Un site de production de masques chirurgicaux permettant de se protéger contre la Covid-19.
©PHILIPPE DESMAZES / AFP
Anticipation
Mondialisation : ces stratégies qui permettraient à la France de ne plus subir de pénuries comme celles connues avec la pandémie
La crise sanitaire a révélé les failles industrielles et économiques de nombreux pays. Les pénuries de masques, de tests et les retards sur la production des vaccins a souligné les vulnérabilités françaises et européennes en termes de production industrielle et d’approvisionnements. Des solutions et des stratégies alternatives existent.
Atlantico : Avec les pénuries de masques, de tests et plus récemment de vaccins, comment la crise a-t-elle révélé les vulnérabilités françaises en termes de production industrielle et d’approvisionnements ?
Xavier Jaravel et Isabelle Méjean : La crise a été marquée par une combinaison de deux facteurs qui ont conduit à des problèmes d’approvisionnement sur certains produits très spécifiques. D’une part, le caractère pandémique de la crise sanitaire et sa diffusion géographique extrêmement rapide ont conduit à une augmentation spectaculaire de la demande pour les produits nécessaires à la gestion de la crise sanitaire, les masques, le matériel de protection puis les équipements médicaux ou les composants utilisés pour les tests et aujourd’hui les vaccins. Pour donner une idée de l’ampleur du choc de demande, la France a importé en mai 2020 pour plus de 18 milliards d’euros de masques médicaux, soit plus de 40 fois plus qu’en janvier de la même année. Dans un tel contexte, on pourrait s’étonner de la rapidité avec laquelle ces pénuries se sont résorbées. Le second facteur qui a exacerbé ces pénuries, et qui n’est pas spécifique à l’industrie de la santé, est lié à la manière dont les politiques de gestion de la crise sanitaire ont désorganisé les chaînes de production, en particulier à l’échelle internationale. Les mesures de confinement national qui se sont enchaînées depuis fin janvier 2020 et les freins à la mobilité internationale des biens et des personnes ont complètement désorganisé les chaînes de valeur internationales. Ces modes de production, qui conduisent à la segmentation de la production en de multiples étapes localisées dans différents pays, reposent sur une logistique extrêmement sophistiquée qui permet de synchroniser l’activité des centaines d’entreprises impliquées dans la production d’un bien de consommation finale. Si ces modes de production sont extrêmement efficaces, ils sont également vulnérables puisqu’une perturbation à un point de la chaîne de production va avoir des conséquences sur tous les maillons. C’est ce qu’on voit aujourd’hui dans l’industrie automobile où la pénurie de semi-conducteurs ralentit la production un peu partout dans le monde.
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Atlantico : Pour ne plus rencontrer de pénuries sur des secteurs stratégiques à l’avenir, vous proposez d’"encourager la diversification des approvisionnements ou des alliances stratégiques lorsque d’autres partenaires commerciaux peuvent être mobilisés, notamment au niveau européen ; si la diversification n’est pas possible, faciliter ou subventionner le stockage, notamment sur les produits à faible valeur ajoutée". Comment mettre en œuvre cette stratégie ? Concrètement, quels domaines ou produits sont concernés ?
Xavier Jaravel et Isabelle Méjean : Pour mettre en œuvre cette stratégie, nous proposons de partir de la liste de produits et composants vulnérables que nous avons identifiés à partir des données des Douanes. Pour chacun de ces produits, nous recommandons de procéder au cas par cas pour établir une stratégie sectorielle le long de la chaîne de valeur, afin de réduire et in fine éliminer les vulnérabilités sous 5 à 10 ans.
L’un des secteurs les plus concernés est la chimie, qui représente plus d’un tiers des vulnérabilités, par exemple sur les importations de principes actifs de médicaments, notamment en provenance de Chine.
La stratégie que nous proposons a trois axes. D’abord, mobiliser nos partenaires européens en organisant des alliances stratégiques, par exemple entre laboratoires, pour diversifier les approvisionnements tout en mutualisant les coûts. Si la diversification n’est pas possible ou trop coûteuse, nous proposons de subventionner le stockage. Le stockage, plutôt que la production nationale, doit être systématiquement envisagé pour les produits à faible valeur ajoutée (par exemple, les masques). Enfin, si la diversification ou le stockage ne sont pas possibles, nous proposons de favoriser la production nationale en améliorant la compétitivité et la capacité d’innovation des entreprises, afin de pouvoir produire de manière pérenne. Concrètement, les pouvoirs publics pourraient lancer des appels à projets très spécifiques, en partant de la liste de de composants vulnérables que nous avons identifiés, pour subventionner l’innovation sur des segments clefs des chaînes de valeur, par exemple la conception des puces électroniques.
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Outre ces trois axes, deux éléments doivent être gardés en tête. D’abord, la stratégie doit être mise en œuvre dans la durée – la reconquête des chaînes de valeur prendra du temps, on ne peut pas espérer éliminer toutes les vulnérabilités en moins de 5 ou 10 ans. Cela suppose de maintenir les efforts dans la durée, malgré les changements de gouvernements, ce qui plaiderait pour la mise en place d'une agence dédiée à la stratégie de résilience. En outre, du fait des rendements d’échelles, pour certains produits (par exemple, la production de semiconducteurs de dernière génération) il est essentiel d’agir au niveau européen et donc de convaincre nos partenaires. C’est un défi car la question des « relocalisations » est quasiment absente du débat public chez certains de nos partenaires principaux, comme l’Allemagne.
Y a-t-il des secteurs pour lesquels il est préférable de favoriser une production nationale ? Lesquels et pourquoi ?
Xavier Jaravel et Isabelle Méjean : Il faut se focaliser précisément sur les secteurs susceptibles de générer de l’activité pérenne, pour lesquels il est plausible pour la France d’acquérir ou de maintenir un « leadership technologique ». Se focaliser sur les produits et composants de pointe, à haute valeur ajoutée, permettra de créer des externalités technologiques qui bénéficieront à la compétitivité de l’économie française dans plusieurs secteurs. Surtout, la capacité d’innovation permet une production nationale pérenne, par opposition à une production nationale qui dépendrait surtout de subventions. En plus des secteurs d’excellence historiques de la France, dans lesquels il faut veiller à ne pas décrocher (nucléaire, aéronautique), la France a des atouts pour devenir davantage compétitive et augmenter la production nationale sur des segments technologiques comme les véhicules autonomes, les logiciels de conception assistés par ordinateur ou encore la transmission de données.
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