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Paris et les rebelles français : les élus des territoires sont-ils la seule opposition capable de bloquer le quinquennat Macron ?
©Thibault Camus / POOL / AFP

Collectivités locales

La conférence nationale des territoires s'est tenu jeudi 12 juillet 2018 à Paris. Trois associations ne se sont pas présentées au rendez-vous (régions, départements et maires de France). Révélation d'une rupture entre l'exécutif et les collectivités.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Atlantico : Cette fronde des pouvoirs locaux pourrait-elle incarner une réelle opposition à Emmanuel Macron ? Dans un contexte politique qui est marqué par la faiblesse de l'opposition, ce rôle pourrait-il être, en partie au moins, être incarné par les élus locaux ? 

Jean Petaux : Le contentieux entre l’Etat (de fait « le pouvoir exécutif ») et les collectivités locales ne date pas simplement de l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, le 14 mai 2017. Il est bien plus ancien que cela. Sans remonter aux premiers débats sur la décentralisation, à partir de 1982, qui portaient sur la question du transfert des charges qui incombaient jusqu’alors au pouvoir central, à l’Etat, vers les collectivités territoriales dont l’article 72 de la Constitution reconnait depuis 2003 (réforme Raffarin) le principe de la libre administration, on peut évoquer les deux présidences de la République, celle de Nicolas Sarkozy et celle de François Hollande, qui, toutes les deux, pour des motifs différents ont vu les associations d’élus locaux et territoriaux manifester leurs courroux à l’égard d’un Etat pratiquement le double étranglement des collectivités locales : de plus en plus de charges transférées, éventuellement compensées par des aides directes la première année (et encore…) et jamais actualisées au fur et à mesure que le temps avance et de moins en moins de marges de manœuvre laissées aux collectivités en guise de recherche de ressources propres ou en matière de fiscalité autonome. En 2004, l’ARF (l’Association des Régions de France), majoritairement PS et en 2010 presqu’unanimement PS puisqu’une seule région (l’Alsace) est dirigée par un président UMP, apparait clairement comme opposante au pouvoir central alors incarné par Jean-Pierre Raffarin en 2004 mais surtout par Dominique de Villepin entre 2005 et 2007, jamais élu, et qui passe comme un premier ministre très hostiles aux « féodalités locales ». Avec Sarkozy et Hollande on aurait pu penser que, compte tenu de leur histoire politique personnelle (maires et/ou présidents de conseils généraux) ils allaient retrouver les voies d’un dialogue (même « compétitif » ou « musclé ») avec les collectivités locales. Las… il n’en a rien été. Avec son invention du « conseiller territorial » (tout à la fois conseiller départemental et régional : loi du 16 décembre 2010), Nicolas Sarkozy a réussi l’exploit de se mettre à dos les élus (de gauche – rien de surprenant – et de droite – ce le fut davantage -) issus des deux types d’institutions : le département et la région. Quant à François Hollande, son fameux « dessein » des territoires s’est révélé plus confus que rationalisé, plus centralisateur d’ailleurs que décentralisateur, créant par exemple des « méga-régions » au sein desquels les départements, coincés entre les grosses intercommunalités et les nouvelles régions, n’ont plus rien ni à espérer ni à proposer.

Dans ce contexte, Emmanuel Macron et son entourage, pour partie composé de la technocratie de Bercy, apparaissent comme les derniers fossoyeurs dont l’ambition ultime est de considérée comme se résumant à la dernière pelletée de terre sur le cercueil de l’autonomie des collectivtés locales. Pas étonnant donc que les trois « majors » parmi le grand archipel associatif des élus et des collectivités locales (l’AMF, la plus ancienne, la plus prestigieuse, la plus « transpolitique » aussi et donc la plus représentative du « monde d’avant » … ; l’ADF et l’ARF) marquent hostensiblement leur opposition à Emmanuel Macron. Mais il serait bien trop hâtif d’en conclure qu’il s’agit-là de la nouvelle opposition politique remplaçant celle des partis opposés aujourd’hui à la majorités présidentielle tels que le RN, le LR, le PS (et ses avatars groupusculaires comme la formation de Hamon) et FI. Ces formations politiques pratiquent une « opposition politique pleine et entière », « tous azimuts » pourraient-on dire. Les associations d’élus sont des groupes d’intérêt qui se consacrent à la défense des collectivités locales, point barre… Donc elles ne sauraient être envisagées comme des remplaçantes des partis politiques traditionnels d’opposition. Tout juste comme des « supplétifs » se consacrant à un domaine.

Didier Maus : Je crois qu'il ne faut pas considérer les élus locaux (550 000 conseillers municipaux plus les conseillers départementaux et régionaux) comme un ensemble homogène. Certes les trois grandes associations que vous mentionnez sont présidées par des élus modérés, mais il y a parmi les élus des partisans d 'Emmanuel Macron et des autres courants politiques, avec il faut l'admettre une faible représentation des soutiens des soutiens de Mme Le Pen ou de M. Mélanchon. La "fronde" des élus locaux repose, à mon avis, sur des éléments très simples. Ils ont le sentiment que l'Etat leur demande de plus en plus de présence, leur confie de plus en plus de missions et donc de responsabilités et que face à ces charges il y  a un discours de dénigrement et une réduction des moyens financiers. Les élus estiment, à juste titre, que l'endettement de la France n'est pas de leur fait (les collectivités locales ont l'obligation d'avoir des budgets en équilibre), mais que le pouvoir central leur impose des contraintes qu'il est incapable de s'appliquer à lui-même.

Il y a plus une opposition psychologique qu'une réelle opposition politique. L'exemple de la suppression de la taxe d'habitation est un parfait exemple de cette incompréhension. Qu'il soit utile de supprimer cette taxe n'est guère contesté, mais les élus demandent à ce que les ressources de substitution ne consistent pas à déshabiller le département au profit du bloc communal (communes plus intercommunalités) et permettent de garantir l'autonomie des collectivités, laquelle constitue un principe constitutionnel essentiel. Les élus ont véritablement le sentiment qu'il n'existe plus de dialogue constrictif avec le gouvernement et que leur rôle au quotidien est complètement oublié. 

Quels sont les moyens dont disposent les élus locaux pour bloquer l'action du gouvernement ? Dans quelle mesure les élus locaux peuvent-ils parvenir à avoir une action qui pourrait prendre une dimension nationale ? Leurs pouvoirs sont-ils suffisants ? 

Jean Petaux : Ils n’en ont pas… En tous les cas pas jusqu’à pouvoir envisager un blocage de l’action gouvernementale. D’abord parce que leurs compétences ne sont pas les mêmes selon leurs territoires d’élection. Les maires, dans la mesure où ils sont représentants de l’Etat pour certaines fonctions basiques comme l’Etat civil, les mariages, les transferts de corps d’un département à un autre, peuvent, dans des missions bien spécifiques, celles qui relèvent par exemple de leur statut d’Officier de Police Judiciaire dont ils sont tous dotés de par leur double casquette d’élu local et de représentant de l’Etat, peuvent sinon bloquer ce même Etat, ou en tous les cas l’empêcher de fonctionner facilement. En revanche les présidents des conseils départementaux et régionaux ne sont pas de représentants de l’Etat sur leur territoire d’élection. On voit donc mal en dehors d’une stratégie d’affrontement direct qui s’apparenterait à un « quasi-coup d’Etat » comment les collectivités locales pourraient défier l’Etat en rentrant en conflit avec lui.  En revanche au plan politique c’est une toute autre affaire : les élus locaux peuvent faire en sorte qu’aux prochaines élections municipales ou départementales tous les candidats portant, plus ou moins ostensiblement, l’étiquette « La R en marche » soient sévèrement battus. Auquel cas ce sera compliqué pour le président Macron et pour son gouvernement de « passer à travers les gouttes » d’une défaite sur le terrain municipal par exemple en 2020 (ou, on n’en sait toujours rien, en 2021).

Didier Maus : Les élus locaux, c'est à dire les collectivités qu'ils animent, sont des légalistes et de vrais républicains. Il agissent dans le cadre des compétences des régions, des départements et des communes et ne peuvent envisager de bloquer l'action du gouvernement. Leur capacité d'action réside dans leur force de mobilisation collective et, surtout, leur possibilité de faire appel à l'opinion publique. La dissociation des mandats exécutifs locaux et du mandat parlementaire  fait que nombre de députés connaissant extrêmement mal la réalité des activités locales, en particulier de l'engagement personnes des femmes et des hommes qui s'y consacrent. Il était habituel que les grandes associations d'élus soient présidées par un député ou un sénateur. Le fait que cela ne soit plus possible rend plus difficile la prise en compte des réalités locales par le législateur.

La réforme constitutionnelle en cours de discussion prévoit une possibilité de différenciation au profit, dans les faits, des grandes collectivités, mais ne contient aucune garantie nouvelle dans le domaine de l'autonomie financière des collectivités. Il y  aura certainement au Sénat, dont la mission constitutionnelle est de représenter les collectivités , un débat très nourri sur ce thème.

Une telle situation a-t-elle des précédents ? Quels sont les risques auxquels Emmanuel Macron pourrait-être confronté ?

Jean Petaux : Oui au plan politique :  en dehors d’une timide percée aux municipales de 1959, les Gaullistes n’ont jamais brillé aux municipales, y compris à partir du départ du Général en 1969. Cela n’a pas posé de problème au général de Gaulle ni à Georges Pompidou pour présider au destin de la France. Mais c’était avant la décentralisation… Désormais en cas de conflit majeur entre les collectivités locales et l’Etat il faudrait forcément trouver la voie d’une sorte de « cohabitation » d’un nouveau genre qui serait entre le pouvoir centralisé  et des pouvoirs locaux, éclatés mais décentralisés.

Didier Maus : Le mécontentement des élus locaux n'est pas apparu avec la  présidence de M. Macron. La situation a véritablement commence à se dégrader après Jacques  Chirac. Au printemps 2017,certains ont eu le sentiment que la situation allaient changer et que la perspective d'avoir un dialogue régulier, en particulier à travers la conférence nationale des territoires, allait permettre de construire une véritable coopération entre les territoires et le gouvernement. Dès juillet 2017 ils ont déchanté, et depuis, ont véritablement acquis  la conviction qu'il existe une ligne politique totalement défavorable à la décentralisation. Le thème d'une recentralisation rampante, mais réelle, figure dans tous les discours des élus.

M. Macron doit se souvenir qu'en 1969 le référendum qui a conduit à la démission du général de Gaulle est largement du à la mauvaise humeur des élus locaux. Il existe une sensibilité locale, en particulier avec la confrontation aux réalités de la vie quotidienne, qui est mal perçue dans l'entourage de M. Macron. Le risque que les élus locaux abandonnent M. Macron existe. 

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