Oubliez leurs dangers sur la santé : ce que les plats préparés mettent vraiment en péril, c'est votre vie de famille !<!-- --> | Atlantico.fr
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Les parents consacrent de moins en moins de temps à la préparation des repas.
Les parents consacrent de moins en moins de temps à la préparation des repas.
©Reuters

A table !

A cause de leurs horaires de travail ou des activités extrascolaires de leurs enfants, les parents consacrent de moins en moins de temps à la préparation des repas.

Jean-Pierre Corbeau

Jean-Pierre Corbeau

Jean-Pierre Corbeau est Professeur de Sociologie de la consommation et de l’alimentation à l’Université de Tours où il est responsable de la licence professionnelle de « Commercialisation des vins ».

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Atlantico : Les parents semblent avoir moins de temps qu'auparavant à consacrer à la préparation du repas à cause de leurs horaires de travail ou des activités extrascolaires des enfants. A Los Angeles, une étude nous révèle que ce manque de temps n'est pas la seule explication au changement d'habitudes concernant les repas de famille. Le contenu du réfrigérateur aurait également sa part de responsabilité. On y trouve par exemple de plus en plus de plats préparés faits pour une ou deux assiettes, et le choix du plat devient rapidement source de conflit intergénérationnel. Cette évolution est-elle également visible en France ? Quelles peuvent en être les autres conséquences ?

Jean-Pierre Corbeau : Il ne faut pas comparer Los Angeles et la France, car les habitudes alimentaires, et surtout l'importance de l'acte culinaire, y sont différentes. Les Français (toutes catégories sociales confondues) expriment encore leur désir de cuisiner - au moins dans des repas améliorés - même si leur pratique contredit quelques fois ce vœu déclaratif. "L'externalisation" de la préparation des repas en France s'inscrivait effectivement dans une trajectoire d'impossibilité pour les femmes de cuisiner comme leurs mères : quand le travail féminin, hors domicile, se développe dans les catégories ouvrières à la fin de la première décennie des "Trente Glorieuses", l'autocuiseur permet - surtout la semaine - un gain de temps sur la préparation du repas. Lorsque des imprévus ou l'augmentation du temps de transport empêchent la programmation d'un four ou l'aide de la "cocotte minute", on fait alors appel à des produits appertisés. Dans les catégories plus privilégiées, au moment où le travail domestique ne peut plus être assuré par du personnel (accord de Grenelle et explosion des charges sociales), l'apparition de plats préparés surgelés "haut de gamme" (gamme Findus réalisée par  Michel Guérard), et un peu plus tard de plats sous vide (William Saurin et Bocuse, la gamme Loiseau, Fleury-Michon, Joël Robuchon, etc.) permettent  de concilier goût, distinction sociale et absence de contrainte de préparation. Les grandes enseignes de la distribution "démocratisent" cette offre en même temps que les Picard, Thiriet et autres transformateurs plus spécialisés dans des produits  tels que la pizza, les poissons cuisinés, les plats exotiques, les burgers, ou encore les lasagnes ! Ils s'adressent et satisfont l'ensemble de la population.

Mais, si les Français ont recours, selon leurs origines et leurs revenus, à cette offre, celle-ci se situe toujours dans une logique d'intermittence liée aux contraintes de travail (on cuisine plus le weekend) et à l'intérieur de la structure du repas (entrée préparée et plat prêt à manger, ou inversement).

Par ailleurs, beaucoup de ces plats s'adressent à des urbain(e)s qui sont seul(e)s au domicile, d'où les packaging individualisés (plus chers) qui permettent également aux membres d'une famille de manger ensemble tout en mangeant différemment. Il est très rapide et facile de décongeler au micro-onde un plat pour un adolescent qui n'aime celui cuisiné par la famille.

La pluralité de l'offre et son utilisation montre bien qu'en s'inscrivant dans un désir de cuisiner - toujours français - les plats tout prêts ne provoquent pas, en France, la disparition de l'acte culinaire - plus important sur l'ensemble de la semaine qu'il y a une dizaine d'années - et qu'il n'est pas synonyme de conflits intergénérationnels puisqu'il y a du choix et que l'importance est donnée à la convivialité plus qu'au partage d'un met unique et fédérateur familial. 

Les repas ont relativement évolués au cours des années : consistance, heure du passage à table, dîner en décalé, ou encore place de la télévision... Quelle est l'importance de ces changements sur les relations familiales ? 

Nous sommes de plus en plus basés sur le modèle du "libres ensembles" dans les familles françaises. Le repas méridien est souvent pris à l'extérieur et, le soir, l'appropriation du territoire familial peut se faire à travers des prises alimentaires multiples (phénomène tapas etc) qui se substituent au hors d'oeuvres des anciens et qui n'obligent pas à une sédentarité du groupe familial. L'alimentation familiale qui demeure conviviale peut se faire en amont (et en aval !) du plat principal qui réuni généralement tout le monde, que ce soit de façon commensale ou individualisée. On assiste alors à des formes de nomadisme dans le domicile : chipotages de légumes trempés dans des sauces, de charcuteries tranchées, d'olives, de morceaux de fromages, de biscuits salés, de noix, etc, pour ce qui est de l'amont. Puis, les desserts sont pris en soirée devant la télé ou l'écran, dehors s'il fait beau et que l'on possède un balcon ou un jardin. Le tout en vacant à ses occupations tout en parlant avec les autres. Ce nomadisme favorise les produits croustillants et liquides. La diminution des contraintes de sédentarité autour de la table accentue le sentiment de liberté et, les repas plus traditionnels "théâtralisés" sont mieux acceptés comme des temps festifs - moins long dans leur protocoles qu'il y a quelques décennies - affirmant l'identité familiale.

Finalement, à l'heure de l'individualisme, le repas n'est-il pas le dernier moyen de souder la famille, d'échanger ?

Je pense que nous sortons de l'individualisme pour aller vers "l'égotique", c'est-à dire la construction du monde depuis l'ego. Dans cette perspective, faire la cuisine permet d'exister et de se valoriser. Ceci explique le retour de l'acte culinaire en France comme, peut-être, une stratégie (inconsciente) de se rassurer, de reconstruire des filiations pour des urbains (fragilisés par l'hyper-individualisme des deux dernières décennies). Parmi ces filiations symboliques, on voit la résurgence de l'identité familiale, de la transmission, mais aussi le désir d'être associé à la production de l'aliment qui pénètre notre corps et que l'on désire sain, territorialisé, porteur d'une histoire dans laquelle on peut se reconnaître.

Propos recueillis par Mathilde Cambour

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