ONU : et si le sujet vital en matière de coopération internationale était celui dont personne ne parle…?<!-- --> | Atlantico.fr
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Ne devrait-il pas y avoir une concertation et une coopération aussi importante qu’à l’ONU sur les questions économiques ?
Ne devrait-il pas y avoir une concertation et une coopération aussi importante qu’à l’ONU sur les questions économiques ?
©SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Assemblée générale

La coopération économique internationale se gère dans d’autres instances que l’ONU mais la compétition qui s’est installée en matière de taux nécessiterait pourtant une urgente réflexion globale tant des effets négatifs risquent de peser sur 2023.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Le resserrement de la politique monétaire que l’on observe de manière sans précédente avec la BCE mais aussi dans d’autres Banques centrales s'accompagne d'un changement similaire de la politique budgétaire. A quel point est-il important et conjoint ?

Alexandre Delaigue : Si on veut regarder globalement ce qui est en train de se passer, il faut regarder les choses de manière différenciée. Aux Etats-Unis, il y a un resserrement de la politique monétaire en raison d‘une inflation très largement tirée par la demande. Il y a de gros déficits publics, le gouvernement a distribué pas mal d’argent au moment du Covid et les Américains veulent dépenser. Dans le même temps, le gouvernement ne semble pas parti pour un resserrement budgétaire. Donc c’est le moment d’un resserrement monétaire qui, de toute façon, était prévu. De fait, tout le monde est affecté par cette hausse des taux américains. Personne ne peut ne pas réagir car cela a pour impact, a minima, de faire monter le dollar. Cela renchérit les importations dans les autres pays et a un effet inflationniste. Cela oblige donc à s’adapter. En Europe, l’inflation est entièrement poussée par l’offre. Elle est due au fait que l’énergie coûte plus chère, en raison de la crise en Ukraine et de facteurs globaux. De ce point de vue, il n’y a pas de besoin de la BCE d’aller contraindre la demande. Deux explications viennent alors sur la hausse de taux. La première est que la BCE, sans cervelle, fait comme les Américains. La deuxième est que la BCE agit comme acteur politique et essaie de contraindre les gouvernements à agir. En effet, il y a un resserrement de la politique monétaire et donc du coût de financement de la dépense publique et que la BCE pourrait annoncer ralentir ses opérations d’achats. En ce sens, la BCE serait un vrai acteur politique qui cherche à tordre le bras des gouvernements pour agir. En faisant, ça la BCE se met sur la corde raide car le marché des titres de la dette publique est un marché qui est fondamental pour le fonctionnement global des marchés financiers. Cela permet le refinancement par le mécanisme qu’on appelle REPO. En cas de problème sur ce marché, il peut y avoir une crise financière. Et la BCE a aussi pour mission la stabilité financière.

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La Banque mondiale a publié une note s’interrogeant sur la possibilité d’une récession globale imminente. On y voit que la plupart des pays resserrent leur politique budgétaire. A quel point cette tendance est-elle forte ? Et quelles peuvent être les conséquences ?

Les pays sont obligés de resserrer leur politique budgétaire car le marché obligataire va devenir d’un seul coup beaucoup plus difficile pour eux, car les taux sont en train d’augmenter partout. Il n’est plus si évident que les titres de dette publique vont pouvoir se vendre facilement. Pour toute une série de pays, les prochaines émissions obligataires vont se faire dans des conditions moins favorables qu’elles n’ont pu l’être auparavant. C’est pour cette raison que les pays connaissent un resserrement monétaire et budgétaire en même temps. Mais d’autres conditions jouent également. On ne sait pas ce que veut faire la Chine sur le marché obligataire mondial. On sait qu’elle veut diversifier ses réserves mais l’on ne sait pas ce qu’elle veut faire de son excédent. Donc on ne sait pas quels capitaux le pays va vouloir et pouvoir mettre, ni où il va souhaiter le faire. De même, la Russie, qui auparavant avait un gros excédent extérieur, a vu ses excédents gelés. Ils ne peuvent donc plus être recyclés comme ils l’étaient avant. On ne sait donc pas trop ce qui va se passer concernant l’offre des capitaux. C’est aussi cela qui crée les tensions.

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Beaucoup de pays vont connaitre une récession, plus ou moins dure. En Europe, les prévisions de croissance sont sans cesse abaissées. Il y a une perspective de grosses difficultés économies mue d’un côté par une inflation par les coûts, mais en plus un resserrement de la politique monétaire qui produit un double effet négatif. Cela laisse craindre une récession en Europe. Les autres pays, eux, se retrouvent à devoir faire un resserrement monétaire et budgétaire indépendamment de leurs circonstances propres, des conditions dans lesquelles ils se trouvent. Ils n’ont pas le choix. C’est un peu la phrase « le dollar est notre monnaie mais c’est votre problème ». Une politique de remontée des taux aux Etats-Unis y fait sens, mais elle pose des problèmes partout ailleurs.

Tous les pays qui sont fragiles présentent des risques importants. On a vu ce qui s’est passé au Liban qui s’est retrouvé en défaut de paiement l’an dernier. Les pays traditionnellement fragiles partant d’une situation difficile, par exemple l’Argentine, vont être les premiers touchés. Mais il peut y avoir des problèmes partout. Certains disent que la Turquie pourrait être dans une situation fragile. On peut aussi regarder ce qui se produit actuellement au Sri Lanka. La seule période un peu comparable, 200-2010 a débouché sur les printemps arabes. C’était imprévisible et cela peut exploser économiquement et politiquement de tous les côtés.

L’ONU se réunit actuellement. Ses préoccupations ne sont pas économiques et il n’y aurait pas de sens à ce qu’elles le deviennent mais ne devrait-il pas y avoir une concertation et une coopération aussi importante qu’à l’ONU concernant cette question économique majeure ?

Le problème est qu’il n’y a pas vraiment de solutions coopératives dans cette période. On pourrait l’envisager mais l’expérience montre que ce genre de concertation ne peut intervenir qu’en plein milieu d’une crise. Il est en revanche un peu difficile d’attendre de la banque centrale américaine autre chose que de mettre en avant ses propres intérêts. Et retarder certaines décisions ne fait parfois que rendre les problèmes pires plus tard. De ce point de vue, nous avons eu des tas de précédents. Donc, il faudrait imaginer un monde vraiment différent. Le seul monde vraiment différent avec une coopération internationale serait un monde où le pouvoir donné aux banques centrales depuis 40 ans change. Il y aurait beaucoup plus de contrôle sur les flux de capitaux, des politiques industrielles beaucoup plus actives et des banques centrales beaucoup plus contraintes à soutenir l’action de l’Etat. C’est ce que prônent certains.

Maurice Obstfeld a écrit « En principe, les banques centrales pourraient éviter un resserrement monétaire excessif sans coordination explicite, simplement en prévoyant avec précision les mesures prises par les autres banques centrales et leurs effets globaux ». Est-ce le cas ?

C’est bien possible, mais c’est loin d’être facile. Il n’y a pas forcément de coopération naturelle entre les banques centrales. Parmi les plus importantes, il y a la banque centrale chinoise qui n’est pas franchement impliquée dans les « institutions du consensus de Washington » : le trésor américain, le FMI, la banque mondiale. Liste à laquelle on pourrait ajouter les gouvernements européens et la BCE. Ces derniers coopèrent, mais il n’est pas certain qu’on puisse avoir un degré de coopération comme celui-là. Si on pouvait effectivement avoir une forme de coopération globale, on pourrait envisager un sommet international où les banques centrales se réuniraient pour planifier une grande coordination. C’est loin d’être simple car les différences sont plus importantes qu’elles ne l’étaient auparavant.

Est-ce qu’il y aurait une marche à suivre pour une action concertée ? Ne serait-ce que de l’attentisme ?

On a déjà attendu, la banque centrale a fait son mouvement et les autres sont un peu contraintes de suivre désormais. Il est un peu tard pour cela. Et cela finit par poser des problèmes de crédibilité. En Europe en particulier, les différents banquiers centraux n’ont pas tous la même vision. Et il est difficile de tenir le discours consistant à dire qu’on ne va pas agir car l’inflation est temporaire. La crédibilité doit être maintenue quitte à prendre des décisions qui ne sont pas parfaitement rationnelles car elles cherchent à se préserver en tant qu’institutions puissantes.

Qu’est-il possible de faire sur le plan budgétaire ?

Cela demeure du ressort de la souveraineté nationale. On peut difficilement imaginer une coordination des politiques budgétaires. Elle est déjà complexe au niveau européen, elle paraît impossible à l’échelle mondiale. La politique industrielle actuelle, par exemple, est loin d’être coopérative. Envisager une solution concertée entre tous les pays est inimaginable.

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