gouvernement russe non plus. Qu’est-ce à dire ? Même reconduit dans ses fonctions à partir de l’automne, la gouvernance de Xi Jinping sera fragilisée. On en observe les premiers signes sur le plan diplomatique dans le souhait des voisins de la Chine de prendre leurs distances vis à vis de Pékin. Sans doute pas sur le plan économique car la Chine est un partenaire incontournable pour les pays de l’Asie centrale ou ceux de l’Asie du Sud-Est. En revanche, sur le plan stratégique ils manifestent pour une majorité d’entre eux le souhait de se rapprocher de Washington. La crédibilité du projet des Nouvelles Routes de la soie et leur faisabilité même pourrait être ainsi atteinte.

La mort de Mikhaïl Gorbatchev est accueillie avec tristesse en Occident. Ses profondes réformes avaient conduit à la démocratisation mais aussi à la chute de l’URSS. A quel point le régime Chinois a-t-il appris de l’expérience Gorbatchev ?

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Et si l’URSS n’était en réalité pas morte…

Emmanuel Lincot : Gorbatchev sert d’épouvantail au régime chinois. C’est le meilleur alibi justifiant l’absence de réformes de nature politique. Et les difficultés des démocraties occidentales ont conforté une majorité de Chinois comme de Russes dans cette conviction. Xi Jinping ne veut surtout pas être le Gorbatchev chinois ! Au reste, le bilan des années Gorbatchev est dans son interprétation chinoise synonyme d’échec. L’URSS a disparu, les richesses de l’espace soviétique ont connu une véritable hémorragie et le statut de puissance qu’avait Moscou a été totalement ébranlé par la suprématie américaine. Les Chinois refusent de connaître pareille issue et restent convaincus qu’il existe une voie proprement chinoise qui est celle d’un autoritarisme volontaire. Tant que la croissance est au rendez-vous, l’écrasante majorité se satisfait du système. Mais dès lors où celle-ci n’est plus au rendez-vous et que l’ouverture économique du pays, vantée durant quatre décennies, est remise en cause, les choses peuvent changer, de la contestation peut s’installer pour devenir un phénomène plus large. Encore faudrait-il une tête, un leader politique. Or, il n’y en a pas. En tout cas, nous ne le voyons pas à ce jour. S’il existe, il n’est pas dans les milieux intellectuels ; lesquels ont été mis au pas par le système. Seule l’armée pourrait apporter un véritable contre-pouvoir. Mais il est difficile  de savoir ce que pense l’armée chinoise et ses militaires.

Face à son ralentissement économique, le régime Chinois pourrait-il se retrouver malgré tout fragilisé et menacé d’effondrement comme l’URSS a pu l’être ?

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Emmanuel Lincot : Ce risque existe mais il faut toutefois en relativiser l’issue. A la différence des dernières années de l’URSS, les médias en Chine sont totalement contrôlés par le pouvoir. L’opinion chinoise peut difficilement s’informer, ce qui n’aide en rien à un changement politique de fond. D’autre part, la majorité chinoise est conservatrice et extrêmement réticente au choix d’une aventure politique. Elle se souvient chez elle du chaos de l’entre deux guerres ou de la Révolution culturelle. Elle se souvient du chaos en Russie durant les années Eltsine et cela les Chinois n’en veulent pas. Pour le moment c’est davantage un Parti Communiste débarrassé de Xi Jinping auquel les plus radicaux peuvent songer. Mais certainement pas la fin du Parti Communiste.

Le Parti communiste chinois (PCC) se réunit en congrès le 16 octobre, qui devrait permettre à Xi Jinping de briguer un troisième mandat. Peut-on assister à une surprise ?

Emmanuel Lincot : Tous les scénarios sont ouverts. Le premier - le plus probable : Xi Jinping est réélu et avec lui un renouvellement complet de l’appareil d’Etat depuis Pékin jusqu’aux provinces. Le deuxième : un attentat contre Xi Jinping est commis. Le troisième : Xi Jinping risquant d’être mis en balance au sein du Politburo se lance dans l’aventure militaire contre Taiwan et galvanise ainsi l’opinion. Le quatrième : le Politburo se déchire entre pro et anti-russes. Il évince Xi Jinping considéré comme trop proche de Vladimir Poutine. Vous aurez remarqué que dans aucun de ces scénarios les États-Unis n’agissent de quelque manière que se soit. Pour une raison simple: ils n’ont sur la Chine aucune emprise réelle sur le pays. Mais les choses pourraient là encore changer. Nous savons donc au moins une chose avec certitude, et pour nous résumer, c’est que nous ne savons rien.

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