Nos tentatives de meurtre sur le prince charmant sont-elles bénéfiques pour les petites filles ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les contes participent à la construction psychique des enfants.
Les contes participent à la construction psychique des enfants.
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Un jour mon keum viendra

Le prince charmant, idéal masculin quelque peu machiste et longtemps considéré comme absolu, en a pris un coup ces dernières années, notamment dans les fictions qui en faisaient autrefois l'apologie.

Atlantico : De plus en plus de dessins animés ou de films pour enfants tels que "La Reine des neiges", actuellement en tête du box-office américain, montrent une image moins idéaliste du prince charmant, tel qu'on le voyait autrefois. Est-ce la fin selon vous du mythe du prince charmant ? Pour quelles raisons ?

Sylviane Barthe-Liberge : Depuis les travaux de Bruno Bettelheim, nous savons que les contes participent à la construction psychique des enfants. Ces histoires symboliques présentent des archétypes universels. Et ces derniers jouent un rôle déterminé qui permet à l’enfant de se construire une représentation des forces qui l’animent, voire l’inquiètent parfois.

La question du « Prince charmant » vient en fait de l’Inde, avec le Dieu Rama, héros du Ramayana, source de nombreux contes. Mais, si l’on se réfère aux théories de Carl Gustav Jung, pour les jeunes filles, il est le symbole de l’animus (part masculine) qu’elles doivent attirer et amener à la conscience. C’est-à-dire la part cachée inconsciente, qui ne se manifeste de manière négative que parce qu’elle est ignorée et refoulée. Or, l’animus (tout comme l’anima chez les garçons) se forme au cours de la petite enfance à partir des inconscients collectifs et des imagos parentales (le père pour la fille). L’animus se caractérise par des qualités comme le courage, l’affirmation, l’intelligence rationnelle et analytique…


Il est vrai qu’aujourd’hui, nous assistons de plus en plus à une évolution de la représentation du Prince charmant (qui est parfois même bien égratignée comme dans Shrek). Mais c’est une évolution qui est à l’œuvre depuis des siècles ! Par exemple, au 17ème siècle, les contes sont particulièrement cruels (les loups mangent les enfants, les sorcières sont de vieilles femmes hideuses et terrifiantes…). Au 19ème siècle, la cruauté est toujours présente mais axée sur d’autres thèmes liés aux circonstances sociales et économiques du moment (famine, froid, pauvreté… Certains contes se finissent même mal et surtout, les filles sont destinées à se marier et à avoir beaucoup d’enfants, systématiquement). Au 21ème siècle, on cherche davantage à protéger les enfants de représentations violentes, au profit de la transmission d’idéaux individualistes.

Dans cette suite logique, et en lien avec les théories jungiennes, nous voyons des héroïnes de dessins animés devenir plus actives, affichant leur animus : c’est le cas notamment dans Rebelle, mais aussi dans la Reine des neiges. C’est sans doute aussi dû à l’influence, depuis des décennies, des mouvements féministes. Le prince charmant devient alors moins sublime, mais plus réaliste.

Catherine Monnot : Le mythe du prince charmant n'a pas du tout disparu, puisque les contes traditionnels font toujours partie de la culture enfantine. En outre, l'éducation faite aux petites filles leur apprend que les sentiments restent plus importants que la sexualité, et qu'il faut donc attendre le ''bon'' avant de passer à l'acte. La jeune fille continue de devenir femme au travers d'une initiation qui passe par la rencontre avec l’homme. Seulement, à cette image romantique des relations hommes-femmes se superpose les réalités d'une époque que la culture médiatique intègre aussi : à savoir que les femmes d'aujourd'hui sont autonomes, décisionnaires de leur vie, et qu'elles renversent parfois les inégalités économiques et sociales traditionnelles. Dans les dessins animés, on voit donc apparaitre le modèle, certes marginal, mais récurrent de la femme au pouvoir.

Le prince charmant est-il en quelque sorte un objet de désir inaccessible, qui en façonnant l'image des relations homme/femme que peuvent avoir les petites filles, expliquerait plus tard pourquoi beaucoup d'entre elles ont des attentes inaccessibles ?

Sylviane Barthe-Liberge : Nous avons tous besoin de rêver, surtout au cours de l’enfance, car c’est de notre capacité à rêver que nous nous construisons. Le premier prince charmant des petites filles est leur père (comme la mère est la première princesse des garçons). Je ne suis pas sûre que cet objet de désir inaccessible soit la cause des difficultés des relations homme/femme adultes. Enfants, nous vivons dans des illusions qui, au regard des expériences de la vie, volent en éclat mais pour mieux nous aider à faire face aux éventuelles difficultés à venir. C’est aussi parce que nous faisons le deuil de nos illusions que nous parvenons à nous adapter aux changements. Ces illusions, ce sont des rêves qui nous permettent d’espérer, de construire et d’élaborer. Ne serait-ce pas justement parce que nous perdons cette magie infantile que nous devenons égocentrés (venant entraver la relation duelle car peu enclins aux concessions) ?

Les attentes inaccessibles, auxquelles vous faites référence, sont souvent une preuve d’immaturité. Comme si une étape n’avait pas pu être élaborée au cours de l’enfance et venait buter dans la vie adulte. Il me semble que cette étape « altérée » est en lien avec un trop de réalisme chez les enfants. Je constate aujourd’hui que les enfants perdent très vite et très tôt les illusions magiques de l’enfance (le père Noël, la petite souris…). Peut-être est-ce trop tôt.

Catherine Monnot : Les petites filles reçoivent toujours une éducation sentimentale désincarnée et idéalisée, où il n'est guère question des réalités des relations entre les hommes et les femmes : adultères, célibat prolongé, famille mono-parentales, voire même violences conjugales. Ces réalités sont quasiment toujours absentes des scénarios proposés aux enfants dans les supports ludiques ou culturels produits pour eux. La découverte du monde réel se fait au travers de la vie de leurs parents, de leur entourage proche. Malgré tout, il reste cette bulle, cet idéal, qui a été semé en elles durant la petite enfance et qu'elles espèrent évidemment vivre plus tard, comme un modèle de réussite affective. Dans ce scénario, l'homme est forcément paré de toutes les qualités humaines. Il faut ensuite toute une vie pour parvenir à créer un équilibre entre les attentes et la réalité…

A l'inverse, l'image du prince charmant ne serait-elle pas aussi un peu bénéfique en encourageant aux l'envie d'avoir une relation exclusive et saine. Tout comme quand un petit garçon passionné par les super héros est encouragé à faire preuve d'honnêteté et de courage.

Sylviane Barthe Liberge : Ces images universelles sont indispensables à la construction psychique des enfants. Ces derniers sont d’ailleurs étonnants. Plus les adultes cherchent à leur imposer les réalités (sous prétexte que ce serait leur mentir), plus les enfants vont aller chercher ailleurs du magique. C’est sans doute une des raisons qui explique l’engouement des enfants (et pas seulement des garçons) pour les super héros.

Les enfants ont besoin d’images fortes et stéréotypées pour s’approprier certaines qualités, certaines valeurs. Mais aussi pour se différencier dans leur construction de l’identité sexuelle. Ces images leur donne un cadre de référence qui est rassurant et contenant.

Catherine Monnot :Le problème de l'image du prince charmant, c'est qu'il reste en lui même le véritable but à atteindre que l'on présente aux filles, comme une forme de réalisation de soi qui passerait chez elles par la rencontre avec l'amour et une mise en couple stable et durable, avec des enfants. Leur champ des possibles est très tôt réduit à cet horizon de l'espace domestique et de l'épanouissement par la conjugalité. La réalisation par le travail, l'art, le sport etc., ne sont que secondaires dans l'imaginaire collectif en ce qui concerne le bonheur au féminin.

Désormais, dans certains dessins animés, c'est l'héroïne qui a le plus de caractère et de personnalité - dans Raiponce par exemple -, qu'est-ce que cela nous dit de l'état de la relation homme/femme aujourd'hui ? Y a t-il eu un renversement de rôle dominé/dominant dans la réalité, qu'on essaie de retranscrire à l'écran ?

Sylviane Barthe-Liberge : Aujourd’hui, les femmes sont plus actives, plus entreprenantes qu'autrefois. Il est donc normal que cette évolution se retranscrive également au niveau des représentations cinématographiques. La parité et l’égalité passent peut-être aussi par les dessins animés !

Mais je constate aussi que, bien que la fille n’ait plus un rôle de potiche, il n’y a plus pour autant une relation dominant/dominé. On observe au contraire une relation de complicité et de complémentarité entre les héros.

Catherine Monnot : Il n'y a pas de renversement réel et en profondeur de la hiérarchie masculin/féminin, il suffit d'observer les statistiques concernant la part de responsabilité des femmes dans la sphère économique et dans la sphère politique pour s'en rendre compte. Il y a bien une évolution mais cette évolution est lente et partielle. On est donc plutôt ici dans l'ordre du symbolique. Mais cette évolution symbolique est déjà un pas en avant et peut contribuer à la fois à sensibiliser et à faire avancer les mentalités.

Au-delà du cliché du prince charmant, on remarque que la plupart des héroïnes de dessins animés sont souvent très belles et minces. Pourquoi est-ce si difficile aujourd'hui de se passer de ce cliché ? Qu'est-ce que cela nous dit sur notre société ?

Sylviane Barthe-Liberge :Notre société est toujours soumise au dictat de l’image et de la minceur. Y compris dans les dessins animés. La beauté se définie généralement comme la caractéristique propre d’une entité qui, au travers de l’expérience de perception, procure une sensation de plaisir ou un sentiment de satisfaction à celui qui la regarde. Cela correspond aussi aux stéréotypes inconscients collectifs.

Ainsi, un certain nombre de critères objectifs (tant pour les deux sexes que spécifiquement pour les hommes ou pour les femmes) existent : symétrie du visage, jeunesse, proportion des yeux par rapport au visage, la couleur de la peau… Ces critères sont généralement associés à des qualités telles que sociabilité, cordialité, honnêteté, responsabilité, sincérité, et même de meilleures capacités sexuelles !

Par ailleurs, la beauté est intimement liée à la finesse du corps, synonyme aussi d’élégance. Même si ces critères correspondent au désir masculin, et au regard dans lequel les filles se construisent, il répond aussi aux représentations féminines en général (et dès le plus jeune âge).

Nous sommes toujours marqués par ces stéréotypes, qui évoluent, mais lentement.

Catherine Monnot : Voilà une autre limite dans la présentation des évolutions de la place de la femme : les médias (cinéma, publicité, séries tv, dessins animés, jouets pour enfants etc), ne valident la femme indépendante et puissante que dans la mesure où elle correspond à des standards physiques très stéréotypés. La femme présentée en modèle ne peut de doute façon qu'être jeune, belle et mince, soignée et si possible avec les cheveux longs. Il n'y a que dans ce cas de figure qu'elle est autorisée à transgresser les codes traditionnels concernant les rapports de pouvoir. De cette façon elle se replace encore une fois dans la problématique de la séduction et dans le regard masculin posé sur elle. Et in fine dans la problématique de la mise en couple... La boucle est bouclée...

Propos recueillis par Ilana Ferhadian

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