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Avec un Iran qui s’apprêterait à acquérir la bombe nucléaire, n’est-ce pas dangereux de se désarmer ?
Avec un Iran qui s’apprêterait à acquérir la bombe nucléaire, n’est-ce pas dangereux de se désarmer ?
©Reuters

Grosse bombe pour rien

Michel Rocard a proposé dernièrement de supprimer la dissuasion nucléaire. Toute la classe politique française s'est alors dressé contre lui sous-entendant que l'arme nucléaire est un moyen de tenir son rang de puissance. Pourtant, les contres exemples ne manquent pas et l'arme nucléaire apparaît de plus en plus comme une illusion de pouvoir.

Paul Quilès

Paul Quilès

Paul Quilès est un homme politique français socialiste. Il est le maire de Cordes-sur-ciel dans le Tarn depuis 1995 et anime également le club Gauche Avenir.

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Atlantico : François Hollande n’a pas donné suite à la proposition de Michel Rocard d’abandonner l’arme nucléaire. L’armement nucléaire a-t-il toujours un sens aujourd’hui en France ?

Paul Quilès : Il faut replacer la proposition de Michel Rocard, comme il l’a admis lui-même, dans une démarche de provocation. Il a voulu susciter le débat et je ne m'en plaindrai pas. Il faut quand même noter que le chiffre qu’il a donné concernant les dépenses suscitées par le nucléaire était inexact. Il voulait parler, à l'évidence, des dépenses sur 5 ans, et non pas sur un an.

La réaction de François Hollande est classique. Il s'agit de justifier la dissuasion nucléaire par la volonté de tenir le rang international de la France. Or, en faisant apparaître l’arme nucléaire comme un attribut de puissance et en donnant le sentiment, comme la France, que c'est un avantage, il n’est pas étonnant que d’autres pays cherchent à acquérir l’arme nucléaire. Mais cette thèse ne tient pas. Beaucoup de pays, comme l’Allemagne, n’ont pas besoin de l’arme nucléaire pour être entendus. De plus, on fait trop souvent la confusion entre les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité et les Etats dotés de l’arme nucléaire, ce qui est historiquement inexact, puisqu'en 1945, seuls les Etats-Unis possédaient cette arme !

Pourquoi l’arme nucléaire n’a-t-elle jamais servi depuis Hiroshima et Nagasaki en 1945 ?

C’est l'argument qu’on met souvent en avant pour justifier la possession d’armes nucléaires. Ce serait une "arme de non emploi". Or elle a servi une fois, et contrairement à ce qu’on dit, elle n’a pas mis fin à la Deuxième guerre mondiale. On sait depuis l'ouverture des archives américaines que le bombardement d'Hiroshima et de Nagasaki a constitué une épouvantable "expérimentation" de l’arme atomique à grande échelle. D’autre part, les conséquences de l’utilisation de l’arme nucléaire sont terrifiantes et on peut dire que ce n’est donc pas une "assurance-vie", formule utilisée par les défenseurs de la dissuasion, mais une "assurance-mort". Et on oublie qu’elle a failli être utilisée à plusieurs reprises, pendant la crise de Cuba en 1962 notamment. Encore une autre preuve, s’il en faut :  malgré l'échec du projet d'IDS (la "guerre des étoiles" ),  voulu par le Président Reagan dans les années 80, on veut mettre en place aujourd’hui en Europe un bouclier antimissile . Mais si la dissuasion nous protège, pourquoi vouloir construire un bouclier ?

Quid du risque de la possession de l’arme nucléaire par des groupes privés ?

La dissuasion nucléaire n’a jamais protégé des groupes terroristes. On l’a vu par exemple avec les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis ! La possession de cette arme est de moins en moins dissuasive… à supposer qu’elle l’ait été dans le passé.

Dans le contexte actuel, avec un Iran qui s’apprêterait à acquérir la bombe nucléaire, n’est-ce pas dangereux de se désarmer ?

D'abord, il y a d'autres façons de lutter contre la prolifération nucléaire que de continuer à en vanter les mérites et à en limiter la possession à un petit club de pays. Et puis, le désarmement ne peut être que progressif. La question ne se pose donc pas dans ces termes. Il y a encore environ 20 000 ogives nucléaires dans le monde, soit 400 à 500 000 fois la puissance d’Hiroshima. Il faut donc s’engager dans des négociations vers le "désarmement nucléaire général et complet", comme le stipule l’article 6 du TNP, qui n'est malheureusement pas respecté. Ce qui signifie qu'on ne pourra pas faire disparaître toutes les armes d’un coup de baguette magique. Cela peut prendre une vingtaine d'années, comme le propose le mouvement Global Zero.

Le désarmement nucléaire est-il de droite ou de gauche ?

Même si l'insistance mise sur le désarmement est traditionnellement plutôt marquée à gauche, je constate qu'aux Etats-Unis, nombre de Républicains défendent le désarmement nucléaire. En France, les choses sont plus compliquées et il existe une attitude inspirée par le souvenir de De Gaulle qui considère l’armement nucléaire comme indispensable pour assurer notre indépendance.....ce qui reste prouver.

Pourquoi, avant la sortie de Michel Rocard, y avait-t-il si peu de débat à ce sujet en France ?

Contrairement à ce qu'on répète, il n’y a pas de consensus en France, parce qu'il n'y a jamais eu de débat public. L’opinion des Français n’a donc jamais pu être mesurée.  Même dans les partis politiques, la question est très rarement abordée. J’ai été pendant plus de dix ans délégué aux questions de défense et de stratégie du PS auprès de François Hollande et je n'ai pas le souvenir que cette question ait donné lieu à débat. Il est regrettable qu'on en parle dans les médias seulement à l'occasion de cette provocation de Michel Rocard.... mais c'est un bon début, puisque je viens de publier un livre sur ce sujet "Nucléaire, un mensonge français" et que j'ai bien l'intention de m'exprimer ! Si les partis ne veulent pas en parler, je souhaite au moins que les journalistes sortent d'un conformisme qui les amène trop souvent à se caler sur la thèse "politiquement correcte" du consensus français. Je ne me satisfais pas du "circulez, y’a rien à voir", pas plus quede ce commentaire d'un officier supérieur disant hier à la télévision "c’est une assurance-vie, qui ne coûte pas cher -0,2% du PIB- pourquoi s’en priver". C'est vraiment le niveau zéro du débat. Il est temps de commencer à parler sérieusement de ce sujet qui concerne notre sécurité et notre avenir.

Propos recueillis par Ania Nussbaum


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