Open science : ces principes fondamentaux qui n'ont pas été respectés pendant la pandémie<!-- --> | Atlantico.fr
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Une biologiste travaille sur un programme de développement d'un vaccin contre la Covid-19 le 31 mars 2021 à Nantes.
Une biologiste travaille sur un programme de développement d'un vaccin contre la Covid-19 le 31 mars 2021 à Nantes.
©LOIC VENANCE / AFP

Transparence

La pandémie de Covid-19 a souligné certains travers dangereux de la recherche et rappelé l'importance d'établir plus de transparence dans le monde de la publication scientifique. Décryptage avec Lonni Besançon, chercheur et auteur d'une étude sur le sujet.

Lonni Besançon

Lonni Besançon

Lonni Besançon est un chercheur en visualisation de données à l’université de Monash, Melbourne, Australie. Il a décroché son doctorat à l’université Paris Saclay, avant de séjourner 3 ans à l’université de Linköping en Suède. Il a participé activement à certains débats autours des études COVID-19 et de leur manque de transparence.

Passionné de données, il rapporte très souvent des nouvelles de la Suède et discute sciences sur Twitter: @LonniBesancon

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Atlantico : Lonni Besançon, vous êtes l'auteur d'une étude sur l'open science en temps de pandémie. Pouvez-vous définir ce concept ?

Lonni Besançon : L'open science ou science ouverte est un mouvement qui réclame plus de transparence dans le monde de recherche. Si l’on suit ses principes, quand une étude est publiée, il faut que les données soient accessibles (et le cas échéant le code utilisé pour analyser ces données), que l'article soit en open access (pour que quiconque puisse le lire gratuitement) et enfin que le rapport de relecture par les pairs (peer review) soit rendu public.

Cela fait une dizaine d'années que l'open science est devenu un sujet de méta recherche. Il était intéressant d'observer si la pandémie de Covid-19 pouvait booster le mouvement. Dans le cas d'un virus qui touche toute la planète de façon égale, on aurait pu croire à des articles scientifiques plus transparents. Ce fut d'ailleurs la démarche de beaucoup d'éditeurs de revues scientifiques qui avaient annoncé mettre en open access tous les articles liés au Covid-19.

Qu'est-ce qui vous a poussé à lancer des recherches approfondies sur le respect des principes de l'open science ?

Nous avons remarqué qu’un grand nombre d'articles étaient publiés très rapidement, avec un temps de relecture par les pairs extrêmement court et un rapport de relecture inaccessible. En plus de ça, il y avait potentiellement des conflits d'intérêts entre les auteurs et les éditeurs de la revue. Du point de vue de l'open access, on s'est aussi rendu compte que seuls les articles liés au Covid-19 étaient accessibles gratuitement, et non les articles de virologie ou d’immunologie qui pouvaient notamment servir à l'élaboration d'un vaccin. Il y a donc plusieurs principes de l'open science qui n'ont pas été respectés. 

Il y a aussi eu le scandale The Lancet, scandale en partie lié à un défaut de transparence. Si les données avaient été accessibles, on se serait rendu compte de la falsification des données avant même que l'article soit publié. The Lancet n'est d'ailleurs pas la seule revue à avoir publié des études basées sur les jeux de données frauduleuses de Surgisphere.

Concernant certains articles, vous pointez une relecture par les pairs extrêmement rapide. Comment est-ce possible ?

En temps de pandémie, les éditeurs se sont dit qu'il fallait que la science avance vite. Ils ont donc voulu accélérer le temps de relecture par les pairs. Ce n'est pas un problème en soi. Mais si la relecture est bâclée et que personne ne peut vérifier que le travail a été fait correctement, ça devient un problème. Nous avons donc estimé combien d'articles cela concerne. Sur environ 8 000 articles liés au Covid-19, 700 ont été relus par les pairs en 24 heures ou moins. Pour un édito ou une revue de la littérature scientifique, c'est tout à fait faisable. Pour des articles de recherche qui présentent de nouveaux résultats, cela paraît plus compliqué. Il faut vraiment tout vérifier : la méthode, l'analyse statistique, les résultats, etc.

Parmi les 700 articles relus en une journée, on trouve 224 articles de recherche. Et pour 31% de ces 224 articles, les auteurs étaient soit éditeurs du journal, éditeurs associés ou éditeur en chef. Cela commence à devenir vraiment suspicieux. Mais comme le rapport de relecture par les pairs n'est pas disponible, on ne peut pas le vérifier. Une étude mauvaise peut donc être publiée sans que personne ne le sache et être présentée comme crédible dans la presse.

La solution qu'on propose est de rendre le processus de relecture par les pairs accessible, que ce soit de façon anonyme ou non.

Qu'en est-il des études pré-print, ces études mises en ligne avant d'être relues par les pairs et avant d’être publiées par une revue ?

Personnellement, je me demande s'il n'est pas un peu "dangereux" de laisser la presse s'emparer de ces études. Ce sont quand même des choses ardues à comprendre si on n'a pas une formation scientifique. La multiplication des pré-print peut devenir un problème si les résultats sont présentés comme définitifs dans des articles de presse. Selon nos recherches, les pré-prints liés au Covid-19 sont mentionnés presque 10 fois plus que les autres pré-print dans la presse. Nous ne voulons pas incriminer les journalistes. Nous disons simplement que ces résultats doivent être présentés avec la précaution nécessaire.

Bien connue des chercheurs, l'expression « publier ou périr » (publish or perish) dénonce l'injonction à la publication dans le monde scientifique. Qu'avez-vous constaté à ce propos ?

Beaucoup d'articles publiés sur les traitements potentiels du Covid-19 sont en fait des duplicatas qui ont très peu d'utilité. Il y a eu plus de 200 études sur l'hydroxychloroquine. Tout le monde a fait à peu près la même chose, en même temps. Face à cela, nous proposons de mettre en place des rapports pré-enregistrés (register report). Avant de lancer l'étude, le chercheur envoie un rapport à la revue pour expliquer ce qu'il voudrait étudier et avec quelle méthode. Les pairs vont ensuite relire ce rapport et notamment vérifier qu'il n'y ait pas d'autres études trop similaires qui auraient été faites sur le sujet. On pourrait ainsi juger de l'intérêt réel d'un article.  

Propos recueillis par François Blanchard

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