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Nouvelle intox iranienne à propos d’un navire de guerre
©KHAMENEI.IR / AFP

Du neuf avec du vieux

A des fins de propagande interne, Téhéran se livre depuis des années à de grands shows destinés à rassurer sa population sur ses capacités militaires classiques.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Depuis des années, Téhéran se livre à des intoxications répétées concernant de nouveaux armements classiques. Il faut reconnaître que sa panoplie est désuète depuis que des embargos interdisent aux pays tiers de lui livrer armes, munitions et pièces de rechange. Ses armements classiques sont basés sur des matériels américains datant du temps du Shah renversé en 1979 et de fournitures de l’époque du Pacte de Varsovie, période révolue au début des années 1990. L’Iran a bien sûr développé une industrie de défense mais, depuis la fin de la guerre avec l’Irak en 1988, l’effort a surtout porté sur le nucléaire et les missiles au détriment des armements classiques.

La stratégie iranienne écartait volontairement la possibilité d’une nouvelle guerre du type de celle qui venait de se terminer contre Saddam Hussein, mais focalisait sur le "grand" et le "petit Satan" (États-Unis et Israël). Une invasion terrestre semblant peu envisageable pour des raisons tactiques et de coûts humains l’Iran n’étant en rien comparable à l’Irak (1), Téhéran a toujours pensé à la menace de frappes aériennes massives et a conçu une politique devant être assez dissuasive pour l’empêcher.

Cette riposte prévoit trois volets : la fermeture du Détroit d’Ormuz articulée autour de batteries de missiles sol-mer battant des zones infestées de mines marines, le bombardement par des missiles tactiques de bases US dans la région et des installations pétrolières des pays bordant le Golfe persique, et enfin, des opérations à caractère terroriste (sujet non traité dans cet article).

L’option nucléaire a aussi été envisagée et n’est certainement pas abandonnée dans l’esprit des dirigeants iraniens actuels. Pour eux, si le colonel Kadhafi n’avait pas renoncé à la bombe, son régime serait toujours en place. L’autre exemple est celui de la Corée du Nord où le "grand leader" Kim Jong-un coule des jours heureux à l’abri de son parapluie nucléaire.

Mais, à des fins de propagande interne, Téhéran se livre depuis des années à de grands shows destinés à rassurer sa population sur ses capacités militaires classiques. À cette fin, il n’est pas une année sans qu’un nouvel avion de chasse, hélicoptère ou char ne soit dévoilé publiquement. Il s’agit la plupart du temps de matériels anciens modernisés (du neuf avec du vieux) ou des engins civils militarisés comme les vedettes rapides en dotation dans la composante maritime des pasdarans. Parfois même, ce ne sont que de vulgaires maquettes qui sont exposées.

Toujours est-il que la dernière trouvaille en date est le navire de guerre "Shahid Rudaki" (du nom d’un "martyr" pasdaran tué il y a une vingtaine d’années) qui devrait faire sa première sortie dans le Nord de l’Océan Indien. Une cérémonie très médiatisée de livraison du "navire de guerre océanique" Rudaki à la composante navale des pasdarans a eu lieu à Bandar Abbas le 19 novembre. Étaient présents le major-général Hossein Salami, le commandant en chef du Corps des gardiens de la Révolution iranienne (CGRI) et le contre-amiral Ali Reza Tangsiri, le chef de la composante navale des CGRI.

Ce bâtiment est, selon la propagande iranienne, "un navire lourd, polyvalent et à long rayon d’action capable de transporter tous les types d’aéronefs, de drones et de missiles, de systèmes de défense et de radar […] D'un déplacement de 12.000 tonnes, une longueur de 150 mètres et une largeur de 22 mètres, le navire dispose d’un radar tridimensionnel, de missiles sol-sol et sol-air, de systèmes de communication intégrés très avancés, du système de défense antiaérienne Khordad".

Dans les faits, c’est un ancien roulier qui a été militarisé. Pour la cérémonie, il avait sur son pont quatre vedettes légères de type Cougar, un système anti-aérien Khordad 15, quatre lanceurs double de missiles sol-mer Qader, un hélicoptère Bell-212, six drones Ababil-2 et deux petits drones à rotors. Cette configuration était faite pour "la photo" car ni les missiles sol-mer et sol-air ne peuvent efficacement être mis en œuvre depuis cette plateforme mobile. Les drones Ababil embarqués ne sont pas capables de venir se poser sur la plate forme et ne pourraient donc être utilisés que pour effectuer des frappes ciblées uniques.

Pour le Pentagone, ce navire peut être utilisé pour le recueil de renseignements, la lutte anti-criminalité (contre la piraterie et les trafics) et le support de commandos agissant à proximité des côtes. Mais il n’est absolument pas apte à mener une guerre maritime classique. Et même pour des missions de type asymétrique, ce navire estampillé "militaire" peut devenir un objectif légal s’il est engagé sur un théâtre de guerre comme au Yémen ou en Syrie. Sa taille et l’absence de défenses navalisées en font une cible facile à atteindre. L'annonce de l'agence iranienne Pars comme quoi "le navire pourrait dissuader les patrouilles de la cinquième flotte de la marine américaine basée à Bahreïn dans la région" est tout simplement une forfanterie. 

1 - Populations : 82 millions d’Iraniens contre 39 millions d’Irakiens.

Superficie : 1.650.000 km2 pour l’Iran contre 435.000 km2 pour l’Irak.

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