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Multiplication des actes de violences politiques :  faut-il vraiment se résigner à vivre sous la pression de l'extrême-gauche ?
©Capture d'écran

Y-a-t-il un pilote dans l'avion?

Entre l'attaque de plusieurs permanences du PS, mais également de la CFDT, depuis un mois par des groupes d'extrême-gauche, et maintenant les menaces qui pèsent sur la tenue de l'université d'été du PS, la question de la sécurité des partis et des syndicats mérite d'être posée. Avant que la situation ne dégénère davantage...

Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico : Le Premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, a annoncé ce dimanche, souhaiter l'annulation de l'université d'été du PS à cause des risques de violence auxquels elle s'expose. Face à la menace terroriste, en revanche, le gouvernement a malgré tout maintenu la mise en place des Fan Zones pour l'Euro 2016. Le gouvernement considérerait-il la menace terroriste moins importante que la menace des groupuscules d'extrême-gauche ? En quoi les réponses à apporter à l'une et l'autre diffèrent-elles ?

Guillaume JeansonCe rassemblement qui, depuis 1993, se tenait annuellement à La Rochelle, devait se dérouler, cette année, à Nantes du 26 au 28 août. Cette décision de "reporter" ou de "suspendre" l'université d'été de "la Belle Alliance populaire", composée du PS et de ses alliés, marque donc un double changement significatif. Quelles en sont ses réelles motivations ? Le Premier secrétaire du Parti socialiste ne rechigne pas à draper, ce qui relève très probablement d’un fin calcul des stratèges de Solférino, d’une touchante posture victimaire : "On nous menaçait de violences sur nos militants, on nous menaçait de saccager l'ensemble de la ville (...) Il s'est constitué dans ce mouvement (anti-loi travail) une ultra gauche anti-démocratique qui s'est fixée comme objectif de mettre à terre le PS".

Il n’est ainsi guère étonnant qu’une telle annonce ait pu, en certains lieux, être accueillie avec sarcasmes. A droite, le député Les Républicains Eric Ciotti s’est délecté de quelques formules assassines : "il craint surtout les violences internes", "plus les frondeurs que les casseurs", "un parti qui ne réunit plus n'est plus un parti". A gauche, le député PS Yann Galut a souligné sur Twitter ô combien ce report "montre l'état de rupture du gouvernement avec les Français".

S’il est une évidence, c’est que, comme vous le suggérez, la menace planant sur cette université d’été n’est pas de même nature que celle qui pèse sur les fan-zones. Les quelques groupuscules d’extrême-gauche qui ont étalé leur indécence en scandant des slogans déshonorants devant un hôpital Necker assiégé de casseurs qui recueillait le jeune orphelin du couple de policiers sauvagement assassiné à Magnanville, ne sont évidemment pas ceux qui enfilent des ceintures d’explosifs au nom d’un étrange idéal religieux. Si, parmi eux, certains s’essaient, malgré tout, à brûler vifs des policiers dans leurs véhicules de fonction ou à lancer des boules de pétanques flanquées de lames de rasoirs, sur les vestiges d’une autorité - bien timide pour un état d’urgence - force est néanmoins de constater, qu’on ne saurait parler à leur sujet d’ "attentat suicide" ou de "tuerie de masse". Alors que se passe-t-il ? L’intersyndicale de salariés et de lycéens de Loire-Atlantique et le petit club des zadistes en manque d’émotions fortes seraient-ils soudainement devenus plus menaçants que Daech ? Difficile à croire si l’on fait l’effort de se remémorer les propos tenus le 22 juin dernier par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve devant la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat. Pour justifier l’élaboration et la mise en œuvre d’une nouvelle doctrine d’intervention, reposant sur un nouveau schéma national de mobilisation des forces en cas de tuerie de masse ou de tuerie planifiée, les mots du ministre étaient sans appel : "Jamais la menace terroriste n’a été aussi élevée qu’aujourd’hui".

Entre les groupuscules violents d’extrême-gauche et les djihadistes de Daech, le risque pour la sécurité intérieure n’est donc évidemment pas le même. Mais… le risque politique ne l’est probablement pas non plus. Face à ces deux phénomènes distincts, les réponses ne sauraient, bien sûr, être les mêmes. Face aux casseurs, des policiers ont déjà eu l’occasion de dénoncer les consignes tardives données par le gouvernement. Il faut cesser de tergiverser et gagner en efficacité, dans le strict respect de la légalité. Les faits de dégradations doivent faire l’objet de procédures rapides et certaines, favorisant une juste réparation dans un souci évident d’équité pour les victimes, et de responsabilisation des individus. Face aux djihadistes, le renseignement et la neutralisation doivent être privilégiés, sans oublier bien sûr la question épineuse de la dé-radicalisation.

Depuis plus d'un mois, plusieurs permanences du PS ont fait l'objet d'attaques sur le territoire national, de même que des permanences de la CFDT peu de temps après. Comment la sécurité des partis et des syndicats est ordinairement assurée ? Le gouvernement ne serait-il plus en mesure d'assurer cette sécurité au regard des événements ? 

Vous avez raison, de nombreuses dégradations ont été commises ces derniers mois. Elles en disent long sur la conception que peuvent se faire leurs auteurs de ce qu’est une démocratie. Les 23 et 30 juin dernier, les sièges parisiens et bordelais de la CFDT, une des centrales syndicales favorables à la loi Travail, ont été attaqués avec un bilan salé : vitres brisées, bureau incendié, tags à la peinture rouge : "c’est fini de trahir". De son côté, le PS estime que ce sont près de 120 permanences de députés ou sièges de fédérations qui ont été vandalisés par des opposants à la loi Travail. Lundi 23 mai au matin, les permanents du siège de la fédération de l’Isère ont, par exemple, eu le désagréable "privilège" de découvrir douze impacts de calibre 9 mm sur leur rideau de fer. A ce sujet, l’un d’eux déclarait dans la presse : "On n’est pas près de rouvrir le local. Là, c’est notre frigo qui a pris les balles, mais ça aurait pu être n’importe lequel d’entre nous en train de s’y servir (…)". De nombreuses photos de dégradations de locaux ont, dans le même temps, été publiées sur des blogs anonymes à l’instar de celui baptisé, non sans un certain humour potache de collégien, "PS Déco".

Des partis politiques et des syndicats qui portent des visions différentes de certains groupuscules fanatisés doivent donc, désormais dans notre pays, être protégés. Triste constat pour un pays qui n’est jamais le dernier à professer des leçons de droits de l’homme et de démocratie. Le problème est que tout le monde aujourd’hui court après une protection. Le directeur général de la police nationale a indiqué, le 15 juin dernier, dans une instruction relative à la protection rapprochée et à l’accompagnement de sécurité des personnes par la police nationale, publiée au Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur, que "l’accroissement significatif du nombre de protections sollicitées et la densification de certains dispositifs conduisent à envisager des solutions alternatives ou complémentaires en matière de protection". Mon confrère Thibault de Montbrial, président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure et expert associé auprès de l’Institut pour la Justice, déclarait récemment qu’ "il y a aujourd’hui une unanimité à considérer que les services régaliens ne sont pas en mesure d’assurer de façon satisfaisante, au regard des problèmes d’effectifs ou d’entraînement, une sécurité optimale sur tous les endroits sensibles sur le territoire." Oui, c’est un fait, l’Etat est dépassé.

A l’occasion d’un colloque de la CFDT sur les questions de sécurité qui se tenait le 28 juin dernier, Bernard Cazeneuve devait d’ailleurs l’admettre avec une embarrassante lucidité : "Je ne suis pas favorable à la privatisation de la sécurité dans les compétences régaliennes de l’État, mais je suis trop lucide pour considérer que nous pourrons assurer un niveau de sécurité maximal avec les seuls policiers et les gendarmes. (…) Si les entreprises ne forment pas les agents de sécurité, en lien avec nos services de manière à garantir une intervention extrêmement rapide, nous n’y arriverons pas". Thibault de Montbrial dressait récemment un constat assez proche en ces termes : "la durée de la menace (terroriste), que chacun s’accorde à évaluer en années, impose de repenser notre sécurité et intégrer dans notre réflexion un rôle accru de la sécurité privée, notamment une sécurité privée armée." A en croire certains, ce recours à la sécurité privée ne présenterait cependant pas que des avantages. Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, ne s’est pas privé de le préciser en brocardant la «"ogique low cost" qui serait selon lui "en train de grandir chez un certain nombre d’opérateurs de sécurité privée". "L’auto-entrepreneuriat" qui serait ainsi « en train de se développer » poserait en effet « un certain nombre de problèmes, notamment en termes de formation, d’équipement, et pour la sécurité du collectif ».

Les solutions ne sont toutefois pas non plus infinies. Du côté de l’armée, certains ont fait valoir qu’un militaire coûte moins cher qu’un policier lorsqu’il monte la garde devant un lieu à protéger. Les députés Olivier Audibert-Troin et Christophe Léonard -  chargés d’une mission d’information parlementaire sur l’opération Sentinelle - ont cependant eu l’occasion de rappeler dans leur rapport que "les militaires n’ont pas à servir de supplétifs aux policiers ou aux gendarmes : leur plus-value professionnelle est ailleurs, ils ont d’autres savoir-faire à apporter à la protection du territoire national." Du côté, cette fois, des "services d’ordre" des syndicats, c’est encore un autre sujet. Lorsque l’on songe à ceux d’entre eux qui, officiant dans les cortèges de manifestants CGT et FO, se sont fait photographier ces dernières semaines, casqués et armés de battes de baseball, il est loisible, là aussi, et sans pour autant remettre en cause l’étendue de leur dévouement, de raisonnablement s’interroger.

Peut-on envisager une évolution de la situation sécuritaire sur le territoire après l'Euro 2016 afin d'endiguer cette violence politique que la France connait à nouveau depuis plusieurs semaines (redéploiement des forces notamment aux abords des permanences, des universités d'été, etc.) ? Jusqu'à quel point l'absence de réponse du gouvernement à cette violence peut-elle être dangereuse ?

Ne pas traiter efficacement un problème conduit bien souvent à l’aggraver. Les nombreuses tergiversations du pouvoir présentent donc évidemment un caractère dangereux. Evoquer l’évolution prochaine de la situation sécuritaire dans notre pays doit toutefois nous amener à distinguer logiquement la menace émanant des groupuscules d’extrême-gauche, de celle émanant des terroristes de Daech. En effet, après le 10 juillet et la clôture de l’Euro, il est à craindre que la menace terroriste se poursuive en se concentrant cette fois-ci sur le tour de France, et ce, jusqu’au 24 juillet. Ensuite, resteront toujours les plages et autres lieux de villégiatures, sans oublier bien sûr tous les autres sites qui continuent de préoccuper beaucoup les autorités, tels que ceux qui sont classés Seveso. La violence politique et la mobilisation des groupuscules d’extrême-gauche pourrait, en revanche, connaître quant à elle, au cours de cette même période, une légère accalmie, en raison des vacances parlementaires et de l’allégement des agendas ministériels.

Mais, le risque qui pèse sur la France ne se cantonne pas, hélas, à ces deux seules menaces, loin s’en faut. Dans un rapport sur la protection des magistrats remis le 28 juin dernier au ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, les directions des affaires criminelles et des grâces, des services judiciaires et des affaires civiles et du sceau du ministère de la Justice, ont par exemple pointé la "multiplication des menaces physiques pesant notamment sur les magistrats spécialisés". A été relevé, à cet égard, l’accroissement des procédures judiciaires ouvertes des chefs d’association de malfaiteurs en vue de commettre un assassinat sur un magistrat exerçant au sein d’une Jirs (juridictions interrégionales spécialisées) ou du pôle antiterroriste de la Cour d’appel de Paris. Face à cet autre phénomène inquiétant, ce rapport a donc recommandé de "renforcer, à l’instruction, la collégialité et au parquet un travail en équipe fondé sur une connaissance réellement partagée des dossiers et une représentation plurielle du ministère public lors des audiences les plus sensibles". En somme, exactement l’inverse de ce que promeut, pour des questions très certainement budgétaires, l’actuel projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle en cours d’examen, puisque ce dernier prévoit, notamment, la suppression de la collégialité de l’instruction.

Autre phénomène extrêmement préoccupant, si l’on en croit les révélations récentes de la directrice de Fleury-Mérogis : l’accélération de la dégradation de la situation carcérale qui, faute de places suffisantes, menace directement la sécurité du personnel pénitentiaire et des détenus. On le voit, les défis sont multiples et les risques protéiformes. La rentrée promet donc d’être compliquée.

D’ici là, plus qu’un redéploiement des forces de l’ordre, on assiste à certaines initiatives nationales et locales, toutes destinées, à leur manière, à renforcer la sécurité des citoyens. Les syndicats de police doivent par exemple examiner le 5 juillet prochain, à l’occasion d’un comité technique, le projet d’arrêté (annoncé par le ministre de l’Intérieur à la suite du drame de Magnanville) qui devrait permettre aux policiers de conserver leur arme de service en dehors de leurs heures de travail - cette possibilité étant limitée actuellement à l’état d’urgence. A l’échelon local, il est intéressant de noter cette délibération, mise au vote le 24 juin dernier par le conseil régional de Provence-Alpes-Côte-d’Azur, accordant "la gratuité dans les transports régionaux pour les agents de la police nationale, les douaniers, les pompiers, les militaires, notamment ceux de la gendarmerie nationale et les marins-pompiers de Marseille". L’objectif affiché par Christian Estrosi, le président LR du conseil régional, étant d’ "Inciter les agents des forces de l’ordre à utiliser (les) transports en commun" pour "renforcer la sécurité des personnes qui les utilisent chaque jour", en référence à un drame évité de justesse dans un certain Thalys, comme le précisait justement l’exposé des motifs de ce texte. 

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