Napoléon, un empereur hors du commun<!-- --> | Atlantico.fr
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L'un des visiteurs du musée d'histoire de Hong Kong, le 30 mai 2003, regarde la peinture de Jacques-Louis David de 1801 représentant Napoléon Bonaparte.
L'un des visiteurs du musée d'histoire de Hong Kong, le 30 mai 2003, regarde la peinture de Jacques-Louis David de 1801 représentant Napoléon Bonaparte.
©TOMMY CHENG / AFP

Bonnes feuilles

Guillaume Bernard et Corentin Stemler ont publié « L’empereur et les brigands. Le théâtre de l’histoire » aux Nouvelles Editions Latines. Napoléon Ier est confronté à un autre personnage, Le Lecteur, qui peut être interprété aussi bien comme sa conscience que comme le jugement de l’Histoire. Deux cents ans après la mort, survenue en 1821, de l’un des plus grands chefs de l’État que la France ait connu, cette pièce est une manière de panser les blessures du passé pour penser plus sereinement l’avenir. Extrait 1/2.

Guillaume Bernard

Guillaume Bernard

Guillaume Bernard, docteur et habilité à diriger des recherches en histoire des institutions et des idées politiques, est maître de conférences à l'ICES (Institut Catholique d'Études Supérieures).

Il enseigne ou a enseigné dans divers autres établissements comme Sciences-Po Paris. Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d'ouvrages scientifiques parmi lesquels Dictionnaire de la politique et de l'administration (PUF, 2011) et Introduction à l'histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2éd., 2011), ou destinés au grand public, dont L'instruction civique pour les nuls (First, 2e éd., 2015). Il est également l'auteur de La guerre à droite aura bien lieu, (Desclée de Brouwer, 2016).

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Corentin Stemler

Corentin Stemler

Acteur bénévole à la Cinéscénie du Puy du Fou depuis 2008, Corentin Stemler a développé une expérience professionnelle dans le milieu artistique tant pour la mise en scène (Les Potimarrants) que la production (Amaclio). Il est l’auteur de plusieurs pièces et spectacles dont Symphonia, l’épopée musicale (quinze représentations en Vendée et à Paris en 2019). Depuis 2014, il dirige une société de communication digitale.

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Le lecteur

Vous avez franchi le Rubicon. Cette fois, César a renversé la République. Et, il n’y a pas eu de Brutus sur votre route.

Napoléon

Vous vous méprenez. Car les Brutus furent légion. Avant, comme après mon sacre. Mon propre frère, Lucien, a conspiré. Sous couvert de républicanisme.

Le lecteur

Vrais ou faux républicains, ils ne vous pardonnèrent jamais le sacre.

Napoléon

Et pourtant, j’avais bien pris garde de me couronner moi-même !

Le lecteur

C’est bien pour cela que vous n’avez pas, non plus, rallié les royalistes. Ils aspiraient à la royauté divine avec un chef qui ne gouvernerait pas pour lui-même mais comme lieutenant du Christ. Ils prirent donc cette cérémonie, bien qu’elle ait eu lieu à Notre-Dame de Paris et en présence du pape, pour un simulacre. Vous avez voulu plaire à tout le monde et vous n’avez satisfait personne.

Napoléon

Mon Empire était pleinement fondé depuis mai 1804. Le sacre du 2 décembre m’a seulement permis de prêter officiellement serment. Il n’était donc pas une fin en soi mais un moyen symbolique d’asseoir mon autorité pour mener à bien mon projet politique pour la France et l’Europe. Accéder à l’empire n’était, d’ailleurs, que l’aboutissement normal des évolutions antérieures…

Le lecteur

(l’interrompant)

… qui vous avaient fait consul à vie et ayant le pouvoir de présenter votre successeur…

Napoléon

(l’interrompant à son tour, exalté)

J’étais en train de fonder une ère nouvelle. Je devais l’éterniser. L’éclat n’est rien sans la durée. J’étais appelé à changer la face de la France et même du monde.

Le lecteur

Bigre. Quelle ambition. Quelle démesure !

Napoléon

Je devais donc commencer par instaurer une nouvelle dynastie.

Le lecteur

Vous avez plus singé la monarchie que vous n’avez renoué avec elle.

Napoléon

(vexé)

Et pourquoi donc ?

Le lecteur

Parce que, traditionnellement, la transmission héréditaire du pouvoir n’était là que pour garantir au corps social qu’il y aurait toujours un homme pour tenir le gouvernail malgré les vicissitudes et contre les divisions. Elle était au service du peuple. Vous, vous n’avez voulu instaurer une dynastie qu’au service de l’État, pour en imposer, pour briser légalement la contestation.

Napoléon

Je n’ai pas seulement pris la place des Mérovingiens, des Carolingiens et des Capétiens ; j’incarnais aussi et surtout la nation souveraine.

Le lecteur

Vous me faites penser à tous ces hommes politiques qui s’imaginent mieux exprimer la volonté du peuple que le peuple lui-même et considèrent dès lors qu’il vaut mieux parler à sa place. Il est vrai que Sieyès fut votre complice…

Napoléon

(quelque peu exalté, n’écoutant pas son interlocuteur)

Ma tradition à moi, c’est celle de l’Europe. J’ai réincarné l’Europe dans la France. C’est moi qui ait restauré la romanité.

Le lecteur

(ironique)

En faisant disparaître le Saint-Empire ? (Prenant un ton plus grave) Vous n’avez pas compris la romanité que vous avez cherché à instrumentaliser et non à servir. La romanité de votre consulat n’était qu’un prétexte pour sauvegarder les apparences de la République. Et votre Empire ne fut qu’une construction artificielle pour justifier des conquêtes. Non l’aboutissement institutionnel, comme les empires romain et carolingien, d’une entité géographique et sociale réelle. Bien réelles, elles.

Napoléon

(quelque peu vexé et acerbe)

Vous ne pouvez pas nier que j’ai rajeuni le visage de l’Europe.

Le lecteur

(entonne le chant Veillons au salut de l’Empire. Tout en ne la déformant pas complètement, Le Lecteur ne fait visiblement aucun effort pour respecter la partition)

«Veillons au salut de l’Empire

Veillons au maintien de nos lois

Si le despotisme conspire

Conspirons la perte des rois.

[Refrain :]

Liberté, que tout mortel te rende hommage

Tyrans, tremblez, vous allez expier vos forfaits !

Plutôt la mort que l’esclavage :

C’est la devise des Français.

Du salut de notre patrie

Dépend celui de l’univers.

Si jamais elle est asservie

Tous les peuples sont dans les fers.

Jurons union éternelle

Avec tous les peuples divers

Jurons une guerre mortelle

A tous les rois de l’univers.

Liberté, que ce nom sacré nous rallie,

Poursuivons les tyrans, punissons leurs forfaits !

On ne voit plus qu’une patrie

Quand on a l’âme d’un Français. »

Napoléon

(jouant l’homme outré)

Quelle irrespectueuse cacophonie ! (Le Lecteur sourit bêtement, satisfait) Et quelle malhonnêteté intellectuelle  !  Ce chant était populaire dans le cadre de l’armée du Rhin dès 1792 ! L’empire, ici, c’est la nation révolutionnaire et ses républiques-sœurs.

Le lecteur

(d’abord hésitant puis ferme)

Vous avez parfaitement raison. Mais, ce chant n’en devint pas moins un hymne officieux de votre régime. Car, comme les révolutionnaires, vous avez prétendu exporter la « liberté» par la guerre et l’imposer par la force. Or, cela n’a jamais réussi. Ni de votre temps, ni du mien.

Napoléon

J’ai toujours défendu l’idée d’une Europe confédérale.

Le lecteur

Ah oui  ? Vous aussi. Décidément. L’Europe a toujours bon dos. Elle sert de prétexte à qui ose usurper son nom. Tout empire prétend, comme inéluctablement, à la domination du monde. Vous n’avez pas fait exception. Et pour preuve, vous avez voulu épouser Vienne, rabaisser Rome au rang de royaume et prendre Moscou.

Napoléon

(pensif)

Ce furent les Russes, eux-mêmes, qui délibérément détruisirent Moscou, leur prétendue troisième Rome…

Extrait du livre de Guillaume Bernard et Corentin Stemler, « L’empereur et les brigands. Le théâtre de l’histoire », publié aux Nouvelles Editions Latines.

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