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OTAN/Afghanistan : 
Les Américains voient-ils 
toujours la France comme un allié ?
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Transatlantique

François Hollande est arrivé ce dimanche à Chicago pour le 25e sommet de l'OTAN avec la volonté de défier Barack Obama et ses alliés européens sur le dossier afghan. Alors que onze années après le début des opérations, militaires Américains et Européens admettent avoir perdu le contrôle des domaines qui détermineront l’avenir de l’Afghanistan, quelles seront les réelles conséquences de la décision française sur l'organisation transatlantique et sur l'avenir du pays ?

Alexandra de Hoop Scheffer

Alexandra de Hoop Scheffer

Alexandra de Hoop Scheffer est la directrice du German Marshall Fund of the United States-France.

Politologue, spécialiste de la politique étrangère des Etats-Unis et des relations transatlantiques, elle est maître de conférences à Sciences Po Paris et l’auteur de Hamlet en Irak, CNRS éditions, 2007. Elle est rédactrice en chef avec Francois Vergniolle de Chantal de la revue Politique Américaine (éditions L’Harmattan).

Dernier article publié sur “Obama et la guerre” dans Le bilan d’Obama, dirigé par Vincent Michelot et Olivier Richomme, Presses de Sciences Po, mars 2012.

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François Hollande est arrivé à l'Élysée avec la volonté de défier le Président américain Barack Obama et ses alliés européens sur le dossier afghan, en annonçant puis en réitérant sa principale promesse de campagne en matière de politique étrangère, à savoir retirer les troupes françaises combattantes d’Afghanistan (déployées principalement dans la province de Kapisa et le district de Surobi) d’ici la fin de l’année 2012, soit deux années plus tôt que la date de 2014 fixée au sommet de l’OTAN à Lisbonne en 2010.

Même si le président français et son ministre de la défense Le Drian ont cherché à rassurer leurs partenaires américains et européens quant à l’engagement français pendant et après la phase dire de « transition » (le transfert des responsabilités de la sécurité du pays aux forces de sécurité afghanes) et à rappeler « l’unité et la solidarité » de l’Alliance à Chicago, cette annonce unilatérale arrive à un moment peu opportun pour l’Alliance atlantique : les conséquences de la crise économique sur les budgets de défense américain et européens et les difficultés rencontrées sur le terrain dans la mise en œuvre de la transition face à la capacité de résistance et de nuisance des talibans, incitaient, encore plus que les précédents sommets de l’OTAN, à l’unité, au moins de façade, autour du principe du « in together, out together » et à définir ensemble une stratégie de long terme post-2014.

Le consensus qui se dégage de la plupart des récentes analyses d’experts consiste à minimiser l’ampleur des conséquences de la décision française, celles-ci seraient principalement d’ordre tactique. Or, sur un théâtre d’opérations comme l’Afghanistan où une stratégie politique de long terme fait défaut depuis 2001, la tactique (et bien souvent les hésitations et/ou bavures tactiques) façonne voire remplace la stratégie globale de la coalition. La décision française aura donc inévitablement des implications d’ordre stratégique, d’autant plus que la France, forte de ses 3400 militaires en Afghanistan, est le 5e contributeur. Washington mais aussi Berlin et Londres ont averti Hollande de ces risques. Les effets ont déjà commencé à se manifester, non pas au travers d’autres annonces de retrait militaire, mais au travers d’une déclaration des talibans, à l’ouverture du sommet de Chicago, demandant aux pays engagés en Afghanistan de « suivre l’exemple de la France » et de retirer leurs troupes d’Afghanistan. Les Talibans avaient fait des annonces similaires en amont et après les retraits des troupes combattantes canadiennes et néerlandaises et à l’occasion de précédents sommets de l’OTAN. A chaque fois, ils mettent en avant ce qu’ils ont identifié comme étant le talon d’Achille des sociétés occidentales : le poids des opinions publiques, très largement et de plus en plus en faveur d’un retrait des troupes. La décision française est ainsi présentée par les talibans comme « fondée sur les réalités et un reflet de l’opinion de son pays ».

Les puissances occidentales sont, on le voit bien, aujourd’hui en panne de stratégies d’intervention et surtout post-intervention : en témoignent les trois mois de réflexion que le Président Obama s’était accordé pour décider du renfort militaire en Afghanistan fin 2009, ainsi que la quasi-absence, en Europe, de débat politique sur ces questions et l’embarras des gouvernements à expliquer les raisons de l’engagement des troupes auprès de leurs opinions publiques - une critique clairement formulée pendant la campagne par Hollande à l’égard de la « guerre de solidarité » dans laquelle la France a été engagée en Afghanistan. Onze années après le début des opérations militaires, le décalage croissant entre le discours otanien autour d’un engagement international de long terme post-2014 et la réalité de la politique du « sauve qui peut », a profité aux talibans, assez lucides pour comprendre qu’il peuvent gagner en puissance en gagnant et en gardant l’initiative des idées et du discours politique. Or, ceux qui remportent la bataille des idées, font aussi perdre partiellement la maîtrise du terrain aux troupes intervenantes.

Exacerbé par les calendriers électoraux et de retrait des troupes fixés à Washington et dans les capitales européennes, l’affichage de success stories sur le terrain est régulièrement contredit par les limites des tactiques déployées, engendrant un cercle vicieux dans lequel les puissances occidentales se piègent elles-mêmes : plus les membres de la coalition cherchent à donner du sens à leur action et à reformuler leurs objectifs, plus les réalités du terrain s’éloignent de leur discours, car celles-ci changent rapidement au contact d’une présence étrangère de plus en plus perçue comme des forces d’occupation, et moins la Coalition est capable d’élaborer une stratégie claire pour l’Afghanistan. D’où le choix par défaut de revoir à la baisse les objectifs en Afghanistan. Barack Obama avait signalé ce rétrécissement des objectifs de la coalition internationale en Afghanistan dès la fin 2009, recentrant les objectifs sur les aspects sécuritaires uniquement (lutte contre Al-Qaida et le terrorisme) et ce qu’il est devenu commun d’appeler à Washington « Afghan Good Enough ». Or, la revue à la baisse des objectifs pour l’Afghanistan, couplée d’une vision à durée indéterminée de formateurs et de forces spéciales après 2014, montre le difficile, voire l’impossible exercice d’équilibre que l’administration Obama et ses alliés européens opèrent pour tenter de satisfaire les pressions et positions divergentes au sein de leur opinion publique, parlement et commandement militaire.

A Chicago, la France tout comme ses alliés européens, devront répondre aux pressions américaines pour qu’ils s’engagent à poursuivre et à financer une assistance à la formation des forces de sécurité afghanes. La promesse de Hollande de retirer les forces « combattantes » lui permet de laisser des troupes françaises pour des missions d’une « autre nature ». Hollande adopte ainsi les orientations données par le traite d’amitié et de coopération établi entre la France et l’Afghanistan fin janvier 2012 et qui organise leur coopération bilatérale dans les domaines civil, économique, diplomatique, politique, en plus d’un soutien logistique et de formation militaire. Mais former des forces de sécurité déconnectées de toute autorité politique crédible et légitime à laquelle elles devraient être rattachées, pose la question de la durabilité et de l’efficacité de cette mission après 2014. Américains et Européens admettent aujourd’hui que l’OTAN a perdu le contrôle des domaines qui pourtant détermineront l’avenir de l’Afghanistan : la justice, la réconciliation politique et les dynamiques régionales qui s’autonomisent des diplomaties occidentales.

Hollande et son équipe regardent déjà au-delà de Chicago et de l’Afghanistan, comme le montre leur volonté d’ajuster l’engagement otanien de la France, en investissant davantage dans les « partenariats européens », alors que les Etats-Unis orientent leur stratégie de défense vers l’Asie. La décision de Hollande de s’écarter du calendrier fixé par l’administration américaine à Lisbonne en 2010, s’accompagne d’une volonté clairement exprimée dans ses entretiens de politique étrangère, de redonner à la France et à l’Union européenne une plus grande place et une voix plus importante dans la prise de décision notamment au sein de l’OTAN, se refusant de laisser dicter la politique française par les Etats-Unis. Sur ce plan, Hollande va pouvoir toutefois apprécier l’influence renforcée de la France au sein de l’OTAN, trois années après la réintégration de la France dans la structure militaire intégrée de l’OTAN, y compris sein des structures de commandements de l’OTAN. La tradition gaulliste-mitterrandienne « ami, alliés mais pas alignés » avec les Etats-Unis a un bel avenir sous Hollande et inquiète Washington. C’est pourtant la continuité qui prime ici : le Président Sarkozy s’était lui aussi écarté de la position américaine sur plusieurs dossiers de politique étrangère (désarmement nucléaire, Afghanistan, Israël-Palestine, Libye en recourant initialement à un groupe de contact ad hoc au détriment de l’OTAN).

Hollande répond en quelque sorte aux sollicitations formulées par Obama dans sa nouvelle stratégie de défense de février 2012 où il appelait les Européens à davantage partager le fardeau de la sécurité régionale et internationale en renforçant et mutualisant leurs propres capacités de défense. Mais les projets de Hollande pour une Europe de la défense plus forte se confronte à des tendances qui vont dans la direction opposée : la majorité des gouvernements européens se concentrent sur la gestion de la crise économique, réduisent leurs budgets de défense et la Libye a montré le manque de volonté politique en Europe en matière de défense et l’incapacité de la France et du Royaume-Uni à construire une coalition solide lorsque les Etats-Unis délègue le leadership. Dans ce contexte, l’OTAN persistera à exister comme l’alliance principale pour la sécurité transatlantique, et la France gagne à continuer à s’engager et à investir dans l’Alliance, tout en renforçant la voix européenne, mais pas au détriment de ses partenaires transatlantiques et de la solidarité

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