Pendant que certains fêtaient la musique, d’autres célébraient le solstice d’été : portrait robot des païens contemporains<!-- --> | Atlantico.fr
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Chaque année, des centaines de personnes se réunissent à Stonehenge, en Grande-Bretagne, pour fêter le solstice d'été.
Chaque année, des centaines de personnes se réunissent à Stonehenge, en Grande-Bretagne, pour fêter le solstice d'été.
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Chacun sa soirée

Le passage à la saison estivale – jour de l'année où la nuit est la plus courte – est l'occasion pour des personnes de plus en plus nombreuses de fêter le solstice d'été. Qui sont ces amateurs d'une fête païenne qui a traversé les âges ?

Mohammed  Taleb

Mohammed Taleb

Mohammed Taleb est philosophe et formateur en éducation relative à l’environnement. Il collabore régulièrement pour Le Monde des religions. Il est l'auteur de Sciences et Archétypes - Fragments philosophiques pour un réenchantement du monde (Dervy, 2002)

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Atlantico : Le solstice d'été est encore régulièrement fêté. Qui sont ces nouveaux "païens" qui maintiennent cette tradition ? Les pratiques païennes représentent-elles un mouvement important en France ? Connaît-il un renouveau ou un déclin ? Quelles sont leurs caractéristiques, et qu'est-ce qui les a amené vers cette spiritualité ?

Mohammed Taleb : Ce à quoi nous assistons, et la circulation de l'information par le biais des nouvelles technologies de la communication ne fait que renforcer le phénomène, est la multiplication, à l'échelle du monde, des dynamiques sociales qui participent aux fêtes du solstice d'été. Qualifier de "néopaïenne" ces célébrations ne permet en aucune façon de rendre justice à des fêtes qui, aujourd'hui, sont d'abord des fêtes de l'écologie, des fêtes du lien au cosmos, des fêtes de la parenté sensible que nous avons avec la nature vivante. Le renouveau de ces célébrations est effectivement largement en rapport avec la montée de la conscience écologique. Celles et ceux qui pratiquent les rites de la Saint-Jean sont le plus souvent engagés dans une écologie qui n'est pas, d'abord, une "écologie-comme-réponse-à-la-crise", mais bien plus une écologie de l'imaginaire, du sacré et des esprits de la nature... Il faut aussi noter que de plus en plus d'associations villageoises organisent, avec le soutien de leurs municipalités, de telles célébrations, avec en vue l'idée de promouvoir le patrimoine culturel et naturel local. Ces fêtes peuvent aussi prendre un caractère régional, comme dans le cadre de la culture bretonne (celtique en général). Là, le solstice est célébré en lien avec une référence  (reconstruite ou réelle) au druidisme.

On a souvent l'image de mouvements paganistes proches de l'extrême droite. Qu'en est-il réellement ?

Cette représentation est largement caricaturale, versant dans le sensationnel. Elle oublie l'universalité et la multiculturalité de la signification du solstice d'été. Dans l'Antiquité, cette date était célébrée dans un grand nombre de contextes culturels et religieux, de la Syrie (en lien avec le dieu Tammouz) jusqu'au monde scandinave, de l'Inde aux Indiens de l'Amérique du Sud, de la Chine à la Turquie... Les feux de la Saint-Jean, en Europe, traduiront la reprise chrétienne de ce moment essentiel du calendrier solaire. Et, jusqu'à un certain point, la fête de la musique peut être interprétée comme une laïcisation et une urbanisation du solstice...

Ce n'est pas parce que quelques groupuscules d'extrême droite ont pu et peuvent encore aujourd'hui fêter le solstice, qu'il faudrait en déduire que les journées aux alentours du 21 juin de chaque année seraient elles-mêmes problématiques. Je prendrai deux contre-exemples qui montrent que le solstice d'été peut s'inscrire dans des philosophies complètement différentes. La première est celle des sorcières conduites par l'étasunienne Starhawk. Figure emblématique de la gauche nord-américaine, elle incarne les lignes de force d'une spiritualité enracinée dans l'écologie, l'action sociale, le féminisme, la non-violence. Sa démarche est assez proche du mouvement de la Wicca, qui essaie de vivre une écospiritualité dans le même sillage que celui des anciennes sorcières. Ces nouveaux militants du sacré célèbrent le solstice sous le nom de "Litha",  fête de la renaissance, de la fertilité et de la rencontre entre le féminin et le masculin.

Le second exemple nous vient aussi d'Amérique du Nord. Je voudrais parler du chef amérindien Arvol Looking Horse, de la nation Lakota. C'est un militant assez connu de la militance des droits des peuples autochtones. En 1999, il organisait au Costa-Rica une importante rencontre panindienne du Cercle d'Achèvement de la Paix dans le Monde et Jour de la Prière. Il s'agissait pour lui de contribuer à la sauvegarde de la culture des peuples des Amériques. La rencontre eut lieu lors du solstice d'été. Je renvoie sur les traditions spirituelles de ces peuples au beau livre de Charles Eastman, élevé dans la tradition sioux, L'héritage sacré des Amérindiens (aux éditions Véga).

Selon vous, que cherchent les pratiquants de ces rituels qu'ils ne trouvent ailleurs dans les religions plus "installées" ?

Le théologien orthodoxe Olivier Clément (1921-2009), grande figure de la spiritualité chrétienne contemporaine, disait que le christianisme occidental était "acosmique". Il signifiait par là que la tradition chrétienne latine-romaine, et ensuite protestante, avait occulté la dimension cosmique, et même cosmologique, de la vie spirituelle, emprisonnant cette dernière dans un face-à-face entre Dieu et les humains. Dans cette configuration, les lieux de la nature, ses rythmes, et le cosmos dans sa globalité ne peuvent êtres engagés au sein d'une action spirituelle. On peut dire que cette approche est étroitement dualiste, car elle est incapable de penser une présence divine dans l'univers, et donc une certaine sacralité de la Création. Retrouver le chemin de la célébration du Jour le plus long n'est pas autre chose, au fond, que de vouloir réconcilier la spiritualité et l'écologie, les rythmes de la vie intérieure et les rythmes des saisons, le feu de la foi et le soleil qui est célébré à travers le feu qui jaillit à la tombée de la nuit. Théologiquement, il n'est pas illégitime de dire que derrière la fête du solstice se profile l'un des nombreux visages de l’Âme du monde, l’animamundi des Anciens, célébrée dans le néoplatonisme grec, la théosophie islamique, la pensée indienne, l'alchimie de la Renaissance ou encore la philosophie romantique. Ces traditions nous enseignent que le cosmos, comme espace et comme temps, possède une profondeur subtile et qualitative, l’Âme du monde.

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