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Oui, il existe des solutions pour contrer la finance sans visage... mais êtes-vous vraiment prêts à les appliquer ?
©Reuters

Bonnes feuilles

Le monde est entré en ébullition. Tout ceci a une cause globale : la mondialisation malheureuse. Thomas Guénolé soutient que si la grande connexion mondiale des peuples, des économies et des cultures est irréversible, en revanche cette mondialisation malheureuse n'est pas inévitable. Solutions concrètes à l'appui, il propose de la remplacer par l'altersystème : une mondialisation à visage humain. Et il affirme que la victoire prochaine d'un parti altersystème dans une grande puissance économique mondiale est inéluctable. Extrait de "La mondialisation malheureuse", de Thomas Guénolé, aux éditions First 1/2

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po. Son dernier livre, Islamopsychose, est paru aux éditions Fayard. 

Pour en savoir plus, visitez son site Internet : thomas-guenole.fr

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La finance n’est pas sans visage

« Ou bien t’es à l’intérieur, ou alors tu n’es rien du tout. Faut pas te gourer, je te parle pas de gens qui gagnent dans l’année 400 000 dollars à Wall Street et qui sont pas trop mal logés et qui voyagent en première classe. Je te parle de liquide. Être bourré de fric, assez pour avoir ton jet. »

Gordon GEKKO, personnage du film Wall Street (1987), écrit et réalisé par Oliver STONE

Le mot « crise » provient du grec ancien κρίσις, qui a trois sens possibles  : la décision, le résultat ou la contestation. Le krach de 2007-2008, dont les effets se font encore sentir dix ans après, recouvre toutes ces significations à la fois. Des décisions furent prises en amont du krach, qui le rendirent possible puis le provoquèrent. Le résultat de ces décisions fut une gigantesque catastrophe planétaire : d’abord financière, puis politique, économique, sociale et humanitaire. Enfin, à la façon d’une marmite en croissante ébullition, ce résultat provoque depuis lors des mouvements de contestation dans des pays de toutes cultures et de tous niveaux de développement contre la folie de la finance mondialisée.

Dans la plupart des pays de la planète, toute personne, toute entreprise peut décider d’arrêter de fournir elle-même des munitions au système financier. Il lui suffit de fermer son compte dans la banque dont elle est actuellement cliente, pour passer à une banque qui ne spécule pas en Bourse en même temps qu’elle accueille l’argent des ménages et des entreprises. De telles banques existent. Par exemple, en France, c’est le cas de la Banque postale ou, sous une forme encore plus coopérative, de la banque éthique La Nef.

Par ailleurs, chaque fois qu’un État sauve une firme financière que ses propres abus ont fait s’écrouler, il pourrait imposer le licenciement pur et simple, pour faute lourde et donc sans indemnités, de toute l’équipe dirigeante qui a coulé le navire par incompétence. En réponse au célèbre « too big to fail » servant à justifier le sauvetage des grandes banques, ce principe très clair et très simple pourrait être baptisé « too dumb to stay ».

Plus profondément, pour que ne puisse pas se reproduire une catastrophe boursière telle que le krach de 2007-2008, il est urgent et vital de rétablir les trois réformes draconiennes imposées par le président états-unien Franklin D. Roosevelt après un autre grand krach boursier : celui de 1929. D’une, il instaura un contrôle strict des entrées et des sorties de capitaux : cela pour empêcher que des afflux et reflux brutaux de capitaux puissent déstabiliser l’économie du pays jusqu’à l’écroulement. De deux, il instaura une séparation très stricte entre les banques d’affaires, qui spéculent en Bourse, et les banques de détail, qui récoltent l’épargne et font des prêts dans l’économie réelle : cela pour empêcher qu’un krach puisse se propager à toute l’économie via l’effondrement des firmes à la fois banques d’affaires et banques de dépôt. De trois, en faisant adopter les accords internationaux de Bretton Woods, Franklin D. Roosevelt attribua aux monnaies du monde une valeur fixe fondée sur l’étalon-or. Ainsi, chaque monnaie du monde valait une certaine quantité d’or, à charge pour chaque gouvernement de ne quasiment pas s’en écarter.

Le simple fait que toutes ces mesures aient déjà été appliquées il y a plus de quatre-vingts ans prouve qu’elles ne sont aucunement impossibles. Certaines grandes puissances économiques les ont d’ailleurs utilisées encore récemment. Par exemple, le Brésil a instauré en 2010 le contrôle des capitaux pour ralentir la vague immense d’investissements étrangers dans son économie : il craignait, à raison, que par la suite un retrait tout aussi massif provoque un effondrement économique. Autre exemple, le Royaume-Uni a adopté les règles de séparation entre banques d’affaires et banques de détail les plus sévères d’Europe.

À dire vrai, parmi les trois grandes réformes rooseveltiennes, seul le retour au système monétaire de l’étalon-or poserait d’énormes problèmes pratiques. Néanmoins, une alternative existe. Les droits de tirage spéciaux sont une monnaie mondiale fabriquée par le Fonds monétaire international mais peu utilisée. Ils pourraient devenir sans difficultés techniques l’étalon de mesure d’un nouveau système monétaire où la valeur des monnaies serait stable. C’est d’ailleurs ce que propose depuis plusieurs années la République populaire de Chine, 2e puissance économique mondiale.

Ressusciter les accords de Bretton Woods, mais en remplaçant l’étalon-or par les DTS, résoudrait un énorme vice de construction de la finance mondialisée. Nous avons tous appris à l’école que si A = B et B = C, alors A = C. C’est la loi de la transitivité. Pourtant, au mépris du sens logique le plus élémentaire, le système financier ne respecte pas cette règle ! Si vous avez la valeur du dollar en yens et celle du yen en euros, vous ne pouvez pas en déduire la valeur du dollar en euros. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce sont trois cotations différentes en Bourse, déconnectées les unes des autres. Ce fonctionnement absurde contribue à rendre la finance mondialisée très instable : chaque fois qu’il génère des situations aberrantes d’un couple de monnaies à un autre, de grandes firmes financières spécialisées s’empressent de profiter de la faille, jusqu’à ce qu’elle disparaisse à force d’avoir été exploitée par trop de ces firmes.

Enfin, la réforme la plus utile pour encadrer et moraliser la finance mondialisée serait la taxe Tobin. Inventée par le prix Nobel d’économie James Tobin, son principe est très simple : prélever un minuscule pourcentage d’impôt sur chaque transaction financière, quelle qu’elle soit. Cela permettrait de calmer la frénésie du système financier, qui de nos jours peut même aller jusqu’à confier ses décisions à des ordinateurs automatisés passant plus de 8 000 transactions par seconde. En outre, le volume total des transactions financières étant gigantesque, cette taxe permettrait aux États de récolter d’immenses sommes d’argent même en ne prélevant qu’un pourcentage très faible. Cela leur permettrait donc de financer des politiques sociales et humanitaires ambitieuses, ou de combler leurs déficits, sans pour autant empêcher les acteurs financiers de réaliser des profits.

La seule condition pour que la taxe Tobin fonctionne, c’est qu’elle soit instaurée dans une zone économique si puissante que les grandes firmes financières ne peuvent pas prospérer sans y travailler : car sinon elles réagiront en contournant la place financière qui l’applique. À ce jour, le projet de taxe Tobin le plus avancé sur la planète est d’ailleurs porté par une zone économique immense, l’Union européenne ; plus précisément par une avant-garde de 11 pays pionniers. Le pourcentage prélevé serait de 0,01 à 0,1 % selon le type de placement financier et, selon la Commission européenne, ces taux très faibles suffiraient pour récolter au moins 57 milliards d’euros par an. Il faut toutefois souligner qu’à force de lobbying des grandes firmes financières et de quelques États d’Europe – notamment le Royaume-Uni – la mise en place de cette « taxe Tobin européenne » traîne en longueur. Pourtant, si des mesures draconiennes ne sont pas prises pour réencadrer et re-discipliner le système financier, la répétition à brève échéance d’une catastrophe au moins aussi grave que le krach de 2007-2008 est inéluctable.

Extrait de "La mondialisation malheureuse", de Thomas Guénolé, aux éditions First, septembre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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