Mukhtar Ablyazov, l'oligarque kazakh que le gouvernement ne voulait pas extrader malgré le feu vert de la Cour de cassation<!-- --> | Atlantico.fr
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Mukhtar Ablyazov, l'oligarque kazakh.
Mukhtar Ablyazov, l'oligarque kazakh.
©Reuters

Règlement de comptes

La Cour de cassation a donné son feu vert le 4 mars à l’extradition de l’oligarque kazakh Mukhtar Ablyazov, soupçonné d’avoir détourné 5 milliards de dollars. Huit mois ont passé. C’est au Premier ministre Manuel Valls de dire si, oui ou non, il souhaite l’extradition vers la Russie. Or, bizarrement, aucune décision n’a été prise. Pour quelles raisons ? Souhaite-on laisser pourrir la situation en haut lieu, pour éviter d’agacer Poutine en cas de refus de ladite extradition ou au contraire se voire taxer de trop grande mansuétude à l’égard du maître du Kremlin en cas d’acceptation ? Etat du dossier.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • La Cour de cassation a donné son feu vert le 4 mars dernier  à l’extradition de l’oligarque Mukhtar Ablyazov soit vers la Russie, soit vers l’Ukraine
  • Il est soupçonné par la justice de ces deux pays d’avoir détourné entre 5 et 6 milliards de dollars de la BTA-Bank, via ses filiales de Moscou et de Kiev
  • Le gouvernement français semble se hâter lentement pour engager le processus d’extradition d’Ablyazov qui ne veut en aucun cas qu’il soit mis en œuvre. Il craint d’être ré-extradé au Kazakhstan où il serait, affirme-t-il, en danger de mort
  • En arrière- plan de cette affaire,  une déstabilisation tous azimuts conduite par Ablyazov et son entourage contre deux hauts magistrats d’Aix-en-Provence et un avocat parisien. Tous trois ont porté plainte pour piratage de leurs mails et SMS… L’instruction à Paris semble au point mort…
  • … Alors que les plaintes déposées à Lyon par Ablyazov contre les deux hauts magistrats soupçonnés de partialité dans cette histoire – bien que la procédure a été validée- font l’objet de nombreuses investigations.

C’est une question à 100 000 dollars : pourquoi le Ministère de la justice tarde-t-il à préparer le dossier d’extradition de l’oligarque kazakh Mukhtar Ablyazov, soupçonné d’avoir détourné 5 milliards de dollars, alors que la Cour de cassation a validé la décision en ce sens il y a déjà huit mois ? Le gouvernement aurait-il décidé de ne pas l’extrader ? Pour quelle raison ? Une certitude : ce dossier, qui en droit est relativement banal, a pris depuis plusieurs mois un tour totalement inhabituel débouchant sur une bataille féroce. D’un côté,  deux hauts magistrats de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence qui ont  participé à  la décision d’émettre un avis favorable à l’extradition de l’oligarque. Une décision qui a été confirmée par la Cour d’appel de Lyon, puis par la Cour de cassation. De l’autre, Ablyazov qui ne manque jamais l’occasion de médiatiser sa situation tout en faisant mine de soupçonner les deux hauts magistrats d’avoir employé des méthodes déloyales pour obtenir cette extradition. Sacrément pugnace l’oligarque puisqu’il est parvenu, via une plainte avec constitution de partie civile, que les deux magistrats d’Aix-en-Provence, Nicole Besset, présidente de la chambre de l’instruction et  Solange Legras avocate générale, soient placées sous le statut de témoin assisté par un juge d’instruction de Lyon. Elles ont même été entendues pendant plusieurs heures en avril dernier, comme de vulgaires  délinquantes de droit commun ! Le juge a d’ailleurs ordonné de nombreuses investigations. Ce n’est pas tout : dans une autre procédure- celle-là pour violation du secret du délibéré- un autre  juge a entendu pendant trois heures, en qualité de témoin, la greffière de la chambre de l’instruction de la Cour d’Aix-en-Provence. Voilà une enquête conduite au pas de charge. A l’inverse, bizarrement, la plainte déposée à Paris par Solange Legras, Nicole Besset et Me Guillaume-Denis Faure, conseil de l’ Ukraine- qui réclamait l’extradition d’Ablyazov- pour piratage de leurs mails et leurs sms semble aller de son train de son sénateur… en raison, dit-on, d’un manque d’enquêteurs. On souhaite que ce soit une excuse réelle et non une volonté délibérée de bloquer les investigations.  Alors, comment un dossier d’extradition classique est-il devenu quasiment une affaire d’Etat ? Comment a –t-il pu mettre en cause judiciairement  deux magistrats, dont l’une,  Nicole Besset, qui, écœurée par sa mise en cause injustifiée, et le manque de soutien qu’elle était en droit d’attendre, a préféré prendre une retraite anticipée ?

Nous sommes dans les années 2010-2011.  A cette époque, deux juges d’instruction, un russe et un ukrainien s’intéressent aux agissements d’un banquier kazakh, ancien président de la BTA-Bank, jadis proche du président du Kazakhstan  mais en disgrâce totale depuis plusieurs mois. Il s’appelle Mukhtar Ablyazov.  Si la justice russe et ukrainienne  sont à la recherche du banquier, c’est parce que ce dernier est soupçonné d’avoir « siphonné »  les filiales de BTA-Bank à Moscou et à Kiev  entre 2005 et 2009, à hauteur de 5 milliards de dollars. ( voir Atlantico du 10 juin 2014.) C’est ainsi qu’en Russie, Ablyazov aurait vendu des terres agricoles, sept fois le prix de leur valeur réelle, à des sociétés étrangères grâce à des complicités locales, ce qui lui aurait permis d’empocher 750 millions de dollars. C’est ainsi encore qu’il a acquis un terrain à Podolsk, non loin de Moscou, pour affirmait-il, y implanter un centre commercial… Or ce projet n’était que pure invention, mais lui aurait permis  de planquer 504 millions de dollars aux Seychelles. En Ukraine, l’oligarque aurait transféré illégalement 150 millions de dollars à une mystérieuse société Dreyassociates Ltd. Non loin d’Odessa, il aura l’idée de construire un complexe logistique. Bidon encore. Le projet ne verra jamais le jour, Ablyazov n’avait pas le moindre kopek !
Inquiet des poursuites diligentées contre lui, le banquier se réfugie en Grande-Bretagne où il parvient à obtenir le statut de réfugié politique. Il pense alors être à l’abri de toute poursuite. Erreur. En effet, après avoir été condamné par la Haute Cour de Londres à rembourser 4 milliards de dollars à la BTA-Bank, le voici à nouveau poursuivi en 2012. Cette fois pour parjure et outrage à la Couronne. Il écope de deux ans de prison.  Ablyazov, décide alors de quitter la Grande-Bretagne grâce à un passeport de la République centrafricaine à la véracité très incertaine. Direction : la Suisse. La justice russe et ukrainienne ne l’oublie pas. Elle souhaite vraiment que l’oligarque s’explique sur les gymnastiques financières qui lui sont reprochées. Pendant de longs mois, aucune trace de lui. Il est introuvable, jusqu’à ce que le 31 juillet 2013, il se fasse cueillir dans une villa à Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes) par la PJ niçoise à la demande de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, via l’avocate générale qui suit les dossiers de coopération internationale. Ablyazov est incarcéré à la prison de Luynes (Bouches-du-Rhône) en attendant une décision éventuelle d’extradition conformément aux demandes de l’Ukraine et de la Russie. De l’extradition, l’ancien banquier n’en veut pas. Il craint de retourner au Kazakhstan chez celui qui est devenu son ennemi numéro 1, le président Noursoultan Nazarbaeïv. Il y va, affirme-t-il, de son intégrité physique.
Le 12 décembre 2013, la chambre de l’instruction de la Cour d’Aix-en-Provence examine les demandes d’extradition. Les avocats d’Ablyazov font valoir une nouvelle fois qu’une décision signifierait un arrêt de mort pour leur client dès l’instant où il foulerait son pays natal. Le 9 janvier 2014, la chambre de l’Instruction rend son avis – et non un arrêt- sur la demande d’extradition : c’est oui.  En aucun cas, aux termes de la convention de Genève de 1951,  l’Ukraine et la Russie ne pourront ré-extrader vers le Kazakhstan l’ex-patron de la BTA. «  Il s’agit là d’une interdiction légale absolue » nous avait indiqué en juin 2014, l’avocat de la BTA-Bank, Me Antonin Lévy. C’est un autre son de cloche que l’on entend du côté des conseils d’Ablyazov. C’est ainsi que l’un d’entre eux, Bruno  Rebstock déclarera à propos de  cette extradition: « La justice française ne s’honore pas avec cette décision. Soit elle fait preuve d’une grande naïveté à l’égard d’Etats considérés comme corrompus, soit c’est le signe d’une forte dépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir politique. » Comme on devait s’y attendre,  les conseils d’Ablyazov forment un pourvoi en cassation contre l’avis de la cour d’Aix-en-Provence. Gagné. Le 9 avril 2014, la chambre criminelle de la Cour de cassation casse la décision de la cour d’Aix-en-Provence…Mais uniquement pour de simples détails de procédure. C’est désormais la Cour d’appel de Lyon qui est chargée de se prononcer une nouvelle fois sur l’extradition d’Ablyazov. Le 24 octobre, les trois conseillers de la Cour composant la chambre de l’instruction confirment la décision de leurs collègues d’Aix-en-Provence.  Suivant en cela les réquisitions de l’avocat général Christian Ponsard… identiques donc à celles de Solange Legras. Les conseils d’Ablyazov ne désarment pas, et forment un second pourvoi devant la Cour de cassation. Lequel est examiné début 2015. La Haute juridiction rend son arrêt le 4  mars, et dit que l’oligarque kazakh peut être extradé, conformément aux avis de Lyon et d’Aix-en-Provence. Elle précise même qu’il doit être prioritairement extradé en Russie d’abord et Ukraine ensuite. Voilà 8 mois que l’arrêt a été rendu. Ablyazov n’a pas été extradé. Il est toujours détenu à la prison Fleury-Merogis. Visiblement, le gouvernement français ne semble guère pressé de prendre sa décision. Peut-être ne souhaite—il- pas faire ce cadeau à Vladimir Poutine dont les relations avec François Hollande sont pour le moins très fraiches, à cause évidemment du conflit syrien.
Mais surtout ce dossier se trouve pollué depuis plusieurs mois par les plaintes des avocats d’Ablyazov contre les deux hauts magistrats qui ont eu à s’occuper en premier lieu de cette histoire d’extradition, Nicole Besset, la présidente de la chambre de l’instruction d’Aix-en-Provence et Solange Legras, l’avocate générale. Il est reproché entre autre autres, à Solange Legras d’avoir procédé à l’arrestation d’Ablyazov le 31 juillet 2013 dans des conditions déloyales. En oubliant de dire à ses conseils qu’elle avait eu lieu grâce à l’avocat de la BTA-Bank, Antonin Lévy. Il n’y a là aucune faute. La Cour de cassation a en effet toujours jugé que les conditions d’interpellation  ne sauraient en aucun cas constituer des pièces de procédure soumises au contradictoire. Témoin, les deux arrêts rendus en ce sens par la chambre criminelle de la Cour de cassation, le premier le 17 décembre 2004, le second, le 26 avril 2006. Bref, pour Nicole Besset et Solange Legras, - pour laquelle le Conseil supérieur de la Magistrature(CSM) a estimé qu’elle n’avait commis aucune faute dans cette procédure d’extradition-, c’est l’instruction TGV qui est conduite. Mais quand elles déposent plainte à Paris avec l’avocat de l’Ukraine, Me Guillaume-Denis Faure, l’instruction va à la vitesse d’un train de banlieue. Alors qu’elles ont vu leurs mails et SMS pillés et piratés, précisément lorsqu’elles avaient en charge l’affaire d’extradition de Mukhtar Ablyazov. 

Or, depuis huit mois cette affaire est terminée. Dans sa phase judiciaire tout du moins. Les services de la garde des Sceaux, Christiane Taubira auraient dû faire un compte-rendu de ce dossier au premier ministre Manuel Valls. Il a toute latitude pour signer ou pas le décret d’extradition. Rien n’est réglé à ce jour. Sans doute Ablyazov, qui est détenu depuis plus deux ans, pourrait-il déposer une demande de liberté.  C’est ce à quoi réfléchissent ses avocats nous a déclaré son porte-parole Boris Durande. Qui précise : «  27 mois de détention, c’est long. Nous sommes au-delà du délai raisonnable  de deux ans auquel la Cour européenne des droits de l’homme attache un grand prix. » Et Boris Durande de certifier que les avocats tenteront tout pour éviter à leur client l’extradition : recours devant le Conseil d’Etat si le premier ministre Manuel Valls signait le décret, et bien sûr, saisine de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg lorsque tous les moyens de droit auront été épuisés.

Reste que si le gouvernement français reculait, disait non à l’extradition de l’ancien président de la BTA-Bank, il pourrait se trouver en difficulté  face à la Russie et à l’Ukraine qui comprendraient mal ces coups de canif portés à l’entraide judiciaire entre la France et ses deux pays. Il risquerait de se mettre à dos le Kazakhstan, dont le président Nazarbaïev s’est déclaré prêt,  dans une interview au Figaro du 9 octobre, à jouer les médiateurs dans les conflits du continent euro-asiatique. Un rôle dans lequel la France devrait être présente.

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