Pas d’équilibre en vue pour les retraites en 2030 : la preuve que le gouvernement n’a jamais su poser le vrai débat ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Malgré la réforme des retraites, le système sera « durablement en déficit », pointe un rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR).
Malgré la réforme des retraites, le système sera « durablement en déficit », pointe un rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR).
©Thomas SAMSON / AFP

Problème mal posé

Malgré la réforme des retraites, le système sera « durablement en déficit », pointe un rapport du Conseil d'orientation des retraites.

Eric Weil

Eric Weil

Eric Weil est un ancien conseiller retraites qui tente d’informer sur le sujet.

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Atlantico : Malgré la réforme des retraites, le système sera « durablement en déficit », pointe un rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR). Est-ce la preuve que nous avons raté notre débat public sur les retraites et avons été incapable d’avoir une appréciation juste de la réalité ?

Eric Weil : Le fait que des déficits subsistent malgré la réforme indique le paradoxe inscrit dans le discours de certains de ses opposants, largement diffusé et cru dans le reste de la population.

Ils ne peuvent logiquement affirmer d'un côté que le système n'était pas vraiment déficitaire ; de l'autre, que la réforme est très brutale socialement car si elle l'était, elle produirait beaucoup plus d'économies annuelles que la grosse dizaine de milliards prévue. 

Si ces deux assertions étaient vraies - déficit inexistant et réforme brutale - le système post réforme serait nettement excédentaire.

La réalité est inverse : le système est significativement en déficit ; la réforme n'est pas aussi brutale que la plupart des opposants l'ont présentée. En partie car des concessions significatives ont été faites au fil de la séquence : âge légal à 64 ans plutôt que 65 ans ; surcote possible pour les mères de famille dès 63 ans ; élargissement du dispositif carrières longues. Aussi car l'âge moyen de départ à la retraite se situe déjà vers 63 ans en moyenne. Donc très peu de Français vont véritablement devoir travailler deux ans de plus à cause de la réforme. Sans compter que la plupart des nouveaux retraités vont voir leurs pensions significativement augmenter. Tout ceci, mis bout à bout, explique le déficit persistant malgré la réforme.

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Ce déficit affiché post-réforme dans le rapport du COR s'explique aussi probablement par la suppression de la convention "Effort de l'Etat constant" qui était trop avantageuse, et minorait le déficit réel dans la présentation des soldes par le COR.

Certains économistes alertaient déjà sur le sujet il y a plusieurs mois, pourquoi n’ont-ils pas été entendus ?

Car leur discours était plus que contrebalancé par ceux dans le débat public niant le déficit, du moins son importance. Démontrer la réalité du déficit nécessite de se plonger dans les arcanes du système et de son financement ce que la plupart des Français n’ont pas le temps ou n’ont pas envie de faire. Par ailleurs, le sujet est hautement sensible : déficit ou pas, il est difficilement audible qu’il faut travailler un peu plus, surtout pour ceux usés par leur travail.

A quel point le gouvernement a-t-il échoué, ou refusé de poser clairement les termes du débat et d'exposer véritablement quels étaient les enjeux de cette réforme ? 

A partir du moment où la proposition centrale du gouvernement portait sur le décalage de l’âge legal, un indicateur qui braque immédiatement la plupart des Français, le ver était dans le fruit. Cela ne signifie pas qu’il n’y avait pas de mérite sur le fond à activer ce levier. Mais il est politiquement bien plus inflammable que la durée de cotisations ou la modification du mode de calcul, par exemple.

Je pense que le gouvernement a tenté sous plusieurs angles d’exposer les enjeux de cette réforme. Mais aucun n’a eu véritablement de prise face à une opinion a priori fermement défavorable à toute mesure d’âge. L’argument d’une croissance économique plus forte ou d’un système mieux équilibré pèsent peu face au mécontentent de devoir supposément travailler deux ans de plus. Sans compter que la complexité de notre système rend très difficile toute explication sur les effets réels de la réforme. Comment clairement expliquer que notre système reposant sur l’articulation entre une durée de cotisation et un âge l’égal, ce dernier paramètre est théorique pour tous les Français qui, réforme ou pas, atteignent le taux plein après le nouvel âge legal (comme la grande majorité des éboueurs par exemple) ? Comment faire comprendre que forcer à travailler jusqu’à 64 ans augmente en moyenne significativement les pensions ? Peut-être le gouvernement aurait-il dû plus insister sur ce denier point. Reste que tenter de défendre une réforme dans un tel contexte de défiance était mission quasi-impossible.

Comment le gouvernement aurait-il pu et dû poser plus fondamentalement et plus clairement les enjeux sur le sujet afin que le débat public soit au plus proche de la réalité ?

Plusieurs angles ont été explorés : insister sur la nécessité de rééquilibrer le système déficitaire et ainsi réduire la dette ; agiter la peur d’une baisse des pensions, voire une impossibilité à terme de les verser ; avancer les bénéfices d’une augmentation de la croissance économique induite par la réforme afin de pouvoir financer d’autres dépenses publiques (éducation, écologie, etc.).

Aucune de ces approches n’a véritablement eu d’effets suffisants pour réorienter le débat public, obnubilé par le nouvel âge légal de 64 ans.

Peut-être fallait-il tenter d’inscrire la réforme dans un contexte plus large, celle d’une refonte du pacte social, celle d’une meilleure prise de la complexité des trajectoires individuelles de carrière. Autant de sujets traités dans le cadre de la réforme portant un système universel, malheureusement abandonné. Mais à partir du moment où la mesure centrale de la réforme était le décalage de l’âge d’ouverture des droits, objet majeur de crispation, tous les autres enjeux ont fatalement été mis au second plan.

Avons-nous posé les bonnes questions dans le débat public (sur la question de la capitalisation, sur celle des fonctionnaires ou sur d'autres points de ce sujet ) ?

Je pense que le point aveugle de la séquence que nous venons de vivre porte surtout sur l’architecture globale du système, et sa fragmentation en une quarantaine de régimes, aux droits différents. Cette fragmentation nourrit la défiance entre Français : quand mon voisin au restaurant n’a pas les mêmes droits que moi sans justification claire, j’ai de quoi trouver ça inéquitable. Défiance aussi envers le système social tant cette complexité le rend illisible. Cette fragmentation est enfin un frein à la mobilité professionnelle. Il est dommage que le débat se soit autant concentré sur des questions budgétaires, importantes du reste, et quasiment pas sur les complexités et iniquités intrinsèques au système. Le principe prôné par le système universel - un euro cotisé ouvre les mêmes droits - reste selon moi un horizon vers lequel il faut tendre.

Qu’est-ce qui fait que le débat a été mal posé, à la fois sur le plan des raisons techniques et politiques ?

Le sujet est en effet redoutablement complexe techniquement, d’abord, ce qui rend difficile un débat serein et raisonné tant on tombe rapidement sur des arguments détachés de la réalité. 

Socialement, il est hautement sensible car les pensions de retraite sont des revenus figés sur les 20-30 dernières années de la vie de tous les Français.

Politiquement, il est un enjeu majeur précisément en raison de sa sensibilité sociale. 

Sortir politiquement indemne d’une réforme des retraites est une gageure. Bien souvent son coût politique est disproportionné par rapport à ses avantages en termes budgétaires et de croissance. Il n’en a pas été différemment cette fois-ci.

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