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Ne tuons pas Kadhafi - même si c'est tentant ! Jugeons-le !
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Faut-il terroriser les terroristes ?

Muammar Kadhafi pourrait désormais être pris directement pour cible par les forces de l'Otan. Une résolution de l'ONU légitimerait le fait de cibler le leader libyen "parce que, en tant que chef de l'armée, il a un rôle de contrôle et de commande, ce qui en fait une cible légitime", selon les propos rapportés d'un représentant militaire de l'Otan par CNN. Mais en droit de la guerre, peut-on assassiner le Guide libyen ?

Guillaume  Lasconjarias

Guillaume Lasconjarias

Guillaume Lasconjarias est historien militaire et chercheur à l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM).

 

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Dans un ouvrage récent, au titre très évocateur (Les coups tordus de Churchill), un ancien agent du SOE – l’organisation montée par le Premier ministre britannique pour porter le fer et le feu sur le continent pendant le second conflit mondial – évoquait la palette sur laquelle des services pouvaient jouer pour frapper fatalement un régime ou ses principaux dirigeants. L’une, souvent rapportée, visait directement Adolf Hitler, alors qu’on ne retient souvent que le spectaculaire attentat organisé et mis en œuvre par la résistance intérieure, dont la conséquence fut finalement pire avec un renforcement accru du régime, une répression terrible et la descente vers les ténèbres.

Aujourd’hui, alors que se poursuivent les frappes aériennes sur Tripoli et sur les principaux centres de commandement des forces libyennes, les médiations internationales achoppent en partie sur la question d’un départ du Guide libyen. Si l’on définit la stratégie comme un choc des volontés, il s’agit là d’un bel exemple d’opposition entre ce que les uns jugent impératif, et l’autre impensable. Devant ce qui paraît une clause non-négociable, quelles options poser et quelles solutions proposer pour éviter un scénario d’enlisement ? Dans l’opinion américaine, plusieurs sénateurs aussi influentsque l’ancien candidat à la Maison blanche John McCain ont déclaré vouloir en finir de façon définitive avec Kadhafi. Lindsey Graham, une sénatrice républicaine, a affirmé sur CNN en guise de conseil à l’OTAN de « couper la tête du serpent. Allons à Tripoli, bombardons le cercle des intimes de Khadafi, ses bunkers et ses sites de commandement ». En écho, John McCain proposait de cibler le dirigeant libyen, tout en doutant paradoxalement d’un coup de chance qui éliminerait la source du problème.

Si l’actualité, chaque jour, bruisse des annonces de raids menés sur la capitale libyenne, il semble bien que l’on soit dans une situation de pat stratégique, que l’OTAN – avec ses principaux contributeurs – cherche à rompre pour reprendre l’initiative et éviter un scénario d’enlisement. Depuis plusieurs semaines, sous prétexte d’un respect strict de la résolution 1973 de l’ONU, les appareils de la Coalition cherchent à désorganiser l’architecture du commandement militaire libyen, à déstructurer ses capacités militaires et entraîner par conséquent la déréliction d’un régimeencore capable de coups de griffes redoutables, face à une insurrection faible. Aussi, dans cet esprit, les opérations de ciblage, de fait, se limitent aux nœuds de communication, aux entités de commandement et aux lieux de décision d’où partent les ordres et les messages destinés à appuyer et ordonner la répression et les attaques sur les insurgés. De targeting sur la personne de Khadafi, point n’est question.

Or, au début du mois dernier, le général canadien Charles Bouchard, commandant l’opération Odissey Dawn, s’est montré quelque peu embarrassé face aux questions posées par des journalistes qui l’interrogeaient sur l’annonce de la mort dans un raid d’un fils de Khadafi – Saif al-Arab. Comment concilier le ciblage d’objectifs militaires et la mort de « civils », même si ces dernières appartiennent au premier cercle des proches de Khadafi ? On se trouve dès lors dans un entre-deux désagréable, bien que l’on puisse considérer que dans un régime aussi centralisé que la Libye, le chef politique est aussi chef militaire.

Ce refus d’un terme d’une rare violence – assassinat, meurtre – ne peut être simplement vu comme un voile pudique ou une hypocrisie. Il renvoie à des fondements profonds du droit international, qui a vu pendant des siècles la lente marche vers l’affrontement d’États et non la simple continuation de conflits de personnalités, bien que la part des individus n’ait jamais été écartée. Un éditorialiste américain, Stephen Walt, donnait récemment une suite d’arguments justifiant une politique de frappes ciblées et d’assassinats : pour lui, il s‘agit d’une logique d’économie, alors que les coûts faramineux d’une guerre pèsent sur les parties prenantes et entraînent leur cortège de destructions. L’identification d’une personnalité et son élimination appartient par ailleurs au registre des groupes terroristes comme à celui des États qui peuvent rétorquer, l’affaire de la traque de Ben Laden en étant un exemple récent. Enfin, et depuis Nuremberg, les leaders nationaux sont considérés comme responsables moralement et individuellement des actions entreprises sous eux. Bien sûr, le même polémiste s’interroge sur les frappes collatérales, sur l’enchaînement des vengeances et sur l’impossibilité d’obtenir un retour à l’équilibre.

Le combat se transporte donc toujours sur le plan moral et éthique qui ouvre d’autres débats. Passons outre ces (nécessaires) contraintes pour approfondir les limitations tactiques et techniques qu’impliquerait le choix de l’assassinat. Tactiques, puisqu’il s’agit de disposer, dans un premier temps, de renseignements de qualité, qu’il faut non seulement acquérir, mais aussi recouper et valider, ces informations ayant sans nul doute une durée de vie parfois limitée. Certes, dans le cas d’une boucle décisionnelle courte, il serait possible de frapper vite et peut-être avec succès.Techniquement, les moyens à disposition demeurent dans les mains d’un petit nombre d’États si l’on considère par exemple les problèmes des munitions et la précision comme la létalité des bombes aujourd’hui employées. Financièrement parlant, les coûts sont exorbitants, qu’il s’agisse de monter une structure ou d’animer un système humain destiné à mettre en œuvre ces politiques du pire. Enfin, qui peut prétendre à un résultat sûr et à des conséquences maîtrisées, surtout dans l’environnement médiatique actuel, où les images s’affrontent dans une volonté d’accaparement et de captation de l’opinion publique internationale ?

En 1976, le président Ford condamnait l’assassinat dans l’Executive order n°11905 lequel interdisait à « tout employé du gouvernement des États-Unis d’Amérique d’entreprendre, de conspirer ou de mener des assassinats politiques ». Carter après lui, Reagan de même, réitérèrent cette défense, ce qui n’interdit pas à ce dernier de bombarder Tripoli et les résidences de Khadafi en 1986 en représailles à un attentat dans une discothèque de Berlin ayant tué plusieurs soldats américains. L’idée, reprise et prolongée sous une autre forme après le 11 Septembre tient dans la capacité à agir selon le principe de défense légitime, en affirmant que ceux qui se placent hors de la loi et qui emploient la terreur soit contre d’autres nationaux, soit contre leur peuple, se retranchent de l’humanité et des droits afférents. Terroriser les terroristes, et les poursuivre, quitte à employer des méthodes extrêmes.

Seul un naïf irait jusqu’à ignorer que tout dépend de la volonté politique et des États de choisir tel ou tel mode d’action. Cependant, dans une recherche du consensus et de l’apaisement, il ne peut être question de se mettre sur le même plan moral et éthique que ceux qu’on dénonce. Au contraire, la force et la vitalité du système démocratique tient à sa capacité à résister, à poursuivre, à dénoncer, à condamner, à porter devant l’ordre international les fauteurs de trouble, selon un critère de rationalité ou la force de l’exemplum, l’exemple hagiographique, servirait de leçons éternellement valides. Ainsi, par bien des égards, l’arrestation de Mladic après une cavale d’une dizaine d’années est sans doute plus riche d’enseignements sur la résilience des sociétés et leur choix d’assumer un processus de justice.

(Le titre fait référence à l’ouvrage de Thomas de Quincey paru en 1827.)

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