Non, le FN n’est pas le premier parti de France, et autres erreurs d’analyse courantes sur le FN<!-- --> | Atlantico.fr
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Combien de fois faudra-t-il le répéter ?

Les cadres du Front national ont beau le répéter lors de chaque coup d'éclat électoral, une analyse raisonnée de la réalité montre bien que le parti de Marine Le Pen, en dépit de ses 25% de voix aux Européennes, n'est pas "le premier parti de France".

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Le Front national a beau avoir remporté 25% des voix lors des élections Européennes de ce dimanche 25 mai, cela ne fait pas de lui le premier parti de France. Christophe Bouillaud, professeur de science politique à l'Institut d'Etudes politiques, revient sur les neuf erreurs d'analyse courantes concernant le parti de Marine Le Pen. 

1. Ces élections européennes prouvent que le FN est "le premier parti de France"

Dès l’annonce des résultats aux élections européennes, des responsables du FN ont proclamé que le FN devenait ainsi le "premier parti de France". Le FN arrive certes à cette occasion en tête des suffrages exprimés, avec selon les données à notre disposition 26% des suffrages exprimés. Il est en tête aussi bien au niveau national que dans la plupart des circonscriptions interrégionales métropolitaines utilisées pour ces élections-là (à l’exception de l’ouest et de l’Ile de France). Le FN progresse par ailleurs très fortement par rapport à son score de 2009, et passe devant l’UMP à cette occasion. Mais cet excellent résultat ne signifie pas que le FN quitte d’un coup  son statut de parti marginal dans le système politique français. En effet, les élections municipales de mars 2014 viennent juste de montrer que ce parti commence à peine à se construire de nouveau (après l’échec des années 1990) une implantation locale sérieuse au niveau des pouvoirs municipaux.

Le FN peut alors se féliciter du gain d’une dizaine de mairies, mais cela n’est toutefois encore pas grand-chose par rapport au nombre d’élus et surtout de maires des grandes forces territorialement implantées depuis des décennies que sont l’UMP, le PS et le PRG, l’UDI-Modem. Ces gains bien réels mais au total limitées aux municipales sont dus à un autre fait essentiel : le FN, pour l’instant, n’a aucun allié d’importance, le "Rassemblement Bleu Marine" (RBM) n’est pour l’heure que celui du FN avec quelques forces marginales d’extrême droite. Pour les présentes européennes, le "Bloc identitaire" a appelé à un vote FN par exemple sans d’ailleurs se rallier complètement au RBM à ce jour. Le FN reste donc isolé, contrairement aux autres partis historiques (UMP, PS, UDI-Modem) qui sont capables de se situer dans un réseau d’alliances victorieuses dans un système politique dominé par le scrutin majoritaire à deux tours. Enfin, il n’est pas sûr du tout que le FN soit le premier parti en nombre de militants : par leur implantation dans les pouvoirs locaux, l’UMP et le PS sont bien plus importants de ce point de vue.  Rappelons qu’en mars dernier, le FN avait encore des difficultés à présenter des listes partout aux municipales.

Il faudrait donc  plutôt dire que, non pas que le FN est le premier parti de France, mais celui qui reçoit le plus d’attention de la part des médias. Les présentes Européennes ne font que confirmer  à mon sens cette sur-attention à son égard. On oublie du coup le niveau de l’abstention, et les 75% d’électeurs qui sont allés voter et qui n’ont pas exprimé un vote pour le FN.

2. Les Français qui ont voté pour les listes FN aux Européennes adhèrent à l’idéologie portée par le parti

On ne saurait nier que les électeurs du FN fassent partie des électeurs français qui ont une vision très défavorable de l’Union européenne (avec ceux de quelques autres forces mineures, comme DLR par exemple). Cependant, il est peu probable que la plupart d’entre eux aillent jusqu’au bout du raisonnement que semble bien proposer le FN désormais. En effet, comme l’a montré la déclaration de Marine Le Pen au soir de l’élection, cette dernière s’oriente apparemment vers un discours "indépendantiste" ou "souverainiste". Elle parle certes encore d’une "autre Europe" - celles des "Nations" -, mais elle insiste aussi sur la "liberté" et la "souveraineté" de la France. Or les attitudes des électeurs, qu’ils aient voté FN ou pas, sont très ambigües sur le projet européen : la plupart des sondages l’ont montré : sur certaines questions, les électeurs semblent détester l’Europe, sur d’autres, au contraire, ils l’acceptent, comme avec l’euro, et sur d’autres encore (la défense européenne par exemple), ils en voudraient plus.

Plus généralement, comme pour les autres partis d’ailleurs, il ne faut pas surestimer le degré de connaissance du programme et d’adhésion à ce dernier de la part des électeurs ordinaires.

A lire : Seulement 34 % des Français "adhèrent aux idées du Front national"

3. Le FN est un parti fasciste

Les diagnostics qu'on peut voir ici ou là selon lesquels les bons résultats du FN aux municipales et maintenant aux Européennes témoigneraient d'un retour du fascisme que ce parti incarnerait sont erronés. Si l'on ne peut nier que ce parti se situe à l'extrême droite de l'échiquier politique français, l'utilisation du terme de fascisme à propos du FN ne correspond pas à grand-chose. La victoire mutilée dont se plaignaient les fascistes italiens de 1919-1922, les aspirations à la grandeur impériale de l'Italie dans les années 1930, l'antisémitisme d'Etat de l'Italie d'après 1938, les rancœurs des combattants de la cause perdue de la République de Salo (1943-45), qu'est-ce que cela a à voir avec le FN français des années 2010 ?

Pas grand-chose, sinon la flamme du symbole du FN qui s'inspire de celle des néo-fascistes du "Mouvement social italien" (MSI) des années 1946-1995. Plus généralement, les conditions historiques qui ont produit le phénomène fasciste au sens large en Europe entre 1890 et 1940 et qui n'a pas épargné la France n'ont rien à voir avec la situation de l'Europe d'aujourd'hui, en particulier parce que le fascisme historique se conçoit entre autres comme une contre-attaque contre un mouvement ouvrier alors sur la pente ascendante, mouvement organisé par les syndicats de la classe ouvrière, les socialistes et les communistes. Aujourd'hui, le FN prétend venir au secours des classes populaires, des ouvriers, des petits, des sans-grades, comme aurait dit Jean-Marie Le Pen, alors même que ces derniers voient leur poids politique diminuer d'année en année dans la société française et européenne en voie de désindustrialisation. L'ambiance est pour le moins un peu différente. Hénin-Beaumont en 1936 n'est pas Hénin-Beaumont en 2014. Pour ne pas parler de l'idéalisme nationaliste d'alors, dont les échos d'aujourd'hui font plutôt pâle figure. 

4. Le FN est le parti de la désespérance

Assimiler le FN au parti de la désespérance parait plutôt rapide et simpliste. En effet, les gens vraiment désespérés ou marginalisés au sens strict du terme ne vont sans doute pas beaucoup voter, ils font plutôt partie des abstentionnistes permanents qui ne participent pas à la vie électorale du pays, parce qu'ils sont trop en marge de la société française ou du monde du travail pour le faire. Pour voter, il faut disposer d'un minimum de ressources sociales. Au contraire, comme tous les partis d'ailleurs, le FN mobilise des électeurs qui ont encore envie d'aller voter, donc qui croient que cela sert à quelque chose, qui ne sont pas désespérés ou marginalisés au sens strict du terme, qui ont encore quelque chose à défendre, qui veulent que leur voix compte. Pour les européennes, ce constat me parait encore plus flagrant dans la mesure où cette élection n’attire pas justement pas beaucoup les électeurs de manière générale: il faut avoir beaucoup d’espoir(s) dans la tête pour aller voter, y compris FN.

5. Il faut un front républicain pour barrer la route au FN 

L'appel au front républicain suppose que le FN soit un parti antirépublicain, qu'il se prépare de quelque façon à abolir la forme républicaine de l'Etat, ou qu'il cache des intentions particulièrement malignes. Dans ce cas, plutôt que d'appeler à un front républicain dans les urnes, le gouvernement qui en a le pouvoir devrait l'interdire purement et simplement. Il faut croire qu'il n'a pas assez d'éléments probants pour soutenir ensuite une telle accusation devant les tribunaux (français puis européens), ou qu'il néglige ses devoirs de protection de la République contre des factieux supposés. D'un point de vue plus systémique, le scrutin à deux tours permet effectivement aux deux grands partis de bloquer l'arrivée de challengers, comme le FN en l'occurrence. Je ne crois pourtant pas que cela soit tellement souhaitable du point de vue de la prise en compte de tout l'électorat : les électeurs du FN doivent aussi avoir le sentiment que leur camp peut gagner de temps à autre, et qu'ils ne sont pas exclus à tout jamais du jeu, ce qui pour le coup risquerait d'alimenter leur mépris de la démocratie représentative à la française, de la République en somme. 

Avec 25% des suffrages exprimés lors d’une élection jouée à la proportionnelle, le FN va avoir de nombreux députés européens – représentants du peuple français au Parlement européen -, mais il pourra encore plus faire remarquer sa faible représentation au Parlement français lié à un mode de scrutin particulièrement peu accueillant aux partis nouveaux.

6. La progression du FN marque l'avènement du tripartisme 

Qu'il existe une tripartition de l'électorat (extrême droite/droite/gauche) est un argument qui peut être accepté, en faisant toutefois remarquer que la sensibilité d'extrême droite reste très minoritaire dans l'électorat en général (25% de 40% des votants, ce n’est pas autre chose qu’une minorité des électeurs inscrits). Par contre, il faut faire attention que chacune de ces grandes sensibilités politiques est représentée par plusieurs partis. Le FN parait très dominant dans son camp, mais il existe aussi des dissidences comme la "Ligue du sud", le "Bloc identitaire" et quelques autres. La droite modérée est divisée pour simplifier beaucoup entre l'UMP, l'UDI et le Modem. La gauche comprend, toujours pour simplifier à grands traits, le MRG, le PS, EELV, le PG, le PCF, sans compter LO, NPA et quelques autres chapelles d'extrême-gauche sans paroissiens. Malgré un mode de scrutin, qui tend au bipartisme, la France reste un pays multipartite. Cela s’est bien vu au niveau des municipales justement. Il y a le continent des "sans étiquettes", des "divers droite" et des "divers gauche".

Il y a aussi le fait que dans chaque camp des rééquilibrages s'opèrent. Ainsi, à gauche, il semble que, aux municipales comme aux Européennes, le PS soit particulièrement victime du vote-sanction, alors que ses alliés d'EELV subissent un peu moins l'usure du pouvoir. A droite, on dirait bien que l'alliance UDI-Modem sur la séquence municipales-européennes 2014 fonctionne et laisse présager le retour d’une nouvelle grande « UDF ». Bref, ne voir que le FN, l'UMP et le PS constitue une simplification abusive de la vie politique française. Les  Municipales et les Européennes n’ont pas été seulement le moment de l’affirmation du FN.

7. Si le FN progresse, c'est grâce à sa normalisation 

La progression du FN aux municipales, surtout par rapport à 2008, comme cela a déjà été beaucoup dit, tient d'abord à sa capacité renouvelée de présenter des listes dans beaucoup d'endroits (mais pas encore partout). Sur les villes de plus de 10 000 habitants, il passe d'un peu moins de 1% en 2008 à un peu plus de 9%. Cette progression s'explique surtout par le fait qu'en 2008, le FN était grillé par sa défaite cuisante de 2007 à la Présidentielle, et avait dans le fond failli disparaître à ce moment-là. On pourrait remarquer cependant que les derniers jours de la campagne ont certes été marqués par quelques incidents portant sur la constitution de ces listes, mais cela correspond à la difficulté plus générale d'un parti diabolisé depuis des lustres d'engranger des soutiens publics de la part des citoyens. Il faut dire aussi que les dégâts de la rupture avec les "mégretistes" en 1998 et de la séquence 2007-8 se résorbent désormais et le FN a réussi à reconstituer un minimum d'organisation nationale assez professionnelle pour être capable de s'implanter.

Pour les européennes, c’est surtout parce que le FN, peut-être pour la première fois, a réussi à capter entièrement en sa faveur l’enjeu européen. Dans le passé, il y avait eu à droite des listes souverainistes ou celles du CNPT qui avaient été en capacité de parler de cet enjeu. Il se trouve que DLR s’est avéré incapable de représenter la droite souverainiste lors de cette élection, et que les dissidents de l’UMP sur l’Europe (Guaino, Wauquiez et quelques autres) n’ont pas voulu présenter une liste UMP-dissidente. De fait, la seule manière visible dans les grands médias d’exprimer à droite son dégoût de l’Europe actuelle, c’était le vote FN.

8. Le FN est un parti incapable de gérer 

La gauche a beaucoup insisté sur l'échec du FN à gérer les communes qu'il avait conquis en 1995. C'est toutefois oublier qu'un ex-FN, Jacques Bompard, l'actuel leader de la "Ligue du sud", vient d'être réélu en 2014 maire d'Orange au premier tour. Il est donc possible en France d'être d’extrême droite, et de bien gérer une mairie, tout au moins aux yeux d'une nette majorité de ses propres électeurs. Il est probable que la direction du FN ait médité la leçon des années 1990 et cherchera à éviter les erreurs faites alors dans le choix de ses élus. Cependant, il reste que les maires FN, déjà celui d'Hénin-Beaumont en tout premier lieu, vont être confrontés aux limites intrinsèques des lieux mêmes  qu'ils vont avoir à gérer : il y a en effet des villes plus simples à gérer que d'autres, en effet, gérer une ville en proie à la désindustrialisation ne va pas du tout de soi, pour aucun parti d'ailleurs ! Au niveau du Parlement européen, les forces minoritaires ont surtout le droit de voir passer les trains législatifs sans pouvoir rien y faire. Même avec une vingtaine d’élus et peut-être un groupe parlementaire, le FN version 2014 risque d’être dans la même situation. Il pourra juste relayer au niveau national ce qu’il verra passer sous ses yeux au Parlement européen, et s’en servir pour ses mobilisations nationales.

9. Les électeurs UMP et FN n'ont rien en commun

Comme l'ont montré les élections présidentielles de 2007 et de 2012, les électeurs ont au moins en commun de vouloir battre le candidat de la gauche au second tour. Contrairement à ce que prétend parfois Marine Le Pen, le FN se situe à la droite de la droite par son électorat. On n'utilise pas pour rien le terme d'extrême droite, cela correspond bien à ce qu'on observe comme gradation des attitudes dans les sondages entre les électorats FN, UMP, UDI et Modem. La radicalisation d'une partie des militants UMP les rapproche sans doute des thèses du FN, mais notons qu'à ce stade,  il reste toujours des différences majeures entre ces électeurs sur l'Europe, sur la mondialisation et même sur l'immigration.

Pour aller plus loin : notre sondage montre qu'une majorité des sympathisants pensent qu'ils doivent vivre ensemble ; divisés sur l'économie mais pas sur les valeurs et notamment la place du régalien ; Relance de la question des alliances UMP-FN

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