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Nouveau référendum en vue sur le Brexit : les gains pour le Royaume-Uni d’un nouveau vote “Remain” vaudraient-ils le coût politique de l’annulation du vote « Exit »?
©Reuters

2005, le come back ?

"Nos coeurs vous sont toujours ouverts" a déclaré Donald Tusk à Strasbourg. Toutefois, peu de chance de voir un second vote arriver avant le divorce définitif entre Européens et Britanniques.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : En évoquant la possibilité d'un retour en arrière du processus de retrait enclenché par le Brexit, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a déclaré "N'est-ce pas David Davis lui-même qui a dit que si une démocratie ne peut pas changer d'opinion, elle cesse d'être une démocratie" (..)"Nos cœurs vous sont toujours ouverts"​. En imaginant un tel scénario, comment peut-on évaluer, d'un point de vue politique, l'impact d'une telle décision au Royaume-Uni mais également pour les européens dans leur globalité ?  Quels sont les précédents pouvant être mis en avant en la matière, dont le symbole le plus visible pourrait être le référendum de 2005 en France, suivi de la signature du Traité de Lisbonne ? Avec quels effets réels sur la population ? 

Rémi Bourgeot : Alors que la crise politique européenne apparait de plus en plus comme généralisée, on a tendance à traiter le Brexit comme une absolue particularité britannique, de nature insulaire en quelque sorte. Plus généralement, le déni quant à la remise en cause de plus en plus large du cadre politique de l’Union européenne conduit à voir chacune de ces manifestations diverses comme isolée et relevant d’un « accident électoral ». La particularité du Brexit c’est que le phénomène remet directement et on ne peut plus explicitement en cause le cadre communautaire, au contraire des autres « accidents », qui du nord au sud et d’est en ouest prennent des formes certes claires mais moins immédiates.

En découle assez naturellement l’idée que l’on entend d’ailleurs très souvent selon laquelle, au fond, il suffirait d’inverser le vote du Brexit pour que tout rentre à peu près dans l’ordre et que la vision de l’Europe selon Saint Juncker puisse advenir et ainsi illuminer les citoyens qui ignoreraient encore le génie des institutions européennes.

La vision horlogère selon laquelle il conviendrait en quelque sorte de remonter le temps pour empêcher le oui au référendum constitue l’épicentre du mécanisme de déni aussi bien en Europe continentale que sur l’île à la dérive.

Rien n’indique pourtant vraiment que le non l’emporterait aujourd’hui, malgré les difficultés qui sont apparues dans le cadre de négociations volontairement chaotiques. La lecture au jour le jour des indicateurs économiques permet d’alimenter une vision alarmiste, bien que l’Armageddon annoncé ne se soit pas réalisé. Dans la réalité, malgré les déséquilibres préexistants de l’économie britannique et les tensions dans les négociations, le libre-échange entre le Royaume-Uni et le continent n’est pas franchement remis en cause. Et à l’opposé de ce qui est affirmé sur les ondes françaises il n’existe pas de compromis en Europe, notamment avec l’Allemagne, pour pénaliser véritablement les relations entre le Royaume-Uni et les pays de l’Union européenne.

Si l’annulation du vote du Brexit, par quelque technique que ce soit, soulagerait les Remainers et les gouvernements européens, il faut constater que cela n’arrangerait rien au fond de la situation de crise politique et l’aggraverait bien au contraire, décuplant les critiques existantes sur le long terme. Dans le cas du référendum de 2005, les non français et néerlandais avaient été contournés avec le Traité de Lisbonne. Une pure invalidation, ne serait-ce que par un nouveau vote qui, de façon très hypothétique, produirait un petit non au Brexit, ne pourrait qu’être interprétée comme une forme de violation du cadre démocratique. La démocratie ne consiste pas à faire revoter jusqu’à ce que le résultat souhaité prenne le dessus, car le risque est évidemment celui d’une manipulation systématique et de grande ampleur de l’opinion à cette fin.

Donald Tusk s’est, en particulier par rapport à ses homologues de la Commission, souvent montré beaucoup plus réaliste au sujet de la crise politique européenne. On peut ainsi penser que sa position sur l’inversion du Brexit constitue un réflexe dans ce type de poste plus qu’elle ne traduit son approche personnelle. Son invocation de la question de la démocratie vise, en vain, à retourner l’argument sur le respect nécessaire du référendum. Cependant, un chef d’Etat en régime de démocratie libérale n’est pas un photographe qui mitraillerait de flashs photographiques la population jusqu’à en obtenir le plus sublime des clichés à même de satisfaire sa vision des choses. Que l’on soit pour ou contre le Brexit, là n’est même pas la question du point de vue du respect des principes démocratiques et libéraux.

Qui sont ceux qui défendent réellement une telle solution, aussi bien au Royaume Uni que dans le reste de l'UE ? Quel est le risque de voir à nouveau se cristalliser une nouvelle fois une opposition entre "peuple" et "élites" ? Cette opposition binaire se vérifie-t-elle en l'espèce ? A-t-elle au moins un sens ?

Au Royaume-Uni, de nombreux Remainers respectent le vote populaire. C’est d’ailleurs le cas de Theresa May qui avait voté non au Brexit et qui, en vertu de son mandat, négocie pour satisfaire le vote démocratique en faveur d’une sortie de l’Union européenne. Une autre catégorie de Remainers souhaite inverser le vote. On peut comprendre les motivations de ceux pour qui le refus du Brexit touchent à des sentiments sincères d’attachement à l’Europe. Les motivations de ceux qui vont jusqu’à invoquer la parole de Tony Blair est, à l’opposé, assez dérangeante. L’ex-premier ministre avait perdu son crédit politique en particulier de par ses mensonges lourds de conséquences et de pertes de vies humaines au moment de la guerre d’Irak, mais la cause du Brexit apparait primordiale au point de remettre en scène le personnage, qui n’a rien perdu de son énergie.

De façon générale, il est étonnant qu’une partie de l’élite britannique ainsi qu’européenne n’hésite pas à adopter une ligne en apparence strictement technocratique. Par ailleurs, on peut constater lors d’échanges nombreux que cette ligne technocratique est en général peu informée des réalités de l’économie britannique et des liens commerciaux et financiers avec le continent. Il est donc en général déconcertant de débattre avec les avocats d’une forme de primat technocratique qui ne disposent pas des repères de base quant aux différentes modalités d’association commerciale entre pays.

C’est ainsi que l’idée en vogue à Paris d’une association de type CETA (entre l’UE et le Canada) est prônée par certains comme la seule possibilité restante pour gérer les liens entre Royaume-Uni et UE alors que ce type de partenariat bilatéral n’accorde aucune place particulière à l’acquis communautaire européen.

L’inefficacité des débats sur le Brexit renvoie plus profondément à la crise qui affecte l’élite, avec la disparition progressive des élites culturelles et techniques au profit d’une forme de mise sous tension idéologique permanente.

Quelle est la probabilité que seul un Brexit apparent puisse avoir lieu, que seul un "Brexit de forme" ne voit le jour ? 

Pendant la campagne référendaire déjà, d’importantes divergences et un certain nombre d’incompatibilités étaient apparues au sein même du camp du oui, entre la ligne populiste et la ligne libérale qui voudrait approfondir le rôle de Londres comme centre offshore. Cette dernière ligne consiste également à prôner un Brexit de forme.

Par ailleurs, pour ceux parmi les Remainers qui, comme type Theresa May, acceptent le résultat du référendum, l’invocation de la possibilité d’un « hard Brexit » ou de l’absence d’accord semble surtout être un moyen de pression, tout à fait classique dans des négociations. Les dirigeants britanniques souhaitent évidemment préserver les échanges avec le continent, mais en imposant une limite qui reste à définir à l’immigration européenne vers leur île. Le gouvernement est ainsi prêt à renoncer à une partie de son accès au marché unique, notamment en ce qui concerne l’exportation de services financiers, mais là encore on constate en fait une volonté résolue de s’approcher le plus possible d’une forme de statu quo, ce qui s’accompagne naturellement de l’idée de plus en plus acceptée d’une longue période de transition.

Par ailleurs, on voit en Europe continentale qu’il n’existe pas de consensus pour sanctionner ces liens, et que l’Allemagne en particulier rejette une quelconque forme de rupture commerciale, pour des raisons liées au cœur du système politique allemand et de son mandat de respect des intérêts économiques du pays et des entreprises.

La vision en vogue à Paris depuis 2016 trouve un écho important dans les débats européens car elle correspond à la vision de défense de la logique des institutions européennes, mais cette vision est, dans la réalité des rapports de force et des approches politiques, très isolée.

Comme il existe peu de domaines où l’approfondissement de la construction fédérale puisse trouver un écho, le thème de l’Europe de la défense a été désigné comme une réponse au défi posé par le Brexit. Il était intéressant de noter à ce sujet que, dans cette idée de riposte politique, Emmanuel Macron a finalement expliqué qu’il incluait évidemment le Royaume-Uni, qui est notre plus proche allié, dans sa vision d’une coopération militaire plus étroite en Europe.

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