Pestiférés : pourquoi il est si difficile d'échapper au stigma du chômage de longue durée en France (même pour les plus brillants)<!-- --> | Atlantico.fr
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Le fait d’avoir connu une longue période de chômage est interprété comme un signal négatif, tant sur les compétences professionnelles du candidat que sur sa capacité à reprendre un travail. Les employeurs ont donc tendance à les écarter a priori.
Le fait d’avoir connu une longue période de chômage est interprété comme un signal négatif, tant sur les compétences professionnelles du candidat que sur sa capacité à reprendre un travail. Les employeurs ont donc tendance à les écarter a priori.
©Reuters

Cercle vicieux

Selon une étude américaine, indépendamment des compétences et de l'expérience, la mention "chômage de longue durée" est interprétée comme un signal négatif par les employeurs et explique les difficultés d'accès à l'emploi des personnes concernées.

Henri Sterdyniak

Henri Sterdyniak

Henri Sterdyniak est économiste à l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), spécialiste de questions de politique budgétaire, sociales et des systèmes de retraite.

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Atlantico : Selon une étude menée sur le chômage de longue durée aux Etats Unis (voir ici), ce dernier aurait un effet par lui-même, et ce, indépendamment de la qualité des candidats. Ainsi, le maintien dans un chômage de longue durée ne viendrait pas du profil des personnes concernées et de leur supposée inaptitude, mais de la mention "longue durée" elle-même. Ce constat est-il également vrai en France ? A quel point le chômage de longue durée est-il un handicap dans l'accès à l'emploi ?

Henri Sterdyniak : Le chômage de longue durée frappe en France, à la mi-2016, 1 240 000 personnes, soit 4,3% de la population active. Le risque de chômage de longue durée obéit aux mêmes déterminants que le risque de chômage lui-même : il frappe principalement les salariés non-qualifiés ou non-diplômés, dans l’industrie ou la construction. Il frappe particulièrement les seniors. Il existe quatre facteurs explicatifs. Certains secteurs, certaines qualifications, certaines régions connaissent des taux de chômage important, de sorte que la probabilité de retrouver un emploi y est faible. Certains travailleurs seniors restent productifs dans leur entreprise d’origine, mais ont perdu la capacité de s’adapter à un nouveau poste de travail, de sorte qu’ils peinent à retrouver un emploi. En période de chômage de masse, les entreprises deviennent beaucoup plus sélectives à l’embauche. Comme elles ont le choix, elles recrutent des salariés sur-qualifiés ou ayant des compétences supplémentaires à celles initialement demandées. Par contre, elles peuvent éviter de recruter des personnes ayant des caractéristiques qu’elles jugent problématiques : jeunes d’origine étrangère, femmes seules avec enfants, personnes ayant dépassé un certain âge, ayant eu une maladie grave, ayant une fragilité physique ou psychologique, etc.

Le fait d’avoir connu une longue période de chômage est interprété comme un signal négatif, tant sur les compétences professionnelles du candidat que sur sa capacité à reprendre un travail. Les employeurs ont donc tendance à les écarter a priori. Ce qui induit un cercle vicieux : les personnes ayant un élément quelconque de fragilité trouvent difficilement un emploi, perdent confiance en eux ; leur capacité à travailler risque de s’éroder ; ils peuvent se désocialiser, ce qui conforte la stratégie des recruteurs de ne pas les embaucher.

Pour les chômeurs de longue durée retrouvant un emploi, leur situation antérieure a-t-elle un impact sur les conditions de leur retour à l'emploi (salaires, statut) ? Dans quelle mesure la mention "chômage de longue durée" peut-elle dévaloriser le salarié récemment recruté aux yeux de l'employeur ? En définitive, est-il possible de se débarrasser, sur son CV, sa carrière, du stigmate de chômeur de longue durée ? 

Dans un très grand nombre de cas, le chômeur de longue durée doit, pour retrouver un emploi, accepter de changer de statut, parfois de métier. Par exemple, devenir gardien au lieu d’ouvrier qualifié ; vendeuse au lieu de responsable de rayon. Sauf cas particulier, les compétences spécifiques développées dans l’ancien emploi sont perdues. Les personnes ayant un faible niveau de qualification mais ayant progressé dans la hiérarchie de leur entreprise sont les plus exposées à cette déqualification. Dans certains cas, cependant, l’épisode de chômage peut permettre d’accéder à une formation vers un nouveau métier en expansion, mais cela est très problématique, après une longue période de chômage.

Quels sont les moyens de lutter contre une telle situation, qui peut sembler discriminante, et ce, pour des raisons "tautologiques" ? 

Lutter contre le développement de telles situations passe par quatre stratégies, dont aucune n’est parfaite. Il faut d’abord inciter les entreprises à veiller à l’employabilité de leurs salariés. Les accords d’entreprises devraient mettre en place de tels dispositifs pour les salariés fragiles, de sorte qu’ils puissent rebondir après un éventuel licenciement, mais ce genre de situation est difficile à anticiper. Dans l’idéal, les licenciements devraient frapper les salariés les plus aptes à retrouver un emploi, mais c’est naturellement l’inverse qui se produit. Des stratégies de retour rapide à l’emploi devraient être mises en place dès l’inscription à Pôle Emploi, comportant les formations nécessaires, mais cela n’est guère praticable dans les périodes où le chômage augmente fortement, où il y a beaucoup de nouveaux chômeurs et peu d’emplois disponibles. Des dispositifs devraient inciter les entreprises à embaucher des chômeurs de longue durée, soit par des subventions à l’embauche, soit par des formations spécifiques d’adaptation à des emplois effectivement disponibles. Cela fait cependant courir le risque d’effets d’aubaine ou de stigmatisation des personnes ainsi embauchées. Enfin, en dernier recours, les chômeurs de longue durée pourraient bénéficier d’un droit opposable à l’emploi : chaque personne, au bout d’un an de chômage, aurait droit à un emploi dans une collectivité locale ou une association. 

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