Ordre public : le piège de la double contestation<!-- --> | Atlantico.fr
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Violents affrontements à Sainte-Soline, 25 mars 2023.
Violents affrontements à Sainte-Soline, 25 mars 2023.
©Pascal LACHENAUD / AFP

Impuissance

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Atlantico : Des fusillades ont fait trois morts dimanche soir à Marseille. Comment y expliquer l’impuissance des forces de l’ordre ?

Xavier Raufer : Depuis le quinquennat de M. Hollande (Une bonne décennie) les présidents de la République, premiers ministres, ministres de l'Intérieur, plus une foule de leurs collègues, ont pratiquement campé à Marseille, dans l'idée - naïve ou simplette, soyons gentil - qu'il suffisait de s'y montrer pour régler vite-fait le problème criminel. Bien sûr, résultat zéro, voilà pourquoi : ces officiels y péroraient une heure devant des micros et filaient illico vers Paris. Vous habitez l'une des dizaines de cités hors-contrôle de la ville : de qui avez-vous peur, qui "respectez-vous" au point de lui obéir, le touriste-à-cravate venu de Paris tenir des propos arrogants et lointains, sitôt arrivé, déjà parti, ou le caïd local, sans cesse présent sur le terrain et pouvant vous faire tuer à la moindre anicroche ? Poser la question, c'est y répondre.

La peur de la mort génère la loi du silence. Donc, plus d'indics ni de "balances", que les écoutes des portables d'individus à la sous-culture opaque pour les policiers - d'autant que la France n'a jamais eu, n'a toujours pas, de service de renseignement criminel, spécialisé dans ces gangs ou bandes ; sachant prévoir leurs faits et gestes. Quand le Milieu marseillais était d'abord corse, et les grands flics aussi, cette capacité de prévision existait - aujourd'hui, elle est nulle. La brave préfète de police du coin n'a jamais vu un bandit de sa vie, ne sait rien de leurs us, coutumes et réflexes ; l'avoir entendue cinq minutes le trahit aussitôt.

Aussi, l'inceste entre chefs policiers et journalistes "d'investigation" avalant sans murmure les dogmes policiers - sinon, robinet coupé. En prime, ces journalistes usent désormais d'un vocabulaire absurde, aggravant encore la confusion ; ils oblitèrent le Milieu réel, ses bandits, gangsters, bandes, gangs, pour n'évoquer que de fictifs "réseaux" - existant juste dans leurs têtes. Or définir les choses est crucial pour diagnostiquer. Si votre médecin dit que vous avez la peste, alors que c'est un panaris, vous changez de médecin. Sémantiquement, la presse fait pire au quotidien et provoque de graves dégâts conceptuels.

Des débordements importants à Saint Soline et lors des manifestations pour les retraites, l’ordre public semble être malmené. Dans quelle mesure cette double contestation politique et criminelle, témoigne-t-elle de dysfonctionnements du Ministère de l’Intérieur et d’une situation tendue ?

Gérald Pandelon : Comme le soulignait le poète allemand Hans Magnus Enzensberger dans son ouvrage "Politique et crime" (1967), il n'est point de politique sans crime ; ni de crime qui, d'une certaine manière, n'implique une forme de politique ou, à tout le moins, n'influe sur la politique. Un adage de Machiavel ? Non le fruit d'un examen de l'évolution de nos sociétés qui, sans doute hier comme aujourd'hui, demeurent fondées sur la violence. Toutefois, si la violence au sein des quartiers nord de Marseille semblent relever depuis 30 ans d'une banale cruauté, un drame pourtant vécu au quotidien par des habitants séquestrés par les trafiquants de stupéfiants dans un silence assourdissant du ministre de l'intérieur, la violence politique à laquelle nous assistons aujourd'hui a ceci de particulier qu'elle repose souvent sur une forme de plaisir dans le passage à l'acte ou dans ce que nous pourrions appeler l'étiologie criminelle. En effet, à y regarder de près, quelle est la part des casseurs, qu'il s'agissent des manifestants contre les retraites ou de ceux des émeutiers de Sainte-Soline, qui serait réellement capable d'expliquer clairement en quoi consiste la réforme des retraites ou en quoi les "grandes bassines" porteraient-elles une atteinte ou un préjudice disproportionné à la défense de leurs intérêts ? J'ai acquis la conviction que rares sont ceux qui seraient à même d'en apporter des arguments rationnels fondés sur un discours intelligible. En revanche, force est d'admettre qu'une majorité d'entre eux aura exprimé son opinion par la violence, ce qui en ôte en partie sa légitimité dans un système politique démocratique ne reconnaissant comme acceptable que la libre discussion. Il faut admettre que les partisans de l'insurrection aiment la violence, une violence qui loin de reposer sur des revendications claires et audibles, n'est qu'un prétexte pour exister, exister face au pouvoir, exister face aux "possédants, exister dans une rivalité mimétique face à ceux qu'ils désireraient remplacer. Car la jalousie est pour les nervis éco-terroristes un puissant levier pour abattre ceux qu'ils ne peuvent égaler. 

En quoi la situation Marseillaise témoigne-t-elle de dysfonctionnements plus larges du Ministère de l’Intérieur ?

Xavier Raufer : L'Intérieur échoue à Marseille - forcément aussi ailleurs : "qui peut le plus, peut le moins", version criminelle. Pourquoi ? En vingt ans, l'Intérieur a transformé les concours et programmes de ses commissaires de police, devenus des sortes de préfets-bis, loin de leurs hommes comme du terrain. Un commissaire ne devrait pas être d'abord une assistante sociale, ou un expert ès-droits humains, minorités libidinales incluses - mais un bon connaisseur du milieu criminel : où ils sont, ce qu'ils font, comment et pourquoi ils le font (ou pas). Un chasseur connaissant mal son gibier rentre bredouille.

Avec des forces de l’ordre de plus en plus sollicitées, face au crime comme à Marseille, ou à la violence politique (Saint Soline, manifs contre les retraites), faut-il craindre que les forces de l’ordre se retrouvent toujours moins capables d’assurer leurs missions ? Arrive-t-on à un point de bascule ? 

Gérald Pandelon : Cela fait plus de 20 ans que des juristes ou politologues, des philosophes et sociologues, expliquent que notre logiciel pour lutter contre la délinquance n'est plus adapté. Qu'il existe, au surplus, un lien entre délinquance et immigration extra-européenne, sans que cette évidence ne constitue nullement un penchant pour un quelconque racisme mais davantage, en revanche, une appétence pour la vérité, le réel vu et vécu par une majorité de citoyens qui observent objectivement les faits. Quels sont ces faits ? Quelle est cette réalité que seuls nos actuels gouvernants refusent d'admettre, exceptions faites du RN et de Reconquête ? C'est que l'immigration extra-européenne est un échec cuisant, que ni l'intégration ni l'assimilation ne sont envisageables pour celles et ceux, de plus en plus nombreux, qui ne se reconnaissent en rien dans nos mœurs, notre culture, notre façon de penser et d'agir. Pourtant, dans l'arbitrage qui fut effectué entre le fait de révéler la vérité et en tirer les conséquences en fermant nos frontières à une immigration incontrôlée et préférer abdiquer par lâcheté,  c'est le second choix qui fut toujours opéré. A croire que notre philosophie humaniste fondé sur des droits de l'homme sans devoirs, constitue un puissant virus pour nous ôter toute capacité d'action. C'est ainsi que comme le rappelait Jean-Paul Gourevitch, la France compte aujourd'hui non seulement 30 % d'immigrés soit près de 20 millions d'habitants mais également et curieusement que la délinquance n'a jamais été aussi élevée. Oui, effectivement, nous arrivons à un point de bascule car ceux qui nous dirigent nous conduisent à une guerre civile. Et, pour avoir rédigé un ouvrage consacré à la "France des caïds" (2020), je puis vous certifier que les parrains de nos cités sont, eux, déjà prêts...

Xavier Raufer : Le ministère de l'Intérieur "à la française" est un énorme et byzantin paquebot, au pilotage délicat. Si la France était réformable, il aurait été retaillé et mieux configuré - mais non : on ne touche à rien : l'Intérieur reste un orchestre avec une foule d'exécutants et d'instruments. Même si la lutte contre le crime organisé (Marseille) diffère du maintien de l'ordre (manifestations, émeutes) ou de la lutte contre des anars, Black Blocs, Antifa, etc., tout converge au sommet, par le ministre et son cabinet. À ce niveau, l'arriviste forcené qu'est M Darmanin déploie une énergie folle en esbroufe, coups de com', provocations langagières, promesses en l'air, etc. - et des mensonges ! Même le placide M. Jadot s'exaspère des bobards de l'Intérieur.

Pur activiste, M. Darmanin s'attire-t-il l'estime de ses troupes, ont-elles envie de le suivre hors de la tranchée ? C'est douteux : les personnels du régalien se parlent entre eux. Naguère ministre de l'action et des comptes publics, M. Darmanin régnait sur les douaniers qu'alors, il cajolait tant et plus... Félicitations... Louanges... Communiqués-cocorico... selfies... Du jour où il est passé à l'Intérieur, ses ex-chouchous n'ont plus entendu parler de lui... Loin des yeux, loin du cœur. À l'Intérieur, ce précédent pousse clairement à la prudence...

Que faire face à ce piège ? 

Xavier Raufer : En France, le pouvoir est à la présidence. M. Macron n'a pas la passion du régalien : aux sommets de l'État on le sent, on le constate. Ah ! Wall Street... La City de Londres... Et ces affaires de sécurité sentant quand même le monde d'avant... MM. Darmanin et Dupond-Moretti ont donc la bride sur le cou, le président "assume". Sauf que, si la déjà perceptible perte de contrôle de l'espace public finit par briser le mur du silence médiatique... Émeut trop l'opinion... le président devra reprendre les choses en main. Brutal, parfois maladroit dans ses propos, pourra-t-il apaiser les Français, leur rendre confiance ? On aimerait y croire.

Que faire face à cette double confrontation pour sortir de l’ornière ? 

Gérald Pandelon : Il faudrait que l'on restaurât l'autorité de l'Etat. La difficulté c'est que, bien souvent, toutes choses égales par ailleurs, les magistrats en matière pénale sont infiniment plus sévères envers ceux qui ne portent pas atteinte à l'ordre public qu'envers ceux qui constituent un réel danger pour notre démocratie. 

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