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Parlement européen, miroir aux alouettes pour les gilets jaunes
©LUCAS BARIOULET / AFP

Elections

Une liste Gilets jaunes va être constituée en vue des élections européennes. Elle sera menée par Ingrid Levasseur.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Alors que les Gilets jaunes seraient sur le point de constituer une liste pour les élections européennes du mois de mai prochain, dont la tête de liste serait Ingrid Levasseur, comment anticiper la capacité d'action politique du mouvement au sein du Parlement européen - quand bien même leur score serait exceptionnellement élevé ? 


Christophe Bouillaud : D’abord, il faut absolument ne pas confondre les personnes qui ont participé à un moment ou à un autre depuis le mois de novembre dernier au mouvement des Gilets jaunes en général et le groupe de personnes qui prétendent désormais les représenter aux élections européennes. Il ne va pas du tout de soi que cette liste puisse représenter les Gilets jaunes en général. En effet, c’est vraiment un pari – ou une usurpation ? - que de vouloir représenter ne serait-ce qu’une partie de cette très large et très disparate mobilisation, cela d’autant plus qu’une revendication largement présente parmi les Gilets jaunes se trouve justement constituer en une critique de la représentation et de la personnalisation de la politique. Bref, il n’est pas dit que cette liste passe l’hiver. 
Pour ce qui est de leur capacité d’action politique au sein du Parlement européen, si l’on suppose que la dite  liste – ou une autre du même tonneau -  dépasse les 5% requis pour envoyer quelques-uns de ses candidats, inconnus du public jusqu’il y a peu,  siéger au Parlement européen, elle sera extrêmement faible, pour ne pas dire inexistante. Je m’explique : au Parlement européen, toute l’influence qu’un élu ou une délégation nationale d’un parti peut exercer dépend à 99,99% du groupe parlementaire auquel il appartient, et plus ce groupe parlementaire s’avère numériquement important dans le Parlement et central dans ses équilibres, plus il est influent. En résumé, les élus du Parti populaire européen (PPE), du Parti socialiste européen (PSE), et de l’Alliance des libéraux et démocrates (ALDE), comptent bien plus que les autres. Les élus écologistes/régionalistes, communistes, nationalistes modérés, souverainistes/démocrates, et d’extrême-droite, comptent moins. Et quand vous arrivez au Parlement européen sans avoir un groupe auquel vous rattacher, quand vous finissez faute de trouver un partenaire de bal dans les non-inscrits, vous comptez pour rien. Vous pourriez aussi bien vous abstenir de siéger, personne ne se rendrait même compte de votre absence. Le Front national, puis le Rassemblement national, ont été le plus souvent dans cette situation d’impuissance, même s’ils ont mis sur pied en 2015 le groupe  Europe des Nations et de la Liberté (ENL) qui occupe l’extrême-droite de l’échiquier européen. Mais, comme plus on s’éloigne des trois groupes centraux (PPE, ALDE, PSE), moins on exerce d’influence, le groupe ENL compte peu. 

Les élections européennes sont-elles en ce sens un leurre pour un tel mouvement ? Comment analyser une telle situation au regard des précédents, de la participation politique réelle du RN ou du M5S au sein du Parlement ?


Oui, du point de vue des affaires européennes, de l’influence qu’on peut obtenir ainsi sur les affaires européennes à travers l’éventuel succès d’une liste hors grands ou petits partis européens déjà présents au Parlement européen, le leurre est parfait. L’histoire des élections européennes depuis 1979 est pleine de ces victoires de nouveaux venus qui ne durent qu’une saison ou deux faute d’avoir su se rattacher à un courant politique européen déjà constitué. On devrait se rappeler par exemple pour s’en tenir au cas français qu’il y a quelques années de cela les électeurs français ont voté aux Européennes pour la liste CNPT (Chasse Nature Pêche et Tradition) : qu’en est-il resté au niveau européen ? Pas grand-chose, pour ne pas dire rien. 
Par contre, il est vrai qu’offrir un bon score aux élections européennes à une telle liste d’outsiders permet à un électorat mécontent de signaler son désarroi dans le cadre national. En l’occurrence, les lois européennes sur la chasse n’ont pas été bouleversées par les élus du CNPT, mais, par contre, les différents gouvernements français ont bien pris garde de ne pas trop fâcher ensuite les chasseurs en France. Autrement dit, si une liste des Gilets Jaunes, celle qu’on vient d’annoncer ou une autre, fait un bon score aux élections européennes, cela n’aura aucune importance dans le cadre du Parlement européen, qui s’est débarrassé d’autres gêneurs, mais, par contre, cela enverra un message d’insatisfaction aux dirigeants français. Ce message n’a par ailleurs pas besoin d’avoir un lien très direct avec les politiques publiques européennes. 
Pour ce qui est des deux partis cités (RN en France et M5S en Italie), la situation est un peu différente. Des élus du FN sont présents depuis 1984 au Parlement, et, le plus souvent, ils ont été relégués, faute d’alliés, dans l’enfer des Non-inscrits. Ils ont donc regardé passer les trains législatifs. Avec la formation du groupe Europe des Nations et de la Libertés, le RN se retrouve désormais dans le purgatoire ou, disons, dans un meilleur cercle de l’enfer, car, malgré son succès de 2014, son influence sur la décision européenne est pour le moins inexistante. Même s’il fait encore mieux en 2019, cela ne changera sans doute pas grand-chose de ce point de vue.
Le Mouvement 5 Etoiles (M5S), qui avait eu le temps de réfléchir à ce qu’il ferait s’il avait des élus au Parlement européen, a bien pris soin en 2014 de ne pas se retrouver parmi les non-inscrits, d’où leur alliance avec les Britanniques de l’UKIP. Même s’ils avaient des divergences, ils l’ont fait, parce qu’ils voulaient absolument exercer de l’influence. Cela fait partie de leur doctrine : un élu dans une assemblée quelconque est là pour peser.  A ma connaissance, ils ont du coup un peu mieux réussi que les élus du FN/RN, tout simplement aussi parce qu’en réalité leurs options politiques sont bien plus proches du centre de l’échiquier politique européen que celles de ce dernier, et qu’il est bien possible que leurs élus travaillent plus leurs dossiers. A un moment, Beppe Grillo a même essayé de les faire entrer dans le groupe de l’ALDE, pour être vraiment au centre du jeu. Sans succès, car sa base italienne ne l’a pas vraiment suivi et car les élus du groupe ALDE n’ont pas accepté ce pacte signé en secret par le président de leur groupe parlementaire avec un critique de l’Euro. Il est à noter qu’en principe, les élus de LREM rejoindront ceux du MODEM pour faire partie eux aussi du groupe ALDE. Ce groupe ALDE aura sans doute un très grand rôle dans la prochaine législature. Pour revenir au M5S, il ne sait pas à ce stade  ce qu’il va faire s’il a des élus européens au printemps prochain, ce qui est probable au vu des sondages. En effet, si le Brexit est effectif, l’UKIP n’est plus là pour être l’autre grand parti de leur petit groupe parlementaire « Europe de la Liberté et de la Démocratie Directe » (ELDD), et par qui les remplacer ? Ou à qui se rallier ? C’est sûr que le M5S aimerait bien qu’une ‘franchise’ à son image se crée en France, il a d’ailleurs proposé aux Gilets jaunes français d’utiliser sa propre plate-forme informatique, développée en interne, « Rousseau », pour s’organiser.  Or, maintenant, le M5S est un « parti de gouvernement » : je vois du coup très mal des Gilets jaunes être séduit par une telle offre.  Cela me parait donc bien improbable qu’une ‘franchise’ du M5S se développe en France, mais c’est sûr que cela les arrangerait bien. 
Quoi qu’il en soit, si un électeur veut voter aux élections européennes pour avoir de l’influence sur les affaires européennes, il lui vaut mieux voter pour un parti installé ayant des alliés européens. L’électeur français se verra offrir toute la palette des partis européens présents au Parlement européen. Il a le choix. Tout vote pour quelque liste nouvelle  « Gilets jaunes » est la certitude de ne pas avoir d’influence à ce niveau. Une sorte de vote blanc à l’insu de ceux qui l’exprimeront en quelque sorte.

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