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La naissance de Giuli-AAA
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Triple Ah !

"La vie de famille" relate les savoureuses aventures d'une famille un peu à part. L'auteur et narrateur Jean-François Derec avertit :" Toute ressemblance avec des personnages existants dans le quartier de l’Élysée ne serait que pure coïncidence". Extraits (2/2).

Jean-François  Derec

Jean-François Derec

Jean-François Derec, comédien, humoriste, chroniqueur de radio et de télévision, est l'auteur de plusieurs récits et romans. Son ouvrage Le jour où j'ai appris que j'étais juif (Denoël, 2007) fut également un one-man-show à succès.

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19 h 23. La tête de Giulia apparaît. Celle de Kadhafi aussi, mais en plus mauvais état. À huit cent soixante-dix kilomètres de là, un jeune papa sauve l’Europe cependant que,à quatre cent cinquante millions d’années-lumière de la clinique de la Muette, dans la constellation du Taureau, naît également l’exo planète LkCa 15b.

20 h 30. Nico débarque dans le salon d’honneur de Roissy, attendu par une tripotée de ministres en rang d’oignons : « Félicitations, monsieur le Président…

– Merci, merci, c’est gentil… » Il en profite pour leur sortir sa vanne sur le congé parental, et tous de s’esclaffer bruyamment.

À la main, il tient un nounours. Un vrai asticot, mon Nico, il ne tient plus en place. Je ne vous parle même pas de son autre épaule qui s’y est mise aussi, ni de ses cervicales ni de ses clavicules. Carrément le break dancer ! Valentin le Désossé et Michael Jackson réunis ! M’apercevant en bout de chaîne, il se rue sur moi :

« Je la retiens, la Merkel, elle n’a pas intérêt à me niquer sur l’euro, sinon c’est la guerre ! Et une vraie, pas une guerre de tafioles comme 14-18 ! Allez, on file ! Comment elle est, ma fille ? Sublime, non ? » Sublime, bien sûr. Dans la voiture, il s’affale et défait sa cravate : « On dit qu’on se souviendra toute sa vie de ce qu’on faisait le 11 septembre 2001. Moi, ça sera plutôt le 19 octobre 2011 ! » Puis, me tendant le nounours : « De la part de la grosse ! Elle s’est pas foulée, hein ? Regarde l’étiquette… Made in China ! Même pas aux normes européennes ! Et elle nous donne des leçons de rigueur, on rêve ! »

21 h 05. Arrivée à la clinique, le portable toujours à l’oreille, les négociations se poursuivant en continu : « Jaja... natürlich, Angela… » Il cligne de l’oeil dans ma direction, au beau milieu d’une phrase : « Tu as vu, je parle allemand, maintenant ! Finalement, la crise n’a pas que du mauvais… »

Il déboule dans la chambre de Carla, et fait virer toutle monde sauf la famille.

– Où est ma fille ?

En effet, pas de berceau.

– Dans la chambre d’à côté, murmure Carla, un peu en vapée, mais rayonnante comme il se doit pour une jeune accouchée, ses cheveux formant une auréole solaire parfaitement symétrique sur la taie d’oreiller (Alexandre Zouari, 600 € le lissage brésilien, extensions en sus). Ne t’inquiète pas, la première séance est très courte…

– La première séance de quoi ? Elle n’est pas normale ?

Pourquoi on m’a rien dit ? craque-t-il en fonçant dans la chambre voisine. Je le suis. Dans la pénombre, on distingue un berceau d’où s’échappe le babillage familier, apaisant, d’un nourrisson :

« Bbb… bvvvv… »

« Moui, moui… » Répond une voix.

C’est celle d’un homme assis derrière le berceau, que je n’avais pas remarqué de prime abord. Il écoute distraitement les vagissements, tout en envoyant des textos.« Sapristi, le docteur Miller ! » s’ exclame Nico, paraphrasant Tintin dans Au pays de l’or noir, dès qu’il reconnaît le psy de Carla. Poussant maladroitement le berceau à roulettes devant lui, il retourne aussi sec dans la chambre de Carla :

– C’est quoi, ce cirque ? Tu peux m’expliquer ?

– Calme-toi… J’ai préféré lui faire faire sa première séance très tôt… Tu imagines le traumatisme que représente un accouchement ? Surtout pour un si petit bébé !

– Heu oui… fait Nico, pris de court. D’un autre côté, l’accouchement, tu sais, tous les bébés passent par là. On n’a pas trouvé mieux pour naître… Bon! Tu me vires ce type, je ne veux plus le revoir avant trente ans ! Pas question que ma fille soit une tarée comme…

– Comme sa mère ?

– Pas du tout !

La sonnerie du portable de Nico interrompt à propos cette conversation mal engagée pour lui.

– Allô ? Ach! Jawohl !

Tout en s’éloignant, il me chuchote, visiblement ébranlé :

– Tu lui expliqueras bien que c’est pas ce que je voulais dire… Promis ?

– OK… je soupire.

S’ensuit une conversation animée qui se termine par :« J’arrive ! Ich komme! Ich bin là dans deux heures ! Zwei hours ! » Il raccroche, dernier vanne sur le congé parental (la troisième fois de la journée pour moi, merci), fait guili-guili à sa fille, dit « Elle est belle, ma fille, hein, c’est pas la plus belle de la maternité ? », embrasse Carla et le portable re-sonne.

– Ja ? … Heu oui!…

Bien sûr qu’on va le garder ! Pas question de l’abandonner ! Est-ce que j’ai la tête -de quel- qu’un qui abandonne ? Est-ce que tu m’as vu une seule fois abandonner ? On va tout faire pour le garder ! Carla est blême :

– Qu’est-ce que ça veut dire, « tout faire pour le garder » ? Tu veux abandonner mon bébé ?

Nico part d’un grand rire :

– Bien sûr que non, ma chérie ! Je parle du triple A!

Il dévale l’escalier.

Direction Berlin.

Il est 21 h 22.

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Extraits de La vie de familleEditions du Moment (19 janvier 2012)

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