Pas d'effet Charlie Hebdo pour le FN et autres indicateurs de l'impact des attentats sur l’opinion publique<!-- --> | Atlantico.fr
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Pas "d'effet Charlie Hebdo" pour le FN.
Pas "d'effet Charlie Hebdo" pour le FN.
©Reuters

INFO ATLANTICO

Synthèse Ifop exclusive pour Atlantico - Beaucoup d'observateurs prévoyaient une poussée de l'islamophobie et du vote FN. Il n'en est rien, ce qui n'empêche pas les Français de prendre unanimement conscience de l'importance de la menace terroriste.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Votre enquête montre qu'une très large majorité de Français considère la menace terroriste comme présente dans notre pays, 93% d'entre eux la jugeant élevée. Il est rare qu'une enquête d'opinion face autant consensus …

Jérôme Fourquet : C'est un constat extrêmement partagé par les citoyens. Ce qui est intéressant, c'est que l'on montre que la perception des attentats a un impact indéniable et assez attendu sur la perception de la menace terroriste, sur la nécessité de continuer l'intervention militaire en Irak. Néanmoins, ce mouvement qu'on a observé, et qui est parfois spectaculaire, ne se retrouve pas mécaniquement sur le rapport à l'islam ou sur le positionnement politique des interviewés. Il y a eu un impact des attentats, on l'a vu dimanche dernier, le pays sous le choc s'est fortement mobilisé, le risque terroriste est perçu de la manière la plus forte depuis le 11 septembre 2001.

Lire également : “C’est dur d’être élu par des cons” : quand la dénonciation obsessionnelle de l’islamophobie cache surtout un incroyable mépris pour le peuple en général et les musulmans en particulier

Le précédent sondage sur ce sujet date de début janvier, juste après les évènements de Dijon et de Joué-les-Tours : il montrait déjà que l'opinion publique percevait une menace qui s'accroissait. Mais en quelques jours, on  a basculé dans tout à fait autre chose. De la même façon, dans une autre enquête réalisée au lendemain des forfaits de Nemmouche au musée juif de Bruxelles, on avait posé la question de la menace représentée par les "jihadistes isolés" : 76% des gens la considéraient "élevée", nous en sommes aujourd'hui à 95%, et quand on regarde la frange qui la juge comme "très élevée", on passe de 22 à 57%. Il y a une véritable prise de conscience, de la part des responsables politiques, mais aussi de la part du citoyen, du danger représenté par ces jihadistes isolés, comparé à il y a deux semaines (Dijon) et il y a six mois (Bruxelles).

Les sondés sont tout de même plus critiques face à un sujet qui découle directement des attentats : l'intervention de la France en Irak contre l'Etat islamique. Que peut-on déduire de cela ?

Effectivement, les réponses sont ici plus divisées. Mais la logique est la suivante et apparaît clairement dans le discours de Manuel Valls : on combat, ici et ailleurs, l'ennemi que représente le terrorisme islamiste. Même si les assassins qui sont passés ici à l'acte n'étaient pas télécommandés depuis l'Irak ou la Syrie, et n'y étaient pas allés, ils appartenaient à cette nébuleuse. L'idée est que la France, à Paris, dans le Golfe, comme en Irak, se mobilise. Il est intéressant de voir comment l'opinion réagit à ça, par rapport, notamment, à la dernière mesure dont nous disposons. Si l'on compare à fin octobre 2014, on constate une remontée de l'approbation de l'intervention militaire : on passe de 64 à 69% d'avis "favorables", mais sur les "très favorables" on passe de 23 à 31%. Ça peut paraître peu en termes de gain, par rapport aux progressions constatées sur les questions précédentes, mais c'est quand même significatif proportionnellement, et c'est d'autant plus notable que dans ce genre d'engagement militaire, il y a une érosion mécanique et plus ou moins rapide de l'approbation de l'opinion, parce que le combat s'enlise, il y a des pertes militaires ou des victimes collatérales, etc. Là il n'y a pas d'érosion mais une remontée, donc on voit bien qu'il y a une forme de cohésion et d'unité nationale qui se met en place sur ce sujet, et pas uniquement sur le renforcement des mesures de sécurité pour le territoire.

Le but des terroristes est également de semer le doute, de diviser la société française et de faire pression sur les gouvernants pour que ces derniers retirent leurs troupes des théâtres d'intervention où ils combattent les islamistes. Dans ce cadre-là, il est intéressant de voir que ces 69% d'avis favorables avaient déjà été observés en septembre 2014, juste après l'assassinat de Hervé Gourdel en Algérie. Ils agissaient pourtant en représailles à l'engagement français en Irak. On était néanmoins passé de 53% d'approbation, début septembre, à 69% de Français favorables à l'intervention. Les terroristes avaient donc manqué leur cible à cette époque comme aujourd'hui. Bien au contraire, le réflexe patriotique vient renforcer la cohésion et l'approbation de telles opérations car davantage de Français sont convaincus du bien-fondé de ces décisions.

En ce moment on parle beaucoup des actes anti-musulmans qui ont lieu en France suite à la tension communautaire créée par les attentats. Votre étude démontre pourtant qu'il n'y a pas vraiment de liens entre ces crimes et la perception de l'Islam en France…

Avant de parler de l'Islam, on doit d'abord évoquer la proximité politique. On a vu, ces derniers jours, des choses spectaculaires et proprement inédites : le Premier ministre applaudi à l'unanimité par les parlementaires à l'Assemblée, la Marseillaise chantée debout par les députés, des millions de Français dans les rues, etc. Dans ce cadre-là, il était légitime de s'interroger pour savoir si cet impact sur l'opinion était uniquement cantonné à des questions de sécurité, ou si au contraire on allait avoir un effet sur la proximité politique des Français, mais aussi sur la perception de l'islam.

Très rapidement, certains commentateurs ont affirmé que ces évènements étaient du pain bénit pour Marine Le Pen, qu'elle engrangerait des voix grâce à cela, tandis que d'autres disaient que c'était une catastrophe pour la communauté musulmane, car l'islamophobie, déjà présente, serait encore plus forte. Or, que constate-t-on d'après nos données ? D'abord sur la proximité politique : les résultats sont spectaculaires, nous sommes exactement dans les mêmes rapports de force que dans les enquêtes réalisées début janvier, avant les attentats. Pour l'instant, il n'y a eu aucun impact en termes de proximité politique. Une hypothèse : il faut encore attendre que les choses se décantent et l'on est encore dans une phase de maturation. Mais pour l'instant on n'assiste pas à une flambée de l'audience du Front National, ni à un regain pour la gauche qui serait dû à la hausse de la popularité de Hollande, ni à une remontée spectaculaire de l'UMP qui pourrait être favorisée par le développement de thématiques sécuritaires. Il est intéressant de voir que les Français font la part des choses, et que leur perception de la menace terroriste et du bienfait d'une intervention en Irak a évolué sensiblement, alors qu'en revanche leur positionnement politique reste pour l'instant le même.

Si on se livre au même exercice concernant le regard porté sur la communauté musulmane en France, on s'aperçoit que là non-plus, les choses n'ont quasiment pas bougé, ou que si elles ont bougé, c'est plutôt positivement. Par rapport à 2012, on obtient 8 points de plus à la réponse "oui, l'islam est un facteur d'enrichissement pour la France" et -3 à celle qui affirme que "l'islam est une menace". On revient peu ou prou à ce qu'on mesurait en décembre 2010. C'est très intéressant car on a pu entendre qu'il y avait eu des attaques contre des lieux de culte musulmans, des faits assez graves parfois. Pourtant en termes de mesures d'opinion, il n'y a pas de poussée islamophobe qui se manifeste. On peut pourtant se dire que ces évènements auront des effets, mais ces effets sont peut-être plutôt de radicaliser d'avantage ceux qui étaient déjà islamophobes.

L'effet n'est pas un fort développement des opinions négatives vis-à-vis de la communauté musulmane. Ces résultats font échos à la question posée pour Atlantico la semaine dernière, juste après les attentats, qui demandait si l'islam représentait une menace ou bien s'il ne fallait pas faire d'amalgames : à l'époque 2/3 des Français affirmaient qu'il ne fallait pas faire d'amalgame. Ainsi dans les deux enquêtes les résultats convergent, puisqu'on reste sur les positions d'avant. Mais on n'est pas non plus sur des scores manichéens sur ces questions, même si les gens qui pensent que l'islam est un  facteur d'enrichissement sont plus nombreux qu'il y  a trois ans, il ne faut pas tordre le bâton dans l'autre sens, en négligeant que 40% des Français continuent d'affirmer que l'islam est une menace pour l'identité de notre pays. C'est une proportion élevée, qui se retrouve, politiquement, à 86% au Front National, mais aussi à 49% à l'UMP, et dans une forte minorité à gauche : 18% au PS et  32% au Front de Gauche.

Dernier point qui fait un peu le lien avec tout ça : on a ressorti les enquêtes effectuées au moment de l'affaire Merah, où c'est un peu le même schéma qui se présentait. Rétrospectivement les évènements avaient moins marqué les esprits mais tout de même considérablement ému et choqué le pays. Quand on ressort les données, on voit que là aussi les réactions avaient été rapides : les questions de l'immigration et de la sécurité étaient redevenues des sujets prioritaires en pleine campagne électorale. Ces évènements avaient été interprétés comme déterminants dans la campagne, à un mois du premier tour, et d'aucuns annonçaient que la thématique sécuritaire vampiriserait toute la fin de la campagne et serait favorable à Sarkozy et à Le Pen. Pourtant, ni l'un ni l'autre n'ont bénéficié d'un bond dans leurs intentions de vote après l'affaire Merah, François Hollande aussi est resté stable. C'est intéressant de rappeler ce parallèle. 

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