Personne ne sait si des armes nucléaires vieilles de plusieurs décennies fonctionneraient encore<!-- --> | Atlantico.fr
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Une bombe nucléaire soviétique.
Une bombe nucléaire soviétique.
©TASS / JAPAN OUT / AFP

Risques de dérapage vers la 3e guerre mondiale ?

Depuis l’interdiction des essais nucléaires, ce sont les simulations qui permettent de tester l’efficacité des arsenaux.

André Bendjebbar

André Bendjebbar

André Bendjebbar est agrégé de l’Université, docteur en histoire et diplômé de Sciences-Po. Il est l'auteur de « L’histoire secrète de la bombe atomique française ».

 

 

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Atlantico : Alors que les armes nucléaires sont aujourd'hui testées grâce à des simulations électroniques, comment savoir si celles vieilles de plusieurs décennies fonctionnent encore ?

André Bendjebbar :Dans les archives nationales américaines, au Maryland, on trouve la mention suivante sur des documents aujourd’hui déclassés : « Only for the eyes of the president ». Dans tous les États, il y a des éléments d’informations que ne connaissent qu’une très petite poignée de personnes. Dans ces cas-là, le mot « secret » a vraiment un sens. Encore aujourd’hui, lorsqu’on autorise l’accès à des recherches, on insère au beau milieu des dossiers un « fantôme ». Le fantôme cache encore la connaissance de certaines questions sensibles, en particulier les connaissances liées au savoir scientifique et technologique. De plus, si un chercheur s’engage dans une mission de recherche sur des documents classés ou anciennement classés, vous avez des obligations déontologiques, professionnelles et morales. En quelque sorte, vous êtes tenus de garder en partie le silence sur certaines informations sensibles. Mais pour répondre à votre question, autant que je sache, les bombes françaises sont constamment surveillées et remises à jour. À la fin des années Chirac, nous avions environ 600 têtes nucléaires. Aujourd’hui, nous en avons 290 environ. Certaines sont opérationnelles immédiatement, alors que d’autres peuvent l’être à court délai. Le nombre de la première et deuxième catégorie ne fait pas l’objet de communication étatique. En d’autres termes, une part non quantifiable de notre arsenal pourrait être utilisée dans l’heure, alors que d’autres têtes devraient être rendues opérationnelles dans un temps donné avant d’être utilisées.  

Comment sont vraiment testées les armes nucléaires actuellement ?

Historiquement, ce qui a fait le drame de cette arme, c’est qu’on ne pouvait prouver son existence et son efficacité qu’en l’utilisant. C’était la première fois dans l’histoire des sciences, que le laboratoire ne pouvait être un lieu d’expérimentation en réduction. Ainsi, lors du bombardement de Nagasaki, le 9 août 1945, personne ne savait si la bombe au plutonium allait vraiment exploser.Nagasaki est à la fois un drame et une expérimentation. Tous les pays qui se lancent dans la course au nucléaire doivent donc faire une expérimentation réelle, puisqu’il n’est pas possible de prouver la réalité d’une bombe en laboratoire. Or, quand on a vu les effets des radiations sur notre environnement, certains savants se sont demandés s’il n’était pas possible de concevoir et mesurer électroniquement la puissance les bombes nucléaires.  

Le Président Jacques Chirac comprit que faire des essais nucléaires en grandeur nature était une position intenable, qu’ils mettaient la France au ban des Nations. Alors apparut une alternative aussi bien politique et scientifique : faire des essais sans avoir à en faire, faire des essais par calcul, en évaluant par les ordinateurs les plus puissants des armes conçues qui existeraient sans qu’on ait à tester leur réalité. Ainsi à partir de 1996, les essais nucléaires français de tous types cessèrent d’avoir lieu. Mais avant d’arrêter les essais nucléaires, les ingénieurs de la Direction des Applications militaires testèrent six fois des essais souterrains pour valider les calculs. Les derniers essais n’ont eu pour but que de vérifier s’il était possible de connaître la puissance d’une arme nucléaire sans la faire exploser. Et à partir de janvier 1996, la technique a été mise au point. Or, il se trouve, et c’est intéressant, que de nombreux pays détenteurs de l’arme nucléaire n’ont toujours pas renoncé à procéder à des essais, tout simplement car ils ne savent pas comment calculer théoriquement la puissance des bombes conçues par calcul électronique. L’impossibilité de calcul est attestée pour la Corée du Nord, le Pakistan, l’Inde. Il est plus incertain pour les Etats-Unis qui n’ont jamais officiellement renoncé aux essais, non plus que la Chine. La Russie ne parle que d’emploi réel des armes nucléaires, et quant à Israël, détentrice d’armes nucléaires, elle nie en posséder. La France est aujourd’hui le pays le plus avancé du monde en matière de capacité de calcul numérique. En quelque sorte, la vertu scientifique tend la main à la vertu morale. Il existe deux centres de calcul voués à cet effet France : un est à Orsay en région parisienne, alors que le deuxième est au sud de Bordeaux.  

Savons-nous précisément de quoi est composé notre arsenal nucléaire ? De quand datent les différentes armes qu'on y trouve ?

Nous savons que la France dispose d’environ 290 têtes nucléaires, seules les personnes qui gèrent notre stock connaissent le nombre de têtes nucléaires avec exactitude. Il s’agit d’un secret d’État, et ce chiffre ne doit pas être connu de nos ennemis en cas de conflit. La puissance exacte de chacune de ces bombes n’est pas établie non plus, certaines peuvent avoir dix fois la puissance d’Hiroshima, alors que d’autres trente fois. La plupart de ces bombes ont été achevées en 1996, et font constamment l’objet de surveillance et vérification. Outre la puissance de feu, une bombe atomique, ce n’est pas uniquement une matière nucléaire. C’est aussi une enveloppe d’ogive qui doit être la plus fine, la plus résistante et la plus rapide possible.C’est aussi un vecteur, une fusée dont les fusées sont désormais hypersoniques. Ces technologies doivent évoluer en permanence pour rester furtives et ne pas être interceptées par l’ennemi, en cas de besoin. La quête de la performance est donc perpétuelle et ne s’arrêtera jamais.  

Il n’est donc pas possible que certaines de nos armes nucléaires ne fonctionnent pas au moment où nous pourrions en avoir besoin ?

C’est une hypothèse qu’il ne faut jamais exclure. Cependant, je suis à peu près persuadé que notre niveau de technique est si élevé que nous pouvons écarter une telle probabilité. Depuis l’aube des temps, la guerre est un jeu qui cherche à être un jeu à somme nulle, entre la défense et l’attaque. Pour délivrer une bombe atomique sur un champ de bataille ou une ville, l’objectif n’est pas si facile à atteindre. Or les défenses constituent des boucliers qu’il n’est pas aisé de franchir. D’ailleurs, si Vladimir Poutine ou Kim Jong-un décident d’utiliser l’arme nucléaire, nous nous dirigerons vers une catastrophe totale. Günther Anders, premier mari de Hannah Arendt, mais aussi philosophe, journaliste et essayiste, disait à ce sujet que nous sommes des morts en puissance. Morituri te salutant ! 

André Bendjebbar, agrégé de l’Université, docteur en histoire, diplômé de Sc-Po.

Auteur de « L’histoire secrète de la bombe atomique française » (Cherche-Midi)

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