Père Najib, de la mission dominicaine de Mossoul : "Ce que nous essayons de faire, c'est de sauver le patrimoine que Daech essaie de détruire"<!-- --> | Atlantico.fr
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Le père Najib, de la mission dominicaine de Mossoul.
Le père Najib, de la mission dominicaine de Mossoul.
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Mission de sauvetage

A l’heure où Daech se livre à une démolition culturelle méthodique de l’Irak et de la Syrie et à l’occasion de l’exposition "Mésopotamie, carrefour des cultures" qui se tient jusqu’au 24 août 2015 aux Archives Nationales, retour sur le sauvetage de 8000 manuscrits en syriaque, en araméen et en arabe faisant partie du trésor du patrimoine irakien par la mission dominicaine de Mossoul.

Père  Najib

Père Najib

Le père Najib, de la mission dominicaine de Mossoul.

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Pauline de Préval

Pauline de Préval

Pauline de Préval est journaliste et réalisatrice. Auteure en janvier 2012 de Jeanne d’Arc, la sainteté casquée, aux éditions du Seuil, elle a publié en septembre 2015 Une saison au Thoronet, carnets spirituels.

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A l’heure où Daech se livre à un nettoyage culturel méthodique de l’Irak et de la Syrie, détruisant non seulement les trésors du patrimoine pré-islamique, antique, juif et chrétien, mais aussi musulman jugé idolâtre ou hérétique, il fait bon entendre le père Najib raconter le sauvetage opéré par la mission dominicaine de Mossoul. "Le berceau de la civilisation devient aujourd’hui le berceau de la violence, dit-il d’une voix douce mais ferme. Ce que nous essayons de faire, c'est de sauver le patrimoine que Daech essaie de détruire." Et ce ne sont pas moins de 8000 manuscrits en syriaque, en araméen et en arabe : traités de droit, de médecine, de grammaire, recueils de poèmes, homélies, évangiles ou corans, que lui et son équipe sont parvenus à sauver. Une vraie épopée, mais aussi un travail de longue haleine.

Né à Mossoul dans une famille assyro-chaldéenne en 1955, Michail Najib décide à l’âge de 24 ans de prendre l’habit des frères prêcheurs. Il troque alors les forages pétroliers auxquels il se destinait pour la mise en valeur des manuscrits de la bibliothèque de son couvent. Les années passant, son activité s’étend aux églises et monastères du voisinage. La présence chrétienne en Irak remonte aux disciples de l’Apôtre Thomas. C’est dire si elle a eu le temps de fertiliser les terres du Tigre et de l’Euphrate. L’archéologie, l’apprentissage des langues orientales, la collecte de manuscrits font depuis 1750 où elle s’est établie dans le pays partie intégrante de la mission dominicaine. Fort de cet héritage, le père Najib fonde en 1990 le Centre Numérique des Manuscrits Orientaux. Son but : collecter, restaurer, numériser et cataloguer l’ensemble du patrimoine religieux écrit de la Mésopotamie. Son équipe, formée de dix personnes : deux religieux et huit laïcs, acquiert bientôt une renommée internationale et reçoit en 2009 le soutien technique et financier de moines bénédictins du Minnesota.

Mais à partir de la chute de Saddam Hussein, en 2003, la situation se dégrade. "Au départ, nous cherchions à protéger les manuscrits des méfaits du temps. Aujourd'hui, la menace principale, ce sont les islamistes. " C’est alors une véritable course contre la montre qui s’engage. En 2007, suite à une vague d’attentats contre les églises chrétiennes et après avoir reçu des menaces personnelles, le père Najib doit quitter Mossoul pour Qaraqosh, à une trentaine de kilomètres. Il y installe ses studios et accélère la collecte et la numérisation des manuscrits. Lorsqu’il apprend la prise de Mossoul par Daech, en juin 2014, il transporte à nouveau ceux qu’il nomme ses "enfants" dans un camion pour les mettre en sûreté près d’Erbil, au Kurdistan.

Le 6 août, Qaraqosh est menacée à son tour. Avec les derniers religieux présents, il embarque les manuscrits restants dans deux voitures, direction Erbil. Femmes, vieillards et enfants errant sur les routes viendront bientôt s’y entasser avec eux. 60.000 personnes, chrétiens syriaques en majorité, fuient la ville dans l’urgence. Pris dans un flot interrompu de voitures, ils mettront 5 heures à parcourir les quarante kilomètres qui les séparent de la frontière. "On pouvait voir le drapeau noir de Daech au loin. Nous étions protégés par les peshmergas armés, mais ils n'ont pas laissé passer notre voiture. Alors, j'ai commencé à sortir les cartons de manuscrits de la voiture et à les confier aux gens qui passaient." Les balles sifflaient. "Tu vas finir par nous tuer avec tes archives !" s’écrie Watheq Gassad, un laïc qui travaille avec eux. Mais une voiture les attend de l’autre côté de la frontière et tous finiront par arriver à bon port.

Aujourd’hui, le couvent dominicain de Mossoul a été transformé en prison et en centre de torture par l’Etat Islamique. L’équipe du Centre Numérique des Manuscrits Orientaux continue son travail dans un lieu tenu secret. A Erbil, où ils ont transformé deux hôtels en centres pour réfugiés, les dominicains veillent à leur assurer le minimum de soins matériels. Mais ils les sensibilisent aussi à la sauvegarde de leur patrimoine : "Sans ses racines, on sera arraché facilement, dit le père Najib. C’est ici, en France, que j’ai découvert l’importance de mon histoire, de notre patrimoine, de ce trésor caché qu’il faut aujourd’hui révéler."

A peine arrivé à Erbil, il avait envoyé un colis à Paris. A l’intérieur, un disque dur où étaient stockées des milliers de photos. Les manuscrits étaient définitivement sauvés. La moitié d’entre eux, n’appartenant pas à la mission dominicaine de Mossoul, avait été détruite entretemps. Mais il était désormais possible d’en faire des fac simile. Sept de ces reproductions sont actuellement présentées à l’exposition "Mésopotamie, carrefour des cultures ", organisée par Jacques Charles-Gaffiot et Ghislain Brunel aux Archives Nationales dans le cadre du VIIIe centenaire de l'ordre des dominicains. On peut aussi y contempler quelques originaux, dont certains extraordinairement calligraphiés et enluminés, provenant du couvent dominicain de Mossoul, de la Bibliothèque Nationale de France et à la bibliothèque du Vatican. Lors de son inauguration, le père Najib rayonne. Il songe au chemin parcouru, et à celui qui reste encore à parcourir : "Il faut préparer la paix, non seulement en sauvant la mémoire des Irakiens, mais en leur apprenant à vivre ensemble."

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