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Le Hezbollah est loin d'avoir été épargné par la plume d'Etienne Augé.
Le Hezbollah est loin d'avoir été épargné par la plume d'Etienne Augé.
©Reuters

La peur au quotidien

La peur et la haine : c'est ainsi que l'on pourrait résumer le quotidien des Libanais. Alors que beaucoup prédisent l'embrasement du pays dans le cadre du conflit syrien, d'autres se veulent plus réservés C'est le cas d'Etienne Augé qui vient de publier son nouveau roman : Loubnan. Témoignage et analyse d'un amoureux du pays du cèdre.

Etienne  Augé

Etienne Augé

Étienne Augé est spécialisé en propagande et diplomatie publique. Il a enseigné la communication et le cinéma de masse pendant dix ans au Liban et en Europe centrale. Il est aujourd'hui "Senior lecturer" en communication internationale à l'Université Erasmus de Rotterdam, et vient de publier son premier roman, Loubnan.

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Atlantico : Le personnage de votre roman Loubnan, Sean, qui est irlandais, décide de venir pour une mission au Liban, pays que vous qualifiez dans votre récit d' "hostile". Pourquoi ce choix de pays ? Qu'est-ce qui vous a vous-même, personnellement, incité à habiter au Liban ?

Etienne Augé : Premièrement, je n'ai pas choisi d'habiter au Liban au sens où, bien que j'y ai habité pendant douze ans, on m'y a envoyé. En tant que roman, c'est une fiction inspirée de mes expériences, et notamment de mes missions pour l'ambassade de France. Je suis resté au Liban ensuite pour des raisons plus personnelles. Lorsque je qualifie le Liban de pays "hostile", j'insiste sur le fait que pendant les douze années que j'y ai passées, j'ai vu pas mal de choses, y compris les conflits avec Israël, les bombardements... donc rien de très accueillant. Néanmoins, le pays demeure un cadre qui reste assez fantastique pour un roman car l'une de ses caractéristiques réside dans le fait qu'il s'agit d'unpays où l'on apprend beaucoup de choses sur la vie, sur soi-même, et que tout est possible. J'ai donc pensé qu'il s'agissait du cadre idéal pour ce roman. Mon intention était aussi de parler d'un pays et d'une région que je connais bien mais qui sont assez méconnus du grand public en raison des simplifications qui sont malheureusement faites à leur sujet.

Les scènes quotidiennes de psychose liées à la peur de l'attentat sont fréquentes: détecteurs de bombes en tous genres, miroirs sous les voitures... Des scènes qui se produisent également dans d'autres pays de la région comme en Turquie et en Israël. Y-a-t-il cependant une spécificité sécuritaire libanaise ?

La différence avec Israël, c'est que l'Etat vous protège. Lorsqu'il y a un attentat en Israël, c'est tout le pays qui réagit. Au Liban, ce n'est pas du tout le cas puisque l'Etat n'existe pratiquement pas. Il est supplanté parfois par le Hezbollah, qui est lui-même une organisation terroriste. Les Libanais sont courageux car ils doivent en grande partie se protéger par eux-mêmes. Par conséquent, la sécurité se privatise largement : on voit beaucoup de Libanais prendre des gardes du corps, même si parfois cela n'est pas du tout nécessaire, à la limite du show-off et du bling-bling. Les milices jouent aussi un rôle important dans ce business sécuritaire. Certains quartiers sont protégés par ces milices, à l'instar d'Amal, du Hezbollah, ou bien encore des Forces libanaises. En Turquie, la fréquence des attentats semble moindre qu'au Liban et en Israël, il y a moins de psychose sur le sujet.

Loubnan est particulièrement acerbe à l'encontre du Hezbollah. Le fait d'avoir choisi de publier votre roman en version numérique n'était-il pas un moyen d'échapper à la censure de la Sûreté Générale Libanaise, organe chargé notamment de la censure des œuvres culturelles et dont le président n'est autre qu'un proche du Hezbollah, Abbas Ibrahim ?

En guise de blague, nous avons d'ailleurs laissé sous-entendre que nous avions soumis le roman à cet organe. On a vu tellement de cas de livres qui se sont faits interdire, ou bien encore récemment le film de Zyiad Doueiri (L'attentat), parce qu'ils traitent justement de questions censées intéresser tout le monde. Malheureusement au Liban, il y a une telle chape de plomb sur un nombre de sujets impressionnants ! La censure s'exerce à trois niveaux : la censure sexuelle, la censure politique et la censure confessionnelle. Si je l'avais soumis à la Sureté Générale, très honnêtement, je pense qu'il ne resterait que trois pages, celles qui narrent des anecdotes gastronomiques. L'avantage de l'avoir publié sous format numérique, c'est que le livre est de fait accessible à tous les Libanais.

Le personnage de Sean est soumis à la propagande du Hezbollah en vue d'une potentielle intégration. Ce recours à des étrangers par le "parti de Dieu" est-il fréquent afin de gonfler ses rangs ?

Il n'est pas fréquent mais constant. Au cours de la guerre de 2006, j'ai eu la chance d'être à Paris pendant les événements. J'ai pu alors voir à quel point le Hezbollah exerçait sa propagande à Paris auprès des bonnes bourgeoises du XVIème arrondissement, vêtues de leurs carrés Hermès, et prenant fait et cause pour leurs revendications. Par ailleurs, les liens que je décris dans le livre entre l'IRA et le Hezbollah existent. Le Hezbollah fait partie d'une vaste nébuleuse terroriste, ayant donc entretenu des liens avec l'IRA, et en entretenant aujourd'hui avec de nombreuses organisations à caractère international. Pour beaucoup d'entre elles, le but est de détruire un système incarné par les Etats-Unis mais aussi par Israël. La haine envers Israël a plusieurs raisons, dont l'une d'elles est très idéologique : le fait qu'Israël soit passé d'un pays à vocation très socialiste à celui régi par un système capitaliste. Par conséquent, le Hezbollah réussit à recruter de très nombreux gens pour leurs combats qui se sentent proches de leurs aspirations, notamment pour ce qui est de la destruction d'Israël. Ils considèrent qu'en anéantissant Israël, ils mettent ainsi à mort l'un des suppôts du capitalisme. Il n'y a donc rien de religieux là-dedans. 

La confessionnalisation, caractéristique politique et sociale du Liban instaurée par les Ottomans en 1861 et entérinée par les Français dans les années 1920, est-il le seul facteur expliquant le fait que le Liban soit une véritable poudrière ?

Moins qu'un prétexte, il s'agit davantage d'un facteur. Il ne faut pas se méprendre lorsque l'on parle de la multiconfessionalisation du Liban. Seules dix-huit confessions sont recensées. De plus, le dialogue inter-religieux n'a lieu qu'entre chrétiens et musulmans, et non pas entre juifs et bouddhistes par exemple. Les facteurs qui contribuent à faire du Liban une poudrière résident dans le fait qu'il s'agit de différentes communautés, voire même de féodalités, forcées de coexister entre elles. Cela pourrait être un laboratoire de coexistence extraordinaire mais c'est exactement l'inverse qui se produit. Lorsque l'on prend des gens qui, non seulement, n'ont presque rien en commun, et qui en plus disent et pensent des choses qui vont à l'encontre de ce que le voisin pense, on en arrive soit à ce qui se passe actuellement à Stockholm, soit au Liban. On pourrait néanmoins citer quelques exemples de coexistences réussies, comme par exemple l'Afrique du Sud. Au Liban, au lieu de trouver un langage qui permet de communiquer avec l'autre, on se transmet la haine de génération en génération. C'est quelque chose d'assez effrayant au sens que la religion est un prétexte. Une des choses que j'ai vraiment apprise au Liban, c'est la signification du mot "haine". C'est assez spectaculaire pour un petit Européen.

Vous étiez au Liban il y a peu encore. Quelle est l'ambiance depuis le début de la guerre civile syrienne ? L'afflux massif de réfugiés syriens, après celui des réfugiés palestiniens, ne vient-il pas encore davantage fragiliser l'équilibre social du Liban ? Comment peut-on d'ailleurs définir aujourd'hui un Libanais ?

Définir un Libanais est quelque chose d'assez difficile. Les Libanais ont du mal à se définir sauf quand ils sont à l'étranger. Mais finalement c'est un peu pareil pour tout le monde, y compris pour moi en tant que Français qui vit à l'étranger. En ce qui concerne l'impact de la guerre civile syrienne, il faut rappeler qu'il y a toujours eu des flots importants de Syriens, d'ouvriers notamment, qui viennent au Liban pour gagner leur vie en tant que journaliers. L’atmosphère à Beyrouth n'a pas vraiment changé dans le sens où la peur colossale du lendemain demeure. Tout le monde est effrayé par l'idée de savoir ce qui va se passer, le lendemain, compte tenu du fait qu'il y a de moins en moins d'espoir. Il y a pourtant eu un pic d'espoir à la fin des années 1990. Je me souviens d'un discours de l'ambassadeur de France au Liban de l'époque, au cours duquel il avait lancé : "Et pourquoi pas un jour aller manger du poisson à Tel-Aviv!". Aujourd'hui, tout le monde a peur que le Liban s'embrase à nouveau au regard de l'étendue du conflit syrien sur son territoire. A Tripoli, ça canarde en permanence, entre les Alaouites, les Sunnites...Le climat de peur tient au fait que tout le monde sait que si les rebelles syriens gagnent, cela va complètement changer le pays, de même que s'ils perdent. Bachard al-Assad, bien qu'étant un tyran sanguinaire, assure un certain status quo, comme le faisait également Saddam Hussein. Celui-ci risque de perdurer s'il parvient à se maintenir au pouvoir, ce qui n'est pas forcément une bonne chose. L’hétérogénéité des ambitions des rebelles syriens est un vrai problème. Tout le monde n'est pas dans la guerre contre Bachar al-Assad pour les mêmes raisons: il n'y qu'a voir le nombre extraordinaire de salafistes parmi leurs rangs. Quant à ceux qui soutiennent le régime syrien, on peut citer le Hezbollah qui a envoyé des milliers de guerriers pour protéger le régime. Mais là aussi, le Hezbollah n'a pas forcément les mêmes objectifs que la Syrie dans la mesure où la Syrie vit très bien avec Israël alors que le Hezbollah veut détruire l'Etat hébreu. Très honnêtement, je pense que personne n'est en mesure de pouvoir prédire les évènements dans la région. Une chose que j'ai apprise au Moyen-Orient, c'est que tout est possible. A titre d'exemple, personne n'a vu venir la guerre de 2006. On pensait tous qu'on allait passer le meilleur été possible. Ce n'est donc pas parce que beaucoup de gens prédisent actuellement la guerre que cela va effectivement avoir lieu. Il ne faut pas oublier que le Moyen-Orient est un des terrains de ce qui était autrefois la Guerre froide et de ce qui est aujourd'hui une sorte de clash des civilisations. La raison pour laquelle les Européens et les Américains n'interviennent pas, c'est qu'ils n'ont pas envie de refaire les mêmes erreurs qu'en Irak et Afghanistan. Personnellement, je ne sais pas qui soutenir de Bachar al-Assad ou des rebelles: les deux me font tout autant horreur.

Propos recueillis par Thomas Sila

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