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Les valeurs de Nicolas Sarkozy 
risquent-elles de laisser sur la route 
une partie de la droite ?
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7 familles

Nicolas Sarkozy a dévoilé ce samedi le triptyque de valeurs sur lequel il devrait baser sa future candidature : Travail, Responsabilité et Autorité. Réactions contrastées à droite, si Philippe Douste-Blazy critique la "dérive droitière" du chef de l'Etat, Christine Boutin s'estime satisfaite par les orientations du Président. Quand les valeurs de Nicolas Sarkozy divisent les droites...

Jean Vavasseur-Desperriers

Jean Vavasseur-Desperriers

Jean Vavasseur-Desperriers est professeur d’histoire contemporaine à l’université  de Lille 3.

Ses travaux de recherches ont porté sur les droites parlementaires et républicaines.
Il est l'auteur de La nation, l’Etat, la démocratie en France au XXème siècle (Armand Colin, 2000) et de Les droites en France (Presses universitaires de France, 2007, coll. Que sais-je ?).
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La présentation de diverses mesures sous la rubrique des « valeurs » est un hommage , peut-être involontaire, à l’histoire « culturelle », préoccupée avant tout de détecter sous les propositions et déclarations des acteurs politiques une conception de l’homme (du genre humain) et de la société. Deux questions se posent à ce sujet. La première : les références faites dans la dernière déclaration présidentielle à un certain nombre de valeurs incarnent-elles une vision de droite, ou plutôt d’une des traditions de droite ? La deuxième : une bataille sur les valeurs peut-elle être un efficace instrument de combat électoral ?

Travail, responsabilité, autorité, tel est le triptyque décliné dans le discours présidentiel. Il convient d’écarter une lecture sommaire qui ferait aussitôt référence à une droite dure, voire radicale : « Travail » ramènerait au régime du maréchal Pétain ; « Autorité » se situerait dans le prolongement des dictatures des deux Bonaparte. En réalité, l’éloge du travail fait par le président (« une valeur en soi, nécessaire à l’accomplissement de l’individu comme à la cohésion de la société ») ne diffère en rien de ce que l’on enseignait à l’école républicaine, quand on y donnait un enseignement de morale : « l’oisiveté », disait-on, « est la mère de tous les vices ». La rubrique suivante, liberté et responsabilité, on la retrouve sous cette forme littérale dans les manuels républicains d’instruction morale : « parce qu’il est libre de bien ou mal agir, l’homme se sent responsable de ses actes ». Enfin, l’autorité, dernier point du triptyque, se situe dans le cadre de l’observation de règles applicables par tous, y compris par les détenteurs de l’autorité, donc dans celui d’un régime de droit. Rien donc que de très républicain dans ce discours. Il y a toutefois une silence particulièrement marqué : pas un mot sur la solidarité, une des valeurs maîtresses de la morale républicaine, mise en valeur surtout par la gauche républicaine, celle du parti radical, dont les socialistes sont dans une large mesure les successeurs. Ce discours se situe donc bien dans la tradition d’une droite républicaine et conservatrice, attachée au travail émancipateur, à l’exercice responsable de la liberté, à l’autorité réglée.

Ces « valeurs » reposent, à coup sûr, sur un fonds commun des droites, mais avec des nuances : le Travail, au moins sous cet énoncé théorique, pourrait certes être invoqué par les quatre familles de droite, « populaire », gaulliste - si tant est qu’on puisse en distinguer encore clairement une -, libérale, centriste ; mais les deux premières (gaulliste et « populaire ») seraient plus sensibles à l’Autorité, au contraire des libéraux (encore qu’il y ait une tradition de libéraux conservateurs, de tempérament autoritaire) et des centristes, plus ouverts sur la question des libertés. Ce sont donc bien les familles gaulliste et « populaire » qui devraient normalement être attirées par ce discours, par ailleurs compatible avec les valeurs républicaines.

Mais l’absence de la solidarité, qui constitue à mon sens le point le plus remarquable de cette déclaration, devrait choquer les gaullistes et les centristes, dont les lointains ancêtres ont contribué au compromis social de 1945, au contraire des libéraux partisans de l’individualisme, et pour qui la réussite individuelle, acquise grâce au travail émancipateur, représente la seule solution à la question sociale. Enfin, la droite « populaire », par suite de ses choix nationalistes, penche nécessairement - avec hésitation par tradition antiétatique - vers un modèle solidaire et organique de façon presque naturelle. Il en résulte donc que la famille la plus réceptive à de tels discours reste celle des libéraux conservateurs, dans laquelle il n’est pas abusif de ranger le président. Ces propos l’éloignent des centristes, par suite principalement de l’absence de la solidarité, un des fondements de l’ « humanisme » démocrate chrétien, sans pour autant rallier nécessairement la droite « populaire », à qui s’adresse plus spécifiquement le contrôle renforcé de l’immigration.          

Sur la question de savoir si le problème des « valeurs » peut avoir une forme d’efficacité dans un combat électoral, il faut préalablement avancer un fait général : la motivation du vote est toujours un intime mélange de conviction (valeurs) et d’intérêt (matériel), la proportion de ces deux facteurs variant suivant chaque individu, ce qui rend particulièrement complexe la question du choix des électeurs. Au demeurant, la déclaration présidentielle comporte, à la suite de cette profession de foi, un catalogue de décisions telles que le durcissement de la condition des chômeurs, le contrôle accru de l’immigration (impliquant un renforcement de l’autorité administrative) ou le refus de réformes sociétales comme le mariage homosexuel.

Le premier point crée plutôt un clivage « actifs ayant un emploi »/chômeurs, par un effet de démagogie facile, et serait plutôt bien vu des théoriciens libéraux, mais quel serait son impact sur les électorats « populaire » et centriste, dans la mesure surtout où la menace de la précarité concerne de nombreux milieux, de droite comme de gauche ? Le deuxième séduirait à coup sûr l’électorat de la famille « populaire », qui serait tenté toutefois de comparer ces promesses avec celles de 2007 et d’établir un bilan : il n’est pas abusif de dire que c’est cette droite qui s’est le plus éloignée de Sarkozy, dans la mesure où son électorat reste très composite, comme le montrent les simulations de « reports » en cas d’absence de Marine Le Pen au premier tour ; cette proposition éloignerait au contraire les centristes, choqués par l’exercice abusif de l’autorité administrative, comportant des risques d’arbitraire. Sur le troisième, on sait que les questions sociétales ne sont pas déterminantes, même pas pour les intéressés (il n’y a pas de « vote homosexuel »).     

Il n’est donc guère possible de déterminer la portée de tels propos : les plus séduits seront à coup sûr les libéraux conservateurs, la propre famille du président. Car ce discours vise, en s’éloignant le moins possible des centristes, à rallier les voix de la droite radicale dans une proportion notable, et, au stade actuel  de la campagne, la situation reste très ouverte.    

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