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"Le PS doit proposer une révolution morale"
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Parti gauche

Des sondages difficiles, l'"affaire Guérini" : dans un contexte difficile, le Parti socialiste cherche à se reconstruire pour gagner l'élection présidentielle. Pour l'historien Christophe Prochasson, proche des socialistes et auteur de "La Gauche est-elle morale ?", le parti dirigé par Martine Aubry devrait cesser d'avoir "seulement une vision économiste de l'homme".

Christophe Prochasson

Christophe Prochasson

Christophe Prochasson est historien et directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Derniers ouvrages parus : L’empire des émotions. Les historiens dans la mêlée (Demopolis, 2008), 14-18. Retours d’ expérience  (Tallandier, 2008) et La gauche est-elle morale ? (Flammarion, 2010).

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Atlantico : Quel est votre diagnostic sur l’état du Parti socialiste aujourd’hui ?

Christophe Prochasson : Nous sommes à 18 mois d’une élection présidentielle et le PS est dépourvu de candidat, de programme et de doctrine. En tout cas, il ne possède pas de doctrine renouvelée qui lui permettrait d’affronter les grand défis historiques de notre époque.

Comment le parti en est-il arrivé là ?

On peut remonter jusqu’à François Mitterrand : il n’a permis de moderniser que superficiellement le PS et ses successeurs n’ont pas tiré les conséquences de l’épisode du socialisme au pouvoir dans les années 1980. L’épisode Mitterrand a contribué à dégrader les valeurs morales dont le PS était porteur. Des valeurs telles que le rapport a l’argent, au désintéressement personnel, à l’attachement à  l’intérêt général. On pourrait en trouver d’autres, mais celles-ci sont les plus remarquables sur l’identité de la gauche française.

L’identité de la gauche ou du PS ?

Disons que la gauche est dominée par le PS, mais que l’un des obstacles politique majeur de la gauche est sa division : elle est beaucoup plus divisée que la droite ce qui est un obstacle considérable pour gagner l’élection présidentielle.

La gauche est divisée en trois blocs :

  • un bloc traditionnel attaché au passé de la gauche qu’incarne bien le Parti de gauche et le parti communiste, voire même l’extrême-gauche.
  • une gauche social-démocrate qui est incarnée par le centre du PS, c’est-à-dire tous les candidats possible du PS (de Dominique Strauss-Kahn à Martine Aubry, en passant par François Hollande : l’exercice du pouvoir ne les distinguerait sans doute pas beaucoup).
  • une gauche « moderniste » - précisons que j’emploie ce terme sans aucun jugement de valeur - qui s’arrête davantage sur les grand défis contemporains : écologie, adaptation au capitalisme, ou les questions morales qui surgissent lors des lois bioéthiques, par exemple. Les membres de ce bloc ont une perspective plus internationale : la question européenne est ainsi pour eux  une question urgente à régler. Ils s’intéressent donc à des questions contemporaines coupées des questions traditionnelles de la gauche.

Il existe donc une fracture au sein du parti entre ces différents blocs.

Vous deviez débattre avec Arnaud Montebourg ce mercredi 16 mars sur le thème "La Gauche est-elle morale ?" (NDLR : le débat a finalement été annulé). Montebourg ne symbolise-t-il pas la volonté mais aussi les difficultés du PS à se réformer ?

C’est un personnage difficile à saisir. Comme tous les gens de gauche qui se posent des questions aujourd’hui , il semble hésiter. Sa force a été d’importer dans le débat politique des questions morales d’importance. La gauche ne pourra pas se reconstituer sans se poser ses questions là.

Que pensez-vous de sa dénonciation du "système Guérini" dans son rapport sur les pratiques de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône ?

Au-delà de cette affaire, il me semble important que les socialistes soient d’une rigueur absolue pour les questions relevant de la morale. Je me souviens de l’attitude très fluctuante des socialistes face au cas Georges Frêche. Il n’y aurait pas dû avoir d’hésitation : Frêche n’était pour moi pas de gauche, il était cynique, il n’avait d’autres valeurs que sa mégalomanie et son succès personnel. Ce qui m’inquiète c’est qu’on ait pu défendre ce genre de personnage sur un mode cynique en disant « il a transformé la vie à Montpellier » etc. Frêche aurait dû être exclu du PS.

Et que pensez-vous de l’attitude de Martine Aubry sur « l’affaire Guérini » ?

Je la trouve un peu hésitante. Je comprends que si elle n’a pas tous les éléments en main ce soit difficile pour elle. Mais elle devrait rappeler de façon extrêmement ferme les valeurs de la gauche et que si un militant ne convient pas a ses valeurs il soit exclu du parti.

Votre analyse sur le PS ne correspond-il pas à une évolution plus générale de la pratique politique ?

Je conviens que mon analyse est un peu sévère, mais il s’agit là de ma famille politique, c’est pourquoi je suis d’autant plus désireux que celle-ci soit fidèle à mes idéaux. Certes, cela concerne l’ensemble de la classe politique. Celle-ci livre un spectacle dans lequel les valeurs de la République sont bafouées. Il existe désormais un abîme entre le peuple et la classe politique.

Un abîme qui profite à Marine Le Pen ?

Elle profite de cette situation, sans doute davantage que son père car elle est plus jeune et n’a pas été écornée par le moindre scandale. Il existe toutefois d’autre raisons plus politiques à son succès.

Ne pensez-vous pas finalement que le PS développe un discours « moral », mais que celui-ci n’est pas suivi de faits concrets ?

Non, selon moi, le PS a souvent tendance a ne mettre en avant que des discours d’experts. Mais je pense que la Gauche ne pourra retrouver un élan que si elle s’empare de questions morales. On ne mobilise pas avec un taux de croissance. Il faut que la Gauche soit porteuse d’éléments intellectuels qui ne soient pas uniquement techniques. Le programme de la gauche ne doit pas être un catalogue de mesures pratiques, car elle aura ainsi du mal a se différencier ainsi de la Droite. Il faut que le PS ait une vision, un message, qui concerne la vie morale des individus. A partir du moment où la Gauche ne peut plus réellement résister face au capitalisme, elle doit proposer une autre révolution, une « révolution morale », voire une « révolution civilisationelle », du vivre ensemble, de la solidarité. Il faut en finir avec l’individualisme. Je voudrais que le PS cesse d’avoir seulement une vision économiste de l’homme. L’homme n’est pas uniquement un homo economicus.

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