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Oui, la France dépense un "pognon de dingue" sans effet majeur sur la pauvreté. Mais Emmanuel Macron oublie totalement une brique du raisonnement (et voilà laquelle)
©REGIS DUVIGNAU / POOL / AFP

Gros bémol

Emmanuel Macron critique la vision curative des aides sociales. Mais il propose lui-même une vision curative du curatif, en évitant de chercher la cause.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Sibeth Ndiaye, conseillère en communication d'Emmanuel Macron a pu rendre publique une vidéo, à l'occasion de la préparation de son discours au congrès de la Mutualité relatif aux aides sociales, au cours de laquelle le président déclare "Moi je ferais un constat qui est de dire, tout le système social, on met trop de pognon, on déresponsabilise et on est dans le curatif". Comment déconstruire la vision économique développée par Emmanuel Macron sur la base d'une telle déclaration ?

Nicolas Goetzmann : Il y a deux éléments distincts dans cette déclaration. D'une part, Emmanuel Macron fait le constat d'un système "curatif", c’est-à-dire que les aides sociales permettent de traiter les conséquences des situations, mais ne visent aucunement à en traiter les causes. Sur ce point, il n'y a pas de difficultés, le constat ne prête pas réellement au débat, mais cela ne veut pas dire pour autant que les aides sociales seraient mauvaises par nature.

D'autre part, Emmanuel Macron évoque la notion de responsabilité. L'idée sous-jacente est que les aides sociales conduiraient une partie de la population à "profiter du système" – elles sont déresponsabilisées- en touchant les aides tout en ne fournissant pas les efforts nécessaires pour trouver un emploi par exemple. La vision qui émerge ici est celle d'une politique qui chercherait à réduire les aides sociales, ce qui permettrait "d'inciter" les allocataires à chercher un emploi. Mais cette vision fait abstraction de la réalité.

Au cours de ces 10 dernières années, l'emploi (industrie, construction et tertiaire marchand) a progressé de 0.48% en France (entre le T1 2008 et le T1 2018) alors qu'il avait progressé de 15.41% la décennie précédente. La France a créé plus de 2.2 millions d'emplois sur ces seuls secteurs entre 98 et 2008 alors que seuls 80 000 emplois ont été crées au cours de la décennie suivante. C'est un rapport de 1 à 27 sur les deux décennies. Il est difficile de faire porter la "responsabilité" de ce constat sur les épaules d'allocataires "déresponsabilisés". Parce que chercher un emploi n'est pas réellement une garantie de pouvoir en trouver un. C'est l'incapacité du pays à créer de l'emploi qui provoque ce besoin d'aides sociales, et non l'inverse.

La question qu'évite Emmanuel Macron, dans sa déclaration, c'est celle des causes de ce résultat catastrophique sur le front de l'emploi en France depuis 10 ans. Peut-être qu'une autre cause que la simple "responsabilité" pourrait expliquer cela ?

Emmanuel Macron critique la vision curative des aides sociales, mais il propose lui-même une vision curative du curatif, il rajoute une couche, et évite de chercher la cause.

A titre de comparaison, le Royaume Uni a vu le nombre de personnes en emploi progresser de 8.71% entre 2008 et 2018, si la France avait suivi le même rythme, ce sont 1.450 million d'emplois qui auraient été créés et non 80 000. Il y a donc bien quelque chose à faire.

Comment évaluer le diagnostic économique qui sert de base à cette vision, et comment le comparer à la situation de l'économie française ?

C'est la recherche de la cause de cette stagnation de la création d'emplois en France depuis 10 ans qui importe. Et puisqu'Emmanuel Macron propose une vision économique de l'offre, il peut être intéressant de regarder ce qu'il s'est passé sur le terrain de la demande au cours des deux périodes. Juste pour voir. Entre 98 et 2008, la croissance de la demande en France (croissance + inflation) a été de 50%. Elle n'a été que de 16% entre 2008 et 2018. Nous sommes passés d'une croissance annuelle de la demande supérieure à 4% à un rythme de 1.50% post crise. Nous avons perdu 70% de notre rythme de croissance en route, d'une décennie à l'autre.

Voila pourquoi il est intéressant de comparer avec le Royaume Uni, parce que la politique qui a été menée par Londres, comme celle menée aux États Unis, c'est une politique de soutien massif par la demande via l'outil monétaire – et non budgétaire- . La croissance de la demande au Royaume Uni a été de 30% entre 2008 et 2018, et de 36% aux États Unis, soit plus du double de celle connue en France. Des allocataires aux salariés, en passant par les entreprises, tout le monde est perdant dans cette agonie de la demande en Europe. Les Banques centrales anglo-saxonnes ont été mises au service du plein emploi, c’est-à-dire de l'activité économique, contrairement à ce qui a été fait en Europe. Aux États Unis, depuis le pic du chômage qui date de la fin 2009, ce sont près de 18 millions d'emplois qui ont été créés. Et les entreprises n'ont pas créé des emplois pour faire plaisir aux pouvoirs publics mais pour répondre à cette force de la demande. Alors quand Emmanuel Macron parle de déresponsabilisation, il devrait s'interroger. Parce que pour mener une telle politique de plein emploi, c'est un combat politique qui doit être mené au niveau européen, et dont il est le seul responsable en ce qui concerne les Français.

Dès lors, quelle est la vision alternative qui peut être opposée à celle-ci ?

Si l'objectif est de réduire les aides sociales, le meilleur remède c'est la création d'emplois. Et si l'on veut être efficace sur ce point, c'est la politique monétaire qui est concernée. Si le mandat de la Banque centrale des Etats-Unis, la FED, vise la recherche de l'emploi maximum, ce n'est pas une figure de style, c'est parce que cela est en son pouvoir. On peut se rappeler la phrase de Paul Krugman, Prix Nobel d'économie, sur ce point " "Si vous voulez un modèle simple pour prédire le taux de chômage aux États Unis au cours des prochaines années, le voici : il sera là ou Greenspan (ancien président de la FED) veut qu'il soit, plus ou moins une marge d'erreur reflétant le fait qu'il n'est pas tout à fait Dieu". Mais apparemment, Emmanuel Macron n'est, soit pas au courant, soit il préfère ignorer un sujet qui risque de fâcher ses partenaires européens. Il est plus facile de parler d'allocataires déresponsabilisés que de regarder la réalité en face. Et concernant les entreprises dont Emmanuel Macron semble vouloir incarner les intérêts, il est probable que celles-ci se posent un jour la question de savoir pourquoi le pouvoir économique des États Unis et du Royaume Uni offre un environnement de fort soutien à la demande, réalisé au travers des politiques monétaires, alors qu'il est saccagé en Europe. Parce que le doublement de la croissance de la demande, c’est-à-dire le doublement de la croissance du Chiffre d'Affaires pour les entreprises, pourrait les intéresser. Et c'est aussi ce qui permet aux entreprises américaines de pouvoir compter sur un marché domestique robuste, alors que les entreprises françaises font tout ce qu'elles peuvent pour se projeter vers l'extérieur, à la recherche d'une demande disparue.

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