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Petites explications pour aider à comprendre pourquoi les incohérences de la politique étrangère américaine ne sont pas forcément là où on croit
©NICHOLAS KAMM / AFP

Trump... et les autres

Les nombreux dysfonctionnements ont tendance à cacher la ligne complexe mais réel de l'équipe du président Donald Trump.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Si la précédente Administration américaine était très interventionniste, il n’en reste pas moins qu’elle paraissait relativement organisée même si le lobby militaro-industriel poussait à fond les néoconservateurs dans des politiques agressives. Le président Barack Obama parvenait tant bien que mal à mener, quand cela lui était rendu possible par le Congrès à majorité républicaine, une politique étrangère relativement de statu quo voire allant dans le sens de la réouverture du dialogue avec de vieux adversaires comme Cuba ou Téhéran. En dehors des raisons justement avancées sur l’échec qu’a connue Hillary Clinton lors de l’élection présidentielle de 2016, il y en a eu une qui a été un peu occultée : la peur de son esprit offensif allant dans la droite ligne de son profond néoconservatisme (doctrine aussi présente dans le camp démocrate). A savoir que le « bon sens populaire » allait dans « moins d’interventionnisme » à l’extérieur pour se concentrer sur la résolution des problèmes intérieurs, qu’ils soient sociaux ou sociétaux.

L’arrivée de Donald Trump au pouvoir a été un coup de tonnerre car presque aucun observateur ne l’avait vraiment prévue. Il est même possible que l’« équipe Trump » s’est aussi laissé surprendre, ce qui expliquerait nombre de dysfonctionnements lorsqu’il a fallu prendre les commandes de la première puissance mondiale.

L’ennemi russe dans le collimateur

La réaction des néoconservateurs a été immédiate et violente : tout faire pour abattre Trump et ses collaborateurs. Pour cela, ils ont avec eux la communauté du renseignement US réputée pour la modération des éclairages dont elle a toujours fait preuve en matière de situation internationale. A titre d’exemple d’efficacité, n’ayant pas assez accablé le général (er) Michael Flynn, conseiller de Trump, pour ses liens clandestins avec Moscou, les services US étudient la possibilité qu’il ait « vendu » l’extradition de Fethullah Gülen, l’ennemi juré du président Turc Recep Tayyip Erdoğan. Gülen aurait alors été transféré sur l’île prison d’Imrali où il aurait ainsi pu tenir compagnie à un autre prisonnier célèbre, Abdullah Öcalan, le chef du PKK. Cette information extrêmement douteuse est reprise en boucle par la presse américaine sans que l'en connaisse l'origine exacte.

L’occasion était trop belle pour les néoconservateurs de remettre en valeur les ennemis traditionnels des États-Unis et, en particulier, la Russie. Il a été souligné que ses services de renseignement sont omniprésents, extrêmement offensifs et d’une efficacité redoutable. Tout initié à la guerre secrète ne peut qu’être admiratif devant tant de compétences !

En premier lieu, il leur a été reproché d’avoir interféré dans l’élection américaine et, de plus, l’entourage du président élu a été accusé des pires turpitudes avec des diplomates ou « pseudos » diplomates russes. Il est certainement exact que les services de renseignement russes - comme tous ceux qui font normalement leur travail - se sont intéressés à la campagne électorale américaine. Quel pays ne tente pas de savoir ce qui se passe à la tête des dirigeants de la première puissance de la planète et des conséquences que peuvent avoir les résultats de l’élection présidentielle ? Il est vrai qu’il y a une différence entre obtenir des renseignements et intervenir directement dans une campagne électorale pour influer sur ses résultats. Il est aussi exact qu’Hillary Clinton inquiétait beaucoup le Kremlin en raison de son attitude franchement hostile. Cela dit, l’enquête sur les liens Russie-équipe de Trump est en cours et il convient d’en attendre les conclusions en espérant qu’elles seront étayées par des preuves ne ressemblant pas à des fioles d'anthrax (c/f un des prétexte ayant permis le déclenchement de l’invasion US de l’Irak en 2003).

Les Russes se seraient aussi livrés à de la désinformation via les réseaux sociaux, la chaîne de télévision RT et l’agence de presse Sputnik qui, comme chacun sait, sont très consultés et ont une grande influence aux États-Unis. A titre de sanction, la chaîne RT est désormais désignée comme « agent de l’étranger » sur le sol américain et à ce titre, devra rendre des comptes très précis aux autorités. Le président Vladimir Poutine a promis une « riposte adéquate et similaire » qui devrait pénaliser une chaîne de télévision américaine en Russie.

Mais, les services russes ne sont pas actifs qu’aux États-Unis. Des informations non vraiment sourcées (il serait de mauvais goût de penser qu’elles proviennent d’organismes américains) affirment que le vote britannique sur le Brexit a aussi été influencé par Moscou. Le candidat Emmanuel Macron aurait, en ce qui le concerne, été l’objet d’une campagne d’influence en particulier de la part de RT et de Sputnik qui auraient favorisé les thèses d’extrême droite. La chaîne RT doit d’ailleurs développer ses activités en France en 2018. Il ne fait pas l’ombre d’un doute qu’elle fera l’objet de toute l’attention de la DGSI. En Espagne, ce sont les indépendantistes catalans qui auraient été particulièrement visés par les services russes. Enfin, il est fort probable qu’ils soient intervenus en Allemagne mais cela a moins été couvert par les media d’outre-Rhin.

En fait, les sagaces enquêteurs américains sont persuadés que Moscou fait tout pour affaiblir l’Europe et son unité de manière à déstabiliser cet allié incontournable de Washington... Il n’est toutefois pas certain que cela soit dans ce sens là que cela se passe.

Après l’invasion de la Crimée par les « petits hommes verts » et les actions sécessionnistes dans l’Est de la « Démocratie » ukrainienne qui venait de renverser son président élu par une insurrection « spontanée » déclenchée à Kiev en février 2014, la paranoïa est montée d’un cran dans les Pays Baltes et en Pologne. Les dirigeants de ces États qui ont fort justement de très mauvais souvenirs de la domination soviétique craignaient que la même chose ne le leur arrive. Fort obligeamment, l’OTAN a dépêché aviation et forces terrestres pour assurer ses alliés qu’elle remplirait ses obligations (Article 5 du traité de l’Atlantique-Nord) au cas où l’ex-armée rouge déferlerait sur ces petits pays.

La surveillance en Mer noire a aussi été accrue les avions de chasse russes venant narguer par des manœuvres « non professionnelles » les navires de guerre de l’OTAN (dont des Américains qui ont montré en 2017 leur « professionnalisme » en ayant quatre accidents en Extrême-Orient) qui y effectuaient des patrouilles. Le petit jeu des provocations de vols de reconnaissance à la limite des espaces aériens respectifs a repris comme aux plus belles heures de la Guerre froide.

La Russie avec un PIB voisin de celui de l’Italie, un budget de la défense dix fois inférieur à celui des États-Unis, reste donc un des croquemitaines préféré des néoconservateurs américains qui peuvent ainsi justifier les dépenses des lobbies militaro-industriels et de la communauté du renseignement. Par contre, que de moyens militaires humains et matériels européens dépensés contre un ennemi potentiel volontairement sur-estimé par Washington. Un « désert des Tartares » moderne en quelque sorte. Le problème est que, au moins pour la France, ces moyens pourraient être consacrés à d’autres théâtres plus sensibles comme le Sahel à moins que ce soit le prix à payer pour bénéficier de l’aide américaine (indispensable étant donnés nos moyens limités) dans cette dernière région.

Proche-Orient, ça sent la poudre !

Lors de sa première visite officielle à l’étranger que le président Trump a réservé en mai 2017 à l’Arabie saoudite avant de se rendre en Israël, il a enfin fait preuve d’une certaine clarté dans sa politique étrangère : l’ennemi dans la région, c’est l’Iran. Pas tant que les mollahs souhaitent secrètement obtenir l’arme nucléaire et moderniser leur arsenal de missiles sol-sol dont ils limitent actuellement volontairement la portée à 2.000 kilomètres (ce qui couvre largement tout l’Etat hébreu mais aussi l’Arabie saoudite), mais pour leur influence expansionniste au Proche-Orient suivant ce que l’on appelle communément l’« arc chiite ». A noter que cette confrontation religieuse chiites/sunnites est exagérée. Ce dont il s’agit, c’est de la primauté de Riyad ou de Téhéran dans la zone.

Pour le régime saoudien, les choses sont relativement simples. Pour le moment, Téhéran est engagé militairement - par pasdarans et/ou hezbollahis interposés - en Irak, en Syrie et au Liban. Par ailleurs, les mollahs sont fortement soupçonnés soutenir les rebelles Houthis au Yémen, les chiites du Bahreïn (qui y sont majoritaires), le Qatar, le Hamas et Jihad islamique palestinien, ces trois derniers étant sunnites. Par ailleurs, Téhéran entretiendrait d’excellentes relations avec Ankara véritable base arrière des les Frères musulmans ce qui devrait automatiquement placer la Turquie dans le camp de l’adversaire mais ce qui n'est pas encore le cas.

A l’évidence, depuis le voyage officiel de Trump, le prince Mohammed Ben Salmane qui est maintenant en position d’occuper le trône, son roi de père étant très affaibli, se sent totalement soutenu par l’administration américaine. Il en profite à l’intérieur pour écarter tous ceux qui pouvaient lui faire de l’ombre, princes, hommes d’affaires, ministres, etc. sous l’accusation très populaire de « corruption ». Une seule concession, il accepte de « retourner à un islam modéré, tolérant et ouvert sur le monde et toutes les autres religions » ce qui, dit en passant, prouve que le wahhabisme encore en vigueur aujourd’hui et plus populaire que ce qui peut être dit ici ou là, ne répond pas à ces critères. Il faut beaucoup de courage pour affronter tant d’adversaires puissants à l’intérieur, en particulier les oulémas. Mais voulant vraiment être apte à assurer la succession de son père, Mohammed Ben Salmane est obligé d’en passer par là, au risque de sa vie.

Ses actions à l’extérieur sont plus discutables car il semble avoir été gagné par le « complexe de l’encerclement ». Beaucoup de tensions sont le résultat de ce phénomène bien connu dans l’Histoire. Dans ce cas, c’est même un paradoxe : l’Arabie a l’impression d’être encerclée par l’Iran et l’Iran par les États-Unis (ce qui n’est pas faux dans ce dernier cas lorsque l’on consulte la carte des bases US dans la région).

C’est lui qui, en tant que ministre de la défense, a engagé l’armée saoudienne en 2015 au Yémen pour contrer les Houthis qui se sont emparés de toute la partie Ouest du pays faisant peser à terme une menace sur la circulation maritime dans le détroit de Bab el Mandeb qui commande la Mer rouge et le canal de Suez. Bien qu’ayant réuni une large coalition derrière lui (Bahreïn, Jordanie, Maroc, Égypte, Koweït, Soudan) et étant approvisionné en armes et munitions par les États-Unis et la Grande Bretagne, il s’est littéralement ensablé dans une situation inextricable. Il a beau jeu de prétendre que les Iraniens sont derrière les Houthis, les missiles d’origine nord-coréenne qui sont de temps en temps envoyés en direction de Riyad sont en dotation dans la Garde républicaine yéménite qui s’est alliée aux Houthis. Par contre, il est possible que des techniciens iraniens aient participé à leur remise en état afin qu’ils soient rendus opérationnels. Il est également plus que probable que Téhéran fournit les rebelles en armes et munitions, les trafics ayant transité jusqu’à peu par Oman - route désormais théoriquement fermée - ou en utilisant des boutres rejoignant les côtes occidentales yéménites. Pour tenter de couper ces lignes d’approvisionnement, Riyad a décrété un blocus complet des ports et aéroports yéménites tenus par les rebelles au début novembre. Bien évidemment, cela n’arrange pas la famine qui ravage le pays mais quand on veut gagner la guerre…

La mise à l’index du Qatar et le blocus qui lui sont imposés mettent beaucoup de monde dans l’embarras au premier rang desquels les États-Unis. Doha accueille à al-Udeid la plus grande base militaire US de la région (il est question qu'elle déménage mais techniquement et politiquement, c'est difficile de trouver un autre point de chute)! De plus, obliger ses entrepreneurs étrangers à choisir entre le marché saoudien ou qatari les poussent à une grande perplexité. Salmane entretient plusieurs griefs importants vis-à-vis du Qatar qu’il accuse de « soutien au terrorisme ». D’abord, l'Émirat qui partage une importante réserve gazière avec l’Iran a de bonnes relations de voisinage avec Téhéran. Franchement, cela serait difficile autrement. Ensuite, le Qatar accueille les Frères musulmans bannis d’Arabie saoudite sans parler du Hamas considéré comme un allié objectif de Téhéran. Enfin le petit émirat a trop voulu jouer l’important après les printemps arabes (en Egypte, en Libye, en Tunisie, au Mali, etc.), tout cela pour le compte des Frères musulmans. C’est pour cette raison que nombre d'États se sont joints à cette diabolisation qui est une sorte de vengeance, un plat qui se mange froid.

Et maintenant, le Liban est ciblé en raison de l’accord entretenu entre le(s) pouvoir(s) et le Hezbollah, « créature » de Téhéran. Le premier ministre Saad Hariri a été convoqué à Riyad d’où il a dû présenter sa démission tout en restant un invité « obligé ». L’objectif de Salmane est qu’effrayé, Beyrouth désigne un nouveau Premier ministre sunnite qui accepte de s’opposer frontalement au Hezbollah. Il provoquerait ainsi, au minimum une déstabilisation du régime, au pire une nouvelle guerre civile ce que les Libanais ne veulent bien sûr pas.

Conclusion : Trump est en train de recomposer le Proche-Orient - comme le souhaitaient plus ou moins secrètement ses prédécesseurs - en utilisant le prince Salmane comme pièce maîtresse. Israël observe tout cela avec satisfaction car son intérêt est la diminution de l'influence de l'Iran qui "encercle" l'Etat hébreu au Liban au Nord, en Syrie au Nord-est et au Sud depuis la bande de Gaza avec le Hamas et le jihad islamique. On retrouve encore une fois là le fameux "complexe de l'encerclement".

Gesticulations militaires au large de la Corée

Depuis le 11 novembre, trois porte-avions nucléaires américains se livrent à des exercices au large de la péninsule coréenne : les USS Nimitz, Ronald Reagan et Théodore Roosevelt pouvant mettre en œuvre environ 230 avions. Les présidents Kim Jung-un  et Trump poursuivent leurs échanges d’amabilités comme deux gamins semblant insouciants du fait que tout incident peut déboucher sur un conflit majeur dans la région. On aura beau y faire, le « suprême leader » nord-coréen veut son armement nucléaire et il est sur le point de le rendre opérationnel. Son objectif n’est pas d’atomiser ses voisins mais de garantir son régime. Il ne veut pas que les mésaventures subies par Saddam Hussein et le colonel Kadhafi ne lui arrivent à lui. Si les Américains veulent le stopper, c'est maintenant. Dans quelques mois, ce sera trop tard.

La manière dont le président Trump communique inquiète car il est possible de se demander à quelle logique il obéit vraiment disant tout et son contraire. Ce n’est peut-être qu’un jeu très bien mené (mais alors très bien caché) destiné à égarer ses adversaires partant du principe que les États-Unis n’ont pas d’amis mais au mieux des partenaires. Il est vrai que le moralisme ne fait pas une politique. Il est juste dommage que ce même moralisme serve de prétexte alors qu’il s’agit uniquement d’intérêts nationaux.

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