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En France, la pauvreté est localisée dans les villes-centres des grandes agglomérations.
En France, la pauvreté est localisée dans les villes-centres des grandes agglomérations.
©Reuters

HLM coupables

Les résultats du rapport de l'Insee révèlent que la grande pauvreté est localisée dans les villes centres plutôt que dans les banlieues et la périphérie des agglomérations. Un enseignement qui tire à boulet rouge sur la politique du logement sociale, aveugle de la localisation des populations réellement fragiles.

Julien Damon

Julien Damon

Julien Damon est professeur associé à Sciences Po, enseignant à HEC et chroniqueur au Échos

Fondateur de la société de conseil Eclairs, il a publié, récemment, Les familles recomposées (PUF, 2012), Intérêt Général : que peut l’entreprise ? (Les Belles Lettres),  Les classes moyennes (PUF, 2013)

Il a aussi publié en 2010 Eliminer la pauvreté (PUF).

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Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Atlantico : Quels peuvent être les effets secondaires du logement social ? En quoi également est-ce que les logements sociaux peuvent-ils paradoxalement participer à la paupérisation globale, et surtout des classes moyennes ?

Gérard-François Dumont : Les classes moyennes se trouvent confrontées, à la fois, à une quasi-impossibilité d’accéder au logement social et à des difficultés d’accès au logement compte tenu de la faiblesse de l’offre. L’augmentation de l’offre de logement devrait être la réponse impérative.

Or, incontestablement, la loi ALUR (loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové) du 26 mars 2014, contrairement à son intitulé, a contribué à accentuer le découragement des investisseurs vers le logement, d’autant qu’elle augmente le coût du foncier et de l'immobilier par la multiplication de frais et de tracasseries administratives. Beaucoup de Français savent que pour acheter même un garage, l’épaisseur des documents à signer chez le notaire s’est accru et est considérable. En outre, la multiplication des normes participe également à diminuer la fluidité dans le logement.

D’où des centres villes sans mixité, avec une concentration d’une part de classes supérieures et, d’autre part, des catégories les plus pauvres. Les classes moyennes ont été largement contraintes de quitter les centres villes pour trouver un logement correspondant à leurs besoins et à leurs niveaux de vie.

Cela fait maintenant 15 ans que les pouvoirs publics expliquent que, grâce à la loi Gayssot du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains qui impose un pourcentage minimum de logements sociaux dans chaque commune, pourcentage augmenté avec la loi ALUR, on pourra résoudre les problèmes des logements. Pourtant, les résultats sont contraires, ce qui signifie que cette démarche doit être revue. Il serait temps que la France accepte la réévaluation de ses lois pour les corriger, plutôt que de les renforcer lorsque les résultats ne sont pas à la hauteur des annonces.

Comprendre les difficultés du logement social suppose aussi de s’intéresser sur les modalités de leur affectation à des futurs locataires. Dans le système français, c'est en grande partie l'Etat qui décide d'affecter les logements sociaux sans tenir nécessairement compte des réalités locales et des besoins des habitants de la commune. Or, certains élus seraient encore plus favorables à la mise à disposition de terrains pour des logements sociaux s’ils savaient que ces derniers bénéficieraient à leurs habitants en attente de logement.

Julien Damon : L'Île de France, et Paris, où la pauvreté est plus élevée dans certaines de ses banlieues est tout à fait unique. Dans d'autres villes comme Toulouse, il y existent des écarts importants entre la ville centre et les banlieues. J'aimerais clarifier les esprits : il n'y a pas plus de pauvres dans le 7ème arrondissement de la capitale qu'en Seine St Denis !

Pour revenir à votre question, les objectifs de construction de logements sociaux oublient que les phénomènes de pauvreté n'ont pas émergés seulement sur les 25 dernières années. Il existe aujourd'hui des retraités pauvres –mais néanmoins propriétaires- qui vivent dans les centres villes, qui y sont établis anciennement, et qui sont totalement paupérisés. Par ailleurs, il  y a une concentration des bénéficiaires de minimas sociaux dans les villes centres. C'est normal d'ailleurs, les plus aisés peuvent chercher à s'en aller pour disposer de davantage d'espace tout en pouvant se payer les coûts de déplacement. Les autres ne le peuvent pas. En un mot, les riches peuvent partir pour ne plus voir les pauvres. Les pauvres, eux, restent. Et si, avec les objectifs de mixité sociale, on ajoute encore des pauvres dans les centres villes, c'est mathématique, la pauvreté y augmente.

Si l'on met aujourd'hui plus de pauvres dans les centres villes, cela ne fait qu'accentuer la paupérisation, et même les inégalités : les individus aisés emploient les défavorisés pour mener à bien des tâches et répondre à des besoins que les premiers peuvent se payer.

Il est de toute façon étonnant de voir que certaines politiques de logement avaient pour objectif d'obliger de consacrer 25% des logements sociaux afin de rééquilibrer la pauvreté, et de voir quelques années plus tard un rapport de l'Insee sur le fait que les pauvres ne sont pas forcément où on les attend. La politique du logement social est totalement à revoir, et ce rapport en exemplifie les aberrations.  Pourquoi mettre davantage de pauvres là où il y a déjà trop de pauvres ? N'oublions pas non plus que la plupart des pauvres ne se trouvent pas dans des logements sociaux mais sont bien propriétaires de leurs logements, ou locataires, voire vivent dans la rue…

L'un des effets pervers de cette politique du logement social est aussi de maintenir des prix élevés : en obligeant les promoteurs à consacrer 30% de leurs logements aux bailleurs sociaux, et de leurs céder à perte, la compensation s'effectue forcément sur les logements des particuliers privés… 

Les solutions simples ne sont jamais évaluées : remplacer les prestations logement par une déduction de leurs revenus imposables leurs loyers par exemple.

Le bénéfice de la mixité sociale est donc surtout politique. Une partie d'entre nos gouvernants trouve cette idée formidable. Mais deux populations y sont réticentes : les riches, qui ne veulent pas trop de pauvres à côté de chez eux, et les populations pauvres elles-mêmes, qui ont du mal à s'y intégrer, car elles ne jouissent pas du même pouvoir d'achat. Si de nombreuses études se répondent sur cette question, il existe des contre-exemples puissants qui viennent faire mentir l'idée que la mixité sociale permettrait l'émancipation des populations en grandes difficultés. Car en réalité c'est surtout une lubie technocratique et idéologique.

En quoi les enseignements nouvellement apportées par l'étude de l'Insee peuvent-ils représenter une défaillance globale du logement social ?

Gérard-François Dumont : Il est incontestable que les politiques françaises de logement social menées toutes ces dernières décennies ne conduisent pas à des résultats probants. Cela tient au paradigme constant en France selon lequel la réponse quasiment unique aux besoins de logement des populations serait ce que l’on dénomme le logement social, c’est-à-dire à la fois la construction et la gestion de logements par, des organismes bénéficiant de financement publics partiels, directs ou indirects. Il en résulte que les gouvernements favorisent l'implantation du logement social, mais oublient qu'il existe d'autres modalités d’offre de logements qu'il faudrait faciliter.

Or, la formule dite du logement social ne peut résoudre tous les besoins de la France en matière de logement pour une raison simple : les normes actuelles signifient que 70% de la population de la France devrait pouvoir accéder à un logement social. Pour parvenir à un tel pourcentage, il faudrait des financements publics considérables auquel aucun gouvernement ne parviendra.

Résoudre les besoins en logement suppose donc d’augmenter l’offre de logement en encourageant l'investissement privé dans ce secteur, ce qui permettrait de satisfaire aussi les catégories sociales inférieures.

Mais cela ne se concrétise pas pour deux raisons : premièrement, parce que les conditions fiscales et réglementaires mises aux placements dans l'investissement logement restent défavorables, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles les grandes compagnies d'assurances se sont largement retirés du marché du logement ces dernières décennies ; en second lieu l'Etat, pour faire face à son endettement, a favorisé et favorise des mécanismes d’orientation de l'épargne des Français vers des produits financiers facilitant le financement des déficits publics plutôt que vers des placements vers le logement.  

Désormais, il est probable que le logement social éprouve de nouvelles difficultés. Ces dernières années, les collectivités territoriales, et notamment nombre de communes, ont largement aidé les organismes HLM par exemple en prenant en charge de la voirie, des réseaux, ou de l’entretien de terrains, voire de la réhabilitation de logements. Mais la réduction des dotations de l’État aux collectivités territoriales va réduire ces aides.

Pourtant, comme nous l’avions proposé (1), il faudrait sortir de l’alternative "tous propriétaires" ou "tous en HLM" qui semble inscrite dans le marbre des lois, ces dernières ne laissant qu’une place résiduelle au parc locatif privé.

A la lumière de ces enseignements, les politiques publiques en matière de logement social paraissent-elles adaptées ? Qu'est-ce qui peut être remis en cause ?

Gérard-François Dumont : Comme nous l’avions montré (2), pour la première fois, la grande institution statistique française reconnait indirectement que la géographie des besoins de logement est différente de ce qui était affirmé. La géographie de la pauvreté que l’on répétait auparavant à l’envie, l’idée d’une systématique gentrification en centre-ville, n’est pas la réalité (3). Il est donc important d'insister sur le fait que la question n’est pas seulement de considérer les besoins des populations dans leur ensemble, mais aussi de préciser la géographie des besoins et les lieux où il faut construire.

En effet, dans les aires urbaines, des logements sociaux ont été construits, mais souvent, en vertu de l’idéologie fonctionnaliste de la Charte d’Athènes, selon une rationalité urbanistique guère humaniste et à l’écart de quartiers anciens urbanisés. Résultat, de nouveaux quartiers sans identité ont rendu et rendent difficile la vie des populations compte tenu de leur caractère entravé. L’accès de leurs habitants à une diversité d'emplois sur le marché du travail est rendu difficile par les difficultés de transport. Il faut se rappeler que les émeutes de 2005 ont démarrées à Clichy-sous-Bois, dans un territoire extrêmement enclavé, à l’écart de transports en commun, dont à l’écart de la ville.

Finalement, l'objectif de mixité sociale est-il vraiment productif ? Quelle est la part d'idéologie et d'efficacité ?

Gérard-François Dumont : La mixité sociale est un phénomène tout à fait étonnant dans le sens où on ne le prononce que depuis qu'elle n'existe plus guère. En effet, dans l'urbanisme de la fin du XIXe siècle à Paris, la mixité sociale pouvait exister. Les immeubles haussmanniens hébergeaient au sein d'un même immeuble des catégories sociales différentes réparties selon les étages. Ce dernier demi-siècle, la mixité sociale s'est perdue dans la mesure où des politiques d'urbanisation ont conduit  à une segmentation sociodémographique accentuée. D’abord, il y a eu les encouragements visant à réserver des logements neufs à l'extérieur des centres-villes aux jeunes ménages, empêchant ainsi non seulement la mixité sociale, mais aussi la mixité générationnelle. Mais la mixité sociale s'est aussi détériorée parce que l'Etat n'assure pas l’une de ses tâches régaliennes essentielles, la sécurité sur l’ensemble des territoires français. Or les Français constatent les différences en matière d'insécurité en fonction des territoires. Et il ne peut y avoir de possibilité de mixité sociale là où il n'y a pas de sécurité, particulièrement dans les territoires de non-droit. Ainsi, dans les territoires où l'insécurité est élevée, la mixité sociale se trouve affaiblie par le départ de certains commerçants et celui des populations qui ont l’opportunité de les quitter.

(1) Dumont, Gérard-François (direction), Populations et territoires de France en 2030, le scénario d’un futur choisi, Paris, L’Harmattan.

(2) Dumont, Gérard-François, Géographie urbaine de l’exclusion dans les grandes métropoles régionales françaises, Paris, L’Harmattan.

(3) Insee première 1552.

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