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Parents ? Enseignants ? Politiques ? Internet ? Mais qui est responsable de l'inquiétante montée de l’illettrisme dans les écoles françaises ?
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Bonnes feuilles

Toute une génération ne cesse de répéter « J’ai le droit », exprimant de manière péremptoire un « droit de s’élever contre » : l’école, l’autorité parentale, les règles communes et même la loi en général. Plus que jamais cette revendication symbolise un individualisme irresponsable et témoigne d’une faillite collective accablant. Extrait de "Génération 'J’ai le droit'" de Barbara Lefebvre, aux éditions Albin Michel (1/2).

Barbara Lefebvre

Barbara Lefebvre

Barbara Lefebvre, enseignante et essayiste. Auteur de C’est ça la France (Albin Michel). Elle a publié en 2018 Génération « j’ai le droit » (Albin Michel), était co-auteur en 2002 de l’ouvrage Les territoires perdus de la République (Pluriel)

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On pourrait croire que la multiplication des enquêtes nationales et internationales allait apaiser l’inépuisable débat sur le niveau des élèves français. Il n’en est rien tant la question est devenue plus politique que pédagogique. Corps enseignant, Inspection générale, chercheurs en « sciences de l’éducation », journalistes experts, tous s’accordent à dire que le niveau des élèves de 2017 est moins bon en orthographe, en grammaire, en lecture compréhension, en raisonnement mathématique qu’il y a vingt ans. Mais certains recourent à toutes sortes d’arguties pour assurer que nous n’avons rien compris, que si les résultats sont moins bons, le niveau ne baisse pas ! Nous serions victimes d’une illusion d’optique : en réalité le niveau monte, mais cette progression est inégalement partagée. Revoilà l’égalitarisme sous couvert « d’égalité des chances », la toise du « moyen », la dictature de la courbe de Gauss. Revoilà la question sociale qui permet aux idéologues d’éviter encore et toujours le débat sur les méthodes pédagogiques qui ont conduit à produire plus d’un tiers d’illettrés à la sortie du primaire.

Il faut d’ores et déjà éclaircir un point : j’entends par illettré un élève qui décode plus ou moins correctement, mais ne comprend pas ce qu’il lit. Un illettré est un lecteur non-compreneur. Cela exclut donc les élèves porteurs de troubles des fonctions cognitives (TFC), même mineurs comme les « dys ». On devrait d’ailleurs s’interroger sur l’explosion de diagnostics d’élèves dyslexiques et dysorthographiques depuis plus d’une décennie. Dans les salles de profs, on entend dire que « c’est une mode ». La pathologisation est une tendance apparue il y a une vingtaine d’années : tout est psychologisé, pathologisé avec des relents analytiques de café du commerce. Plutôt que de penser les problèmes en évaluant les effets des pratiques et méthodes enseignantes, on appelle le psy, l’orthophoniste, quand ce n’est pas le sophrologue ! Les véritables experts des TFC considèrent qu’il y a beaucoup de « faux diagnostics dys » puisque nombre de ces enfants sont rééduqués après seulement quelques séances d’orthophonie s’appuyant sur l’apprentissage syllabique. À l’inverse, un vrai dyslexique, en dépit des progrès qu’il peut faire, restera dyslexique et devra recourir aux différentes formes d’adaptation qu’il aura apprises pour compenser son trouble de la lecture et de l’écriture.

Les enseignants des collèges et lycées sont démunis face aux élèves toujours plus nombreux ayant un déficit en maîtrise de la langue orale et écrite. Les enseignants savent gérer les dys, mais pas l’illettrisme de masse. Nous devons enseigner des programmes toujours plus lourds avec des horaires disciplinaires inchangés, voire diminués sous l’effet des réformes successives. Sous la pression de nos inspecteurs, dans un temps record, on nous somme de boucler le programme alors que nos élèves ne maîtrisent pas les outils langagiers de base. Et cette situation délétère ne concerne pas que les disciplines littéraires : combien de fois ai-je entendu mes collègues de mathématiques ou de sciences faire le constat qu’ils n’arrivaient plus à enseigner tant les élèves étaient incapables de comprendre le sens d’un énoncé ou d’une consigne. Or, les mathématiques ne consistent pas à la simple acquisition de modes opératoires mécaniques, il s’agit d’enseigner une capacité à réfléchir, à conceptualiser et analyser des situations mathématiques. Ces études internationales ont bel et bien démontré la faiblesse des élèves français dans ces compétences analytiques, y compris parmi les bons élèves en maths !

Qui sont les responsables ?

Les parents ont leur part. Internet ou la télévision aussi, mais on leur fait porter le chapeau de tous nos renoncements, sur tous les sujets : de la baisse du niveau scolaire à la radicalisation islamiste en passant par la banalisation de l’alcool ou du porno chez les jeunes. Internet a bon dos. Les responsables sont aussi les enseignants dociles qui ont obéi au diktat des formateurs IUFM-ESPE obéissant eux-mêmes à la doxa d’universitaires militants et politiquement engagés que des inspecteurs, recteurs ou ministres ont légitimé comme « experts en sciences de l’éducation ».

Tous ces acteurs portent une part de responsabilité dans cette montée de l’illettrisme, condition de l’acculturation. Ils ont relayé, souvent avec sincérité et dévouement, la parole et les actes des gourous de la pédagogie socioconstructiviste qui ont fait main basse sur l’école dans les années 1970-1980, ont usé de leur magistère universitaire dans la plupart des lois relatives à l’éducation au cours des trois décennies écoulées. Ils ont transformé en profondeur les programmes, imposé leur mise en œuvre pédagogique en intégrant tous les cénacles institutionnels utiles, au premier rang desquels les organes de décision politique.

Ainsi, en est-il du Conseil national des programmes (1990-2005) créé sous Lionel Jospin dont le gros des troupes est nommé par le ministre, qui devient le Haut Conseil de l’éducation (2005-2013) sous François Fillon et enfin le Conseil supérieur des programmes installé par Vincent Peillon. Le nom change pour permettre au ministre de laisser son nom à un nouveau « bidule », mais l’objectif reste le même : permettre aux promoteurs de la pédagogie constructiviste de déraciner la culture française décrétée élitiste, discriminante, inégalitaire. La lecture du dernier rapport d’activité du Conseil supérieur des programmes rédigé sous la présidence de Michel Lussault, qui a depuis démissionné, est édifiante : verbiage, mots valises de la doxa à donner le tournis, invocation des dieux de la didactique et de la pédagogie pour réduire les inégalités sociales. À lire le CSP, la réduction des injustices sociales serait d’ailleurs la principale fonction de l’école avant même la transmission des savoirs qui n’est qu’une des modalités de cette sainte mission.

Plus le voile se lève sur les échecs du pédagogisme et ses discours creux, plus ses papes sont sur la défensive. Ces petits soldats de la déconstruction n’hésitent plus à calomnier publiquement ceux qui osent remettre en question le bien-fondé de leur idéologie. Cette agressivité des bien-pensants se retrouve dans d’autres champs du débat sociétal, en particulier la sociologie qui plus que jamais est l’otage du militantisme politique. Ainsi à l’école, plus les résultats de différentes enquêtes démontrent leur échec, plus les progressistes se radicalisent comme le courant pédagauchiste en est l’illustration.

En 2008, quand le ministre, Xavier Darcos, agrégé de lettres classiques, présenta les nouveaux programmes, il reprit à son compte le terme pédagogisme pour déplorer les effets de cette pseudo-science apparue au tournant du XXe siècle. Il eut droit à la bronca de la gauche et leurs syndicats affidés qui récusèrent l’usage de ce terme. Eux qui nomment le fait d’enseigner : mise en place des « dispositifs d’enseignement » ! Vous les entendrez toujours dire qu’ils sont l’objet de caricatures et que jamais, ô grand jamais, ils n’abaissent leur niveau d’exigence ni leur ambition d’accès aux savoirs. Mais alors comment expliquent-ils l’état d’acculturation d’une masse de plus en plus importante d’élèves, leurs élèves ? Qualifier le contradicteur d’antipédago et de conservateur pour refuser le débat, voilà à quoi se résume leur contre argumentation.

Il ne s’agit pas seulement de pédagogie, mais de philosophie politique. La dimension éminemment sociopolitique de la réflexion sur le sens de l’école, les contenus et les méthodes d’enseignement doit être assumée, car elle exprime une ambition civilisationnelle qui nous engage pour l’avenir. Elle ne se réduit pas à la seule réalité de ce qui se passe, aujourd’hui et maintenant, entre les murs de la classe. Le match conservateurs contre progressistes, anciens contre modernes, est une caricature, produite par la doxa pour prononcer ses excommunications. Mais si le match existe, puisqu’ils l’ont créé, il faut donc s’y engager.

On a le droit de trouver légitime que l’école soit conservatrice au nom même de l’idée de progrès, au sens élevé et ambitieux du terme et non au sens des Messieurs Homais de la « pédagogie moderne ». Quand on les entend invoquer la liberté et le progrès pour empêcher les nouvelles générations d’être les héritiers d’une culture qui les a précédés, en disqualifiant l’autorité du maître et des familles, le projet de déracinement est bel et bien en marche. Limiter l’accès des œuvres de la culture classique aux élèves de milieux populaires répond à une démarche profondément antidémocratique et méprisante. Récuser la culture classique parce qu’elle serait trop élitiste, qu’elle exigerait que les élèves soient accompagnés par l’enseignant dans son étude, parce que ces thématiques seraient trop éloignées des préoccupations sociales du moment, c’est ne rien comprendre à l’universalité et l’intemporalité d’Homère, Virgile, Racine ou Lamartine. La littérature jeunesse qui a envahi les programmes et l’école ne demande pas autant d’effort en effet. Pourquoi mépriser les enfants des classes populaires en leur déniant l’effort d’entrer dans les grands textes qui ont fait notre civilisation ? On ne s’y prendrait pas mieux pour éviter qu’ils ne s’enracinent dans une identité française. On ne s’y prendrait pas mieux pour faire advenir la démocratie moutonnière dont rêvent à la fois les chantres du libéralisme et ceux du communautarisme, tous deux unis dans un même projet de ségrégation économique et culturelle de la nation française.

Extrait de "Génération 'J’ai le droit'" de Barbara Lefebvre, aux éditions Albin Michel 

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