Orthographe désastreuse des écoliers : le résultat d'années passées à contester l'intérêt de la discipline scolaire<!-- --> | Atlantico.fr
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Orthographe désastreuse 
des écoliers : le résultat d'années 
passées à contester l'intérêt 
de la discipline scolaire
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C'était mieux avant

En l'espace de vingt ans, le nombre de fautes d'orthographe a explosé dans la dictée d'un élève de CM2. C'est la conclusion d'une étude de la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), qui a suivi les performances des enfants français entre 1987 et 2007. Mais comment expliquer cette baisse de niveau ?

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Les temps ont bien changé. Dans une circulaire d’avril 1891, Léon Bourgeois, ministre de l’Instruction publique, déplorait le « fétichisme de l’orthographe » et réclamait aux correcteurs du certificat d’études primaires une jurisprudence plus libérale. Il soulignait notamment, à juste titre, que la tarification mécanique des fautes pouvait conduire à brimer l’intelligence des enfants lesquels, raisonnant par analogie et ignorant les bizarreries de la langue française, étaient naturellement conduits à mettre un « s » au pluriel de genou ou à écrire contreindre comme restreindre. Le brave homme, au demeurant républicain pur sucre, ne pouvait imaginer que, plus d’un siècle après lui, il faudrait au ministre en charge de l’éducation nationale émettre une circulaire pour rappeler la nécessité d’enseigner les règles les plus élémentaires de la conjugaison ou de l’accord en genre et en nombre.

Que s’est-il passé entre-temps ? La maîtrise de la langue, en particulier l’orthographe, s’est effondrée. En 1995, à la suite de la découverte de quelques milliers de copies de certificat d’études primaires des années 1920, l’excellent Claude Thélot, alors directeur de l’évaluation et de la prospective du ministère, eut l’idée de faire passer les mêmes épreuves à des élèves contemporains. Le résultat, s’agissant de l’orthographe, fut édifiant : dans la dictée, d’une vingtaine de lignes, un écart de plus de dix fautes séparait les élèves de 1995 de leurs homologues de 1925.

Comment expliquer un tel affaissement, qui s’est depuis encore amplifié si l’on en croit l’enquête citée par la nouvelle circulaire sur l’orthographe ? Dans un rapport précisément intitulé Combattre l’illettrisme et publié ces jours-ci sur le site du Conseil d’analyse de la société, Luc Ferry livre une analyse qui met partiellement en cause la responsabilité de l’école, mais pas seulement. Certes, la rénovation pédagogique des années 1970 a mis l’accent sur l’expression et la créativité de l’enfant, discréditant les exercices mécaniques et répétitifs pourtant nécessaires à des apprentissages où celles-ci n’ont aucune part - ce qui est précisément le cas de la grammaire et de l’orthographe. Cette évolution pédagogique est toutefois elle-même l’expression d’un contexte culturel, celui de la déconstruction des valeurs traditionnelles et de la montée de l’individualisme, qui affecte le monde occidental dans son ensemble. Le déclin de la langue, dans cette perspective, peut être considéré comme un « phénomène social global ».

Dans une réflexion pédagogique pleine de bon sens mais teintée d’optimisme, Léon Bourgeois souhaitait en 1891 qu’on limite le temps consacré à l’étude de l’orthographe afin de promouvoir l’amour de la lecture et le véritable sens critique : « A supposer que l’on trouve de bonnes raisons pour justifier telle ou telle de ces finesses orthographiques, écrivait-il dans sa circulaire, n’est-il pas flagrant que l’immense majorité des enfants ont mieux à faire que d’y consumer leur temps ? Et pour ne parler que de la langue française, n’ont-ils pas infiniment plus besoin, pour la bien connaître, qu’on leur lise et qu’on leur fasse lire en classe et hors de classe les plus belles pages de nos classiques que d’exercer toute l’acuité de leur esprit sur des nuances grammaticales à peine saisissables, quand elles ne sont pas de simples vétilles ? »

Il n’y aurait sans doute pas lieu de se désoler si la baisse du niveau en orthographe résultait simplement d’un réajustement pédagogique de cet ordre. Las, le principal enseignement de l’étude de la DEPP Lire, écrire, compter : les performances des élèves de CM2 à vingt ans d’intervalle 1987-2007 (une étude soit dit en passant disponible sur le site du ministère depuis 2008, et dont on peut donc s’étonner que les médias ne la découvrent qu’aujourd’hui) est que le déclin de l’orthographe constaté entre 1987 et 2007 s’accompagne d’un déclin en lecture et en calcul. C’est évidemment le plus inquiétant, même si le diagnostic relatif à l’orthographe revêt un caractère plus « médiatique ». A l’évidence, ce n’est plus l’excès de rigorisme qu’il convient de mettre en cause, mais au contraire l’aversion pour la répétition des exercices (dont témoigne la récurrence de la polémique sur les devoirs à la maison) et d’une manière générale pour les activités qui visent à inculquer une discipline de l’esprit. Ce n’est pas uniquement pour lui-même que le déclin de l’orthographe est à déplorer, mais en tant qu’il constitue le symptôme d’une déréliction plus globale.

L’étude de la DEPP confirme les tendances mises en évidence par les enquêtes internationales, PISA et PIRLS, mais elle est plus probante encore, dans la mesure où il en va des systèmes éducatifs comme des élèves dans une classe : la comparaison avec les autres est moins pertinente que la comparaison avec soi-même dans le temps, laquelle permet d’évaluer progrès et régressions. En l’occurrence, la fameuse question de la baisse ou de la montée du niveau est tranchée sans la moindre ambigüité, et ce d’autant mieux que l’on compare ce qui est comparable, à savoir les résultats obtenus à la fin du cycle primaire - indépendamment, donc, de toute considération sur la démocratisation de l’enseignement secondaire et supérieur. On pourra toujours accroître artificiellement la proportion de détenteurs d’une licence universitaire, cela ne changera rien à la montée de l’illettrisme : c’est à l’école primaire – maternelle incluse – que se mettent en place les compétences fondamentales, telles que la maîtrise de la langue et la rigueur du raisonnement, qui conditionnent à la fois la suite des études et, pour une part au moins, la vie sociale du futur adulte.

Depuis une dizaine d’années (les programmes de 2002 constituent sans doute un bon repère), une prise de conscience de la nécessité de recentrer l’enseignement sur le « socle » des compétences et des savoirs fondamentaux s’est progressivement opérée, conduisant à la redécouverte du rôle de l’école primaire. Il aura fallu beaucoup de temps pour que l’évidence du déclin soit reconnue. Il en faudra sans doute encore pour que l’éducation nationale – si tant est qu’elle le puisse – parvienne à trouver les solutions permettant de contrarier les tendances culturelles lourdes qui favorisent ce déclin.

Une circulaire, certes, ne fait pas le printemps. Celle-ci a du moins le mérite de mettre en évidence les liens qui unissent l’apprentissage de l’orthographe à l’acquisition du vocabulaire et à la compréhension du sens. Des marges de progression importantes existent par ailleurs : les ressources de l’école maternelle, par exemple, demeurent inexploitées, alors même qu’il est possible d’apprendre à lire dès l’âge de trois ou quatre ans. Les classes de CP pourraient être dédoublées dans les écoles où se concentrent les élèves en difficulté. En aval du CP, l’exercice de la lecture courante semble abandonné à l’initiative des familles ; or, les exercices d’orthographe et de grammaire ne sauraient suffire : sans l’acquisition d’une pratique régulière de la lecture et l’imprégnation qu’elle permet, il ne peut y avoir de maîtrise véritable de la langue.

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