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Nus face au terrorisme : comment l’Europe pourrait se réarmer moralement et idéologiquement : la réponse de Bertrand Vergely
©Reuters

SERIE

Atlantico a demandé à plusieurs personnalités quelles étaient les raisons du désarmement idéologique européen actuel. Ils nous ont expliqué le lien entre le pacifisme originel de l'après-guerre et le sentiment d'impuissance actuel. Deuxième numéro de cette série avec Bertrand Vergely.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Après l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray qui a vu deux islamistes mettre à mort un prêtre, n’est-il pas tentant de dire que l’on est en présence d’une guerre de civilisations ?

Bertrand Vergely : Je pense que face aux terribles événements auxquels nous sommes confrontés en ce mois de Juillet 2016 il faut se méfier de deux extrêmes.

1) Premier extrême : dire que nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes en guerre. Quand des tueurs via des organisations terroristes internationales financées par des États viennent sur le sol d’un pays commettre des meurtres et ce à répétition, il s’agit d’un acte de guerre. Rappelons que, par le passé, des pays ont fait la guerre pour moins que ça. Donc, arrêtons de dire que l’on n’est pas en guerre. L’intervention récente de la France au Mali et l’envoi d’un porte-avions près des côtes syriennes en sont la preuve.

2) Deuxième extrême : se tromper au sujet de cette guerre. Cette guerre n’est pas une guerre. C’est plus qu’une guerre. C’est une tentative ouverte et déclarée de génocide. Il faut être clair, les islamistes qui tuent des civils et des innocents comme à Nice ou un prêtre comme à Saint-Étienne-du-Rouvray veulent notre peau et sont prêts à faire un maximum de morts. Leur haine de l’Europe et de la France est viscérale.

Daech, qui est l’un de leurs commanditaires, nous a prévenus : "Nous allons installer l’enfer en Europe et nous ne vous laisserons aucun répit". Dans l’islam, il y a des réactions partagées face à cette logique. Il y a des musulmans, la grande majorité, qui ne soutiennent nullement cette logique d’holocauste et qui essaient de concilier les apports du mode de vie européen avec l’islam qu’ils pratiquent. D’autres sont plus mitigés. Certains souhaitent la victoire planétaire de l’islam au nom de la "vraie religion" et de la lutte contre les infidèles (les Européens), tandis que d’autres encore sont fiers de voir les terroristes faire souffrir les Européens. Il faut savoir que si les Européens ne se sentent pas en guerre contre eux, eux se sentent en guerre contre les Européens. Guerre de civilisation donc entre l’Europe et l’islam, l’islam et l’Europe ? Non. Les intérêts entre eux sont trop imbriqués pour que cela se produise jamais. En revanche, explosion du communautarisme musulman et choc avec le mode d’être démocratique et libéral européen et occidental, assurément. Libéralisme face au communautarisme religieux radicalisé. Je pense que ce doublet donne une assez juste idée de ce qui se passe en évitant des clichés réducteurs parce que trop exagérés.

>>>> A lire aussi :Nus face au terrorisme : comment l’Europe pourrait se réarmer moralement et idéologiquement : la réponse de Gilles-William Goldnadel

Pourquoi est-ce que l’Europe échoue à faire aujourd’hui respecter la paix qu’elle s’était jurée de faire régner en 1945 à la fin de la Seconde Guerre Mondiale ?

L’Europe échoue-t-elle à faire régner la paix ? Pas sûr.

Pour l’heure, l’Europe reste l’un des endroits du monde où il fait bon vivre. À part la guerre dans l’ex-Yougoslavie, l’Europe n’a quand même pas connu de guerre sur son sol depuis soixante-dix ans. Ce qui ne s’était jamais vu. Je pense toutefois que l’on a raison de dire que l’Europe n’est pas en paix. Pour des raisons qui ne sont pas tant militaires que morales et spirituelles. L’Europe a beau être extérieurement en paix, intérieurement ce n’est pas le cas. La paix est un état intérieur. C’est l’état de l’âme quand elle se trouve. L’Europe a beau être riche, elle n’a pas la paix de l’âme. D’où les problèmes auxquelles elle est confrontée. La délinquance. La montée des incivilités. La drogue. Les suicides et les tentatives de suicide. La dépression. Le manque de sens. Le chaos en ce qui concerne les valeurs, le chaos étant revendiqué comme figure de la liberté et de la libération. L’islam connaît aujourd’hui le terrorisme. N’oublions pas que nous l’avons connu dans un passé pas si lointain à travers la bande à Baader en Allemagne, les Brigades rouges en Italie, Action directe en France. Il s’agissait alors de détruire le capitalisme sur un mode un peu comparable à celui des islamistes dans leur volonté de détruire l’Europe et la France. Les groupes terroristes d’hier n’existent plus, mais le terrorisme intellectuel n’est pas mort. C’est lui qui fait que l’Europe n’est pas en paix. La volonté latente d’en finir avec la civilisation décrite par Freud dans Malaise dans la civilisation est sourdement présente.

Que faut-il faire pour redonner aujourd’hui à l’Europe une identité viable et protectrice ?

L’identité est ce qu’il y a de plus profond dans un être, en étant son noyau harmonieux en relation avec l’harmonie créatrice présente partout. Ce noyau se révèle lors de deux occasions dans la vie : face à l’extrême danger quand la vie est menacée et lors d’un extrême bonheur quand la vie se révèle dans sa beauté et dans sa profondeur. Entre les deux, il y a les êtres humains que nous sommes et qui sont équilibrés quand ils savent ce qu’ils veulent et ce qu’ils ne veulent pas ; à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’Europe a su pendant un temps ce qu’elle ne voulait pas : la barbarie nazie. Malheureusement, elle n’a pas exploité cette prise de conscience pour aller dans son noyau d’être, ne se préoccupant que de procurer un bien-être collectif aux Européens. Aujourd’hui, elle se retrouve dans une position pour le moins inconfortable consistant à avoir pour unique préoccupation la préservation de son bien-être sur fond d‘antinazisme. Ce qui fait qu’elle manque de courage et de lucidité. De courage parce que le bien-être, pour agréable qu’il soit, n’est tout de même pas un idéal exaltant. De lucidité parce que le danger aujourd’hui ne réside pas dans le nazisme mais dans le terrorisme islamiste, qui n’est pas nazi. Il faut que l’Europe retrouve la paix intérieure qui lui manque. Elle retrouvera alors courage et lucidité. Pour cela, il faut quelle aille au fond d’elle-même. Si elle le fait, sachant ce qu’elle veut, elle se fera respecter et elle apportera de la paix pour elle-même et pour les autres.

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