Montreuil, Issy les Moulineaux, Saint-Denis : ce que 50 ans de politiques municipales différentes ont fait de 3 villes qui avaient les mêmes cartes en main à l’origine<!-- --> | Atlantico.fr
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Logements, emplois, fiscalité... Ces trois villes de la banlieue parisienne abordent les municipales dans des conditions économiques très variées. Une évolution qui s'explique notamment par leur histoire politique.

Atlantico : Dans quelles conditions socio-économiques les villes de Montreuil, Issy-les-Moulineaux et Saint-Denis abordent-elles les élections municipales ?

Élisabeth Dupoirier :Montreuil est à l'évidence une ville de classe moyenne de l'Île-de-France, c'est-à-dire plutôt jeune, parmi les plus diplômées, qui a donc des besoins très précis en équipements collectifs. Aujourd'hui, c'est l'une des communes bobo de l'est parisien. Issy-les-Moulineaux est sans doute plus équilibrée entre les catégories supérieures et les couches moyennes. Un peu comme Boulogne, c'est une population qui ne recherche la proximité avec Paris. C'est une commune dont la rénovation a commencé bien avant les deux autres d'ailleurs, notamment grâce à l'action de son maire André Santini, visionnaire sur les transformations que l'on pouvait apporter au tissu économique local et qui a su prendre le virage du high-tech tertiaire.

Quant à Saint-Denis, elle est représentative du reste du communisme municipal. L'État a beaucoup aidé cette municipalité à reconstruire une attractivité. Elle se compose de classes moyennes basses. C'est d'ailleurs là-dessus que mise l'équipe du maire sortant Didier Paillard avec toujours ce danger que la ville lui échappe et tombe dans le giron socialiste.

Franck Sottou : Indépendamment des politiques locales qui ont été menées, il existe des données objectives et objectivement, les trois communes ne partent pas avec les mêmes chances. Il n'y a pas de miracle. Un facteur très important est l'intercommunalité. Que ce soit pour Montreuil, pour Issy-les-Moulineaux ou pour Saint-Denis, l'intercommunalité monte en puissance. Le défi de politique fiscale dépend donc de la relation entre la commune et l'intercommunalité. C'est vraiment ça qui va changer la donne.

Au niveau des impôt locaux, on se retrouve avec des taux de 7 ou 8% qui sont égaux dans les trois communes. Ça veut dire que l'on a trois communes avec trois intercommunalités qui sont en train de monter en puissance.

A la base cependant, on a des situations très différentes et trois potentiels financiers. Issy-les-Moulineaux a 2.000 euros par habitant, Saint-Denis 1.400 et Montreuil 1.000. Cela se retrouve sur le différentiel de taux : Issy est à 8%, Saint-Denis à 11%, Montreuil à 17%. Finalement, Saint-Denis et Montreuil ne s'en tirent pas trop mal dans la mesure où leur capacité de financement est au-dessus de la moyenne de leur strate. L'argent ne s'est donc pas complétement perdu dans les sables  et les deux villes ont réussi à mettre de l'argent de côté. Pour quoi faire ? Est-ce que les services sont à la hauteur des attentes ? Est-ce que les investissements sont à la hauteur des attentes ? Dans une certaine mesure, oui. Mais Issy-les-Moulineaux a une capacité d'investissement supérieure aux deux autres.

Comment expliquer que les destins de ces trois villes aient tant divergé ? Quels facteurs permettent de l'expliquer ?

Élisabeth Dupoirier : Ces trois villes ont eu trois personnalités à leur tête. La longévité des maires en terme de temps politique a permis de créer vraiment des changements. Ce sont des maires qui ont été très volontaristes. Montreuil a longtemps été une ville communiste mais son maire Jean-Pierre Brard, un peu à l'image d'André Santini à Issy-les-Moulineaux, a une politique extraordinairement volontariste. Il s'est donné les moyens en termes de ressource locale pour attirer des entreprises par des remises d'impôts locaux notamment.

Ce qui explique les différences tient notamment à l'environnement. C'était déjà, au départ, une ville moins sinistrée, moins mélangée que Saint-Denis. Saint-Denis, comme Montreuil, appartient à un département considérablement sinistré, de longue date. C'est l'un des premiers d'Île-de-France où la désindustrialisation a fait des ravages. La Seine-saint-Denis est un peu devenu au fil des années la vitrines du gouvernement en termes de transformation socio-économiques. Issy-les-Moulineaux n'a jamais eu besoin de cela. La ville a notamment bénéficié des réseaux de son maire, qui a été secrétaire d'État. Il a su attirer les médias, créer un univers accueillant pour les entreprises du high-tech tertiaire.

Et puis il y a la problématique de l'emploi : le taux de chômage en Seine-Saint-Denis n'a rien à voir avec celui des Hauts-de-Seine. Cela a une évidente influence sur le développement des villes.

Franck Sottou : Il y a des facteurs de choix politiques et de choix d'investissements. Est-ce que ceux-ci ont été plutôt porté sur l'économie ou le logement ? Il y a aussi un contexte départemental. La politique et les moyens du conseil général des Hauts-de-Seine ne sont pas les mêmes que ceux du conseil général de Seine-Saint-Denis. D'où encore une fois, l'importance de l'intercommunalité. C'est l'exemple de Saint-Denis où, finalement, quelque soit la politique menée par le conseil général, on arrive à avoir une politique dynamique. Le vrai facteur différenciant est donc le contexte départemental et l'orientation intercommunale. A Saint-Denis, l'orientation intercommunale est très économique, comme l'orientation départementale dans les Hauts-de-Seine.

En quoi les options de politiques publiques privilégiées ont-elles différé ?

Élisabeth Dupoirier :Selon moi, les politiques publiques de ces villes ont différé parce qu'elles étaient articulés sur des ambitions politiques. Les intérêts de M. Santini, de M. Brard et de M. Paillard ne sont pas les mêmes. André Santini a été visionnaire mais il avait aussi dans l'idée d'ancrer dans sa commune une population a priori plus favorable au mouvement politique qu'il représente, c'est-à-dire le centre-droit. Ses politiques locales ont été faite pour conforter l'installation d'entrepreneurs économiques, de populations de classes moyennes supérieures. A Saint-Denis, même avec une politique fiscale avantageuse, il est plus difficile d'attirer la même population.

Franck Sottou : Fiscalement, on voit une vraie différence entre les trois communes sur le taux du foncier bâti. Il est à 11% à Issy-les-Moulineaux, à 20% à Saint-Denis. Auparavant, c'était le taux de taxe professionnelle qui faisait la différence mais c'est désormais terminé puisque c'est une imposition nationale. Ce qui est différenciant maintenant, c'est le taux du foncier bâti. Le duo département / commune est essentiel sur ce sujet puisque c'est lui qui vote les taux. Et peut-être que demain, l'intercommunalité viendra se greffer sur ce dossier. Tout l'enjeu est donc de maitriser le taux de foncier bâti. Un particulier ou une entreprise qui veut s'installer dans une commune regardera ce taux et c'est ça qui est déterminant. Issy a donc un grand avantage sur les deux autres communes.

Pour quels résultats concrets sur les fronts du développement économique, de l'attractivité pour les entreprises, de la pression fiscale, du logement, des inégalités, de la diversité et de l'intégration, de l'insécurité ?

Élisabeth Dupoirier : En termes de logement, les politiques menées ont des effets différents, notamment en termes de logements sociaux. Des communes comme Saint-Denis et Montreuil ont essayé de profiter de opportunité de créer des logements sociaux et, en outre dans une idée électorale notamment. A l'inverse, Issy-les-Moulineaux a voulu modérer la construction de logements sociaux malgré les amendes. A chaque fois, on essaye d'attirer le type de constructions qui peut attirer sa cible électorale, de centre-droit à Issy, de centre-gauche à Montreuil et d'extrême gauche à Saint-Denis. Concernant les inégalités, l'intégration, les politiques ont également eu des variations.

Franck Sottou :L'enjeu-clé du taux de foncier bâti est l'évaluation des données locatives. On parle donc d'attraction, d'autant qu'il y a un vrai effet boule de neige : comme dans le cas d'Issy-les-Moulineaux, une entreprise en amène une autre, qui en amène une autre, qui en amène une autre, etc. Les trois communes ont des atouts pour le développement économique mais Issy-les-Moulineaux, avec son faible taux de foncier bâti, est forcément plus attractive.

Il y a également une répercussion en terme de logements qui est à mettre en parallèle avec le concours financier de l'État. Dans des villes comme Montreuil ou Saint-Denis qui ont un potentiel financier plus faible, pour récupérer du concours financier de l'État, on a pu construire plus de logements sociaux. C'est une question de volonté politique mais également de capacité.

En termes d'intégration et de sécurité, la mixité mais aussi l'emploi local a joué dans les destins des trois villes. La capacité à attirer localement de l'habitat et de l'emploi est différente dans les trois communes. Quand vous avez un taux de chômage local élevé, cela s'accompagne généralement d'une hausse de l'insécurité. C'est d'ailleurs tout l'enjeu de la Seine-Saint-Denis : attirer de l'emploi local.

Jusqu'où l'idéologie peut-elle imprégner la politique locale ?

Élisabeth Dupoirier : Il y a une partie qui est commune. Quelle que soit votre étiquette politique, il y a des incontournables. Est-ce de l'idéologie ou de l'intérêt ? Le pragmatisme semble l'emporter largement, même s'il n'ignore pas les variables des différentes décisions. Mais, au fond, il y a tellement de passages obligés en termes de politique locale que les différences idéologiques sont de moins en moins visibles.

Franck Sottou : Le poids de l'idéologie se réduit très fortement, à part aux extrêmes. Vous mettez un élu de gauche ou un élu de droite dans la même situation, il aura un peu les mêmes réflexes. Plus que l'orientation droite / gauche, c'est la capacité à agir qui marque une vraie différence, la capacité d'innovation. Et la capacité à attirer des emplois. L'idéologie joue certainement plus au niveau départemental.

Où s'arrête le pouvoir du politique et matière de développement local ?

Élisabeth Dupoirier :Le poids de la commune existe malgré tout. Vous ne pouvez-pas faire des virages à 180°. Le travail local répond à un processus assez lent, quelle que soit la commune. La gestion de l'aménagement du territoire n'est pas sur la même échelle temporelle que le reste de l'action politique. Le mandat de maire est d'ailleurs long. Et les maires des trois communes sus-citées ont occupé leur poste longtemps. J'ai entendu beaucoup de maires dire qu'il fallait être réélu au moins une fois pour voir se matérialiser – et éventuellement tirer les bénéfices attendus – des décisions prises au début du premier mandat.

Franck Sottou :Il y a une situation de départ qui fait que l'on ne part pas avec les chances. C'est comme dans une course à pied où certains ont 100 mètres à faire, d'autres 110, d'autres 120... Le paradoxe est qu'il va certainement falloir mettre le plus de moyens pour ceux qui sont en retard. Il y a aussi une question de solidarité nationale et départementale. 

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