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Obliger Google à faire la promotion de ses concurrents : cette réglementation défaitiste qui privilégiera la pénurie plutôt que la création
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Abdication économique

Les sénateurs considèrent que l’opérateur a acquis un rôle trop important sur internet et le condamne donc à faire la promotion de "trois autres moteurs de recherche" sur sa page d’accueil.

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Désormais, les boulangers auront l’obligation d’afficher sur leurs devantures les adresses de trois concurrents proches. De la même manière, les vendeurs automobiles devront faire auprès des acheteurs potentiels la promotion de trois véhicules équivalents de marques concurrentes ; EDF ne sera autorisée à vous fournir de l’électricité qu’à la condition de vous avoir fait parvenir les dépliants de ses compétiteurs et La Poste ne prendra en charge votre courrier qu’après vous avoir invité prestement à utiliser UPS et Fedex. Quant à la SNCF, elle aura l’amabilité de vous proposer également des trajets en bus, en avion ou covoiturage mais uniquement par des groupes qu’elle ne contrôle pas…

On pourrait décliner encore longtemps. Au premier abord, ces propositions semblent étonnantes, voire absurdes – et elles le sont probablement. C’est pourtant ce que la France se propose de mettre en œuvre dans le secteur numérique. Intervenant dans le cadre de la loi Macron, quelques sénateurs ont proposé un amendement qui vise directement Google, sans prononcer son nom. Les parlementaires considèrent que l’opérateur a acquis un rôle trop important sur internet et le condamne donc à faire la promotion de "trois autres moteurs de recherche" sur sa page d’accueil.

Adopter une loi en visant un cas particulier est toujours risqué : le législateur s’expose à ce que son texte conçu pour une exception s’applique très mal aux cas généraux – voire les empêche de fonctionner correctement. L’amendement des sénateurs n’est pas à l’abri de ce péril : la définition du "moteur de recherche" qu’il propose est si vague et si large qu’elle risque d’intégrer de très nombreux sites. Amazon devra-t-il intégrer également la contrainte de proposer "au moins trois autres moteurs de recherche" ? Et les grands groupes de distribution également ? Rien de tout cela n’est bien clair : à vouloir faire une victime, on pourrait bien parvenir à un massacre…

Au-delà de ces considérations techniques et du cas de Google en particulier, l’amendement parlementaire est tristement révélateur d’une abdication économique des Sénateurs, d’une réglementation défaitiste qui privilégie la pénurie plutôt que la création.

Les Sénateurs semblent tenir pour acquis qu’aucun opérateur ne pourra concurrencer Google, qu’aucune start-up innovante ne pourra détrôner le roi de la recherche sur internet. Ils semblent ignorer aussi que le succès de Google est probablement lié à la performance de sa solution : les consommateurs se précipitent rarement de façon contrainte auprès du même fournisseur. Ils font en réalité le pari de la défaite : puisqu’ils ont renoncé à ce que nos entreprises soient suffisamment créatives, les parlementaires entendent leur créer des places artificielles. C’est oublier que le secteur numérique est en perpétuel mouvement : qu’on se souvienne de ces entreprises qui dominaient les débuts d’internet et ont aujourd’hui disparu.

La proposition sénatoriale révèle également une profonde méconnaissance de l’économie numérique. La politique malthusienne dont elle s’inspire considère qu’elle doit gérer la concurrence dans un contexte de pénurie, alors qu’internet ne cesse de grandir ; elle s’emploie à administrer des places dans un secteur qu’elle imagine restreint, rigide et immuablement figé, alors qu’elle devrait créer des chances dans un marché qui ne cesse de se réinventer. Au lieu de réglementer de façon répressive, les politiques européennes et françaises devraient encourager l’innovation, faciliter la création, promouvoir l’initiative économique. C’est toute notre régulation qu’il faut repenser.

La France n’a pas plus qu’un autre pays vocation à être exclue du dynamisme entrepreneurial d’internet. Les géants de demain pourraient grandir chez nous, si nous leur permettons d’y prendre vie et leur donnons les moyens de s’y développer ! Créer, encourager, innover : voilà ce que devraient être nos priorités, au lieu de contraindre, punir et sanctionner.

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