Modulation des allocations familiales : comment la France joue avec le feu <!-- --> | Atlantico.fr
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Le France joue avec le feu.
Le France joue avec le feu.
©flickr.com

Attention, ça brûle !

Pour réduire le déficit de la sécurité sociale, le gouvernement et la majorité ont opté pour une modulation des allocations familiales en fonction des revenus. La cible du dispositif : les familles "aisées", déjà touchées par une fiscalité renforcée. L'atout démographique de la France, qui n'est pas des moindres, se voit ainsi profondément menacé.

Henri Sterdyniak

Henri Sterdyniak

Henri Sterdyniak est économiste à l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), spécialiste de questions de politique budgétaire, sociales et des systèmes de retraite.

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Atlantico : La prime à la naissance ne sera pas rognée à partir du deuxième enfant, et la majoration des allocations à 14 ans est maintenue, en revanche les allocations seront divisées par deux pour les familles avec deux enfants dont les parents gagnent à eux deux plus de 6000 euros pas mois, et par quatre pour ceux qui gagnent plus de 8000 euros. En quoi peut-on dire que cette mesure risque d’avoir des impacts négatifs sur les naissances, alors que la France est connue pour avoir une natalité élevée ? Si l’on regarde les précédents au niveau européen, quelles conséquences ont eu ce genre de mesure sur la natalité ?

Henri Sterdyniak : La France a jusqu’à présent conservé un taux élevé de fécondité proche de 2 enfants par femme, alors que l’Europe se caractérise par de très bas taux de fécondité dans les pays germaniques, méditerranéens et les pays de l’Est : en 2012, 1,3 enfant par femme en Hongrie, en Pologne, en Espagne et au Portugal, 1,4 en Allemagne, Espagne , Italie et Grèce. La fécondité est restée satisfaisante dans les pays scandinaves, les pays anglo-saxons et en France : 1,7 au Pays-Bas et au Danemark, 1,8 en Belgique et en Finlande 1,9 en Suède, et au Royaume-Uni ; 2 en France et en Irlande. Le taux de fécondité global de l’UE n’est que de 1,6 enfant par femme. Compte tenu de l’aspiration des femmes à l’emploi et à l’autonomie, les pays qui ont réussi à maintenir un taux élevé de fécondité sont généralement ceux qui permettent aux femmes de concilier vie professionnel et élevage des enfants, par le développement de systèmes de garde des jeunes enfants, par un soutien à toutes les familles différencié selon le niveau de revenu, et par une climat favorable à la maternité, à la famille et au travail des mères.

Dans quelle mesure peut-on dire que les classes moyennes risquent d’être les plus impactées par les décisions du gouvernement ? Quelles sont pour ces catégories les mesures qui peuvent avoir le plus de conséquences néfastes sur la natalité ?

Les familles des classes moyennes ont déjà été impactées par la baisse à deux reprises du plafond du quotient familial. Elles sont touchées maintenant par une forte réduction des aides à la garde des enfants. Pourtant, les familles bi-actives avec 2 ou 3 enfants sont au cœur du bon niveau de la fécondité en France. Pour les parents de ces familles, et surtout pour les mères, l’élevage des enfants représente une charge importante au niveau financier, mais surtout en termes de liberté et d’emploi du temps. Il est regrettable que les mesures récentes les présentent comme des privilégiés du système. Il serait tragique que certains renoncent à leur troisième enfant.

Les mères des classes populaires sont touchées par le passage de 36 à 18 mois du congé parental. Beaucoup de ces femmes ont du mal à concilier l’élevage de 2 ou 3 jeunes enfants avec leurs contraintes professionnelles, surtout qu’elles habitent souvent loins de leur lieu de travail, qu’elles occupent des emplois mal rémunérés, souvent maintenant avec des horaires flexibles selon les besoins de leur entreprise. Leur offrir la possibilité d’un congé parental de 3 ans leur ouvrait une alternative utile. Il est dommage que le gouvernement les prive de cette possibilité alors que la situation de l'emploi est mauvaise pour les travailleuses non-qualifiées. Cette mesure aurait dû être précédée d’une expansion importante des modes de garde collectifs (les crèches en particulier) qui risquent au contraire d’être victimes des politiques d’austérité imposées aux collectivités locales. Là aussi, des familles risquent de renoncer à leur troisième enfant.

Que doit l'économie française à la démographie du pays ? En quoi constitue-t-elle un atout, notamment à moyen terme, relativement à d'autres pays de la zone euro ? Du coup, quel impact un recul de la natalité aurait-il sur l'économie française ?

Certes, les enfants coutent cher à court terme. La France à 50% d’enfants de plus que l’Allemagne, c’est 2 points de PIB de plus en termes de dépenses de garde et d’éducation. Mais, c’est une preuve paradoxale de confiance en l’avenir des ménages français. C’est surtout une garantie de dynamisme économique à long terme. La France aura beaucoup moins de difficultés dans 20 ou 40 ans pour financer ses retraites, ses dépenses de santé, pour stabiliser sa dette publique que des pays comme l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie. Elle n’a pas besoin d’accumuler aujourd’hui des excédents extérieurs comme le fait l’Allemagne. Notre fécondité élevée est dès aujourd’hui notre contribution à la stabilité économique de la zone Euro. Elle n’aura pas à choisir entre augmenter ses cotisations sociales et faire vivre ses retraités dans la misère. Il est regrettable que l’Union européenne n’ait pas promu une grande politique européenne de soutien à la famille qui permettrait de voir l’avenir de l’UE avec plus de confiance.

Même s’il n’est pas parfait, quels sont les avantages que présente notre système actuel au niveau de la politique familiale ? En quoi peut-on dire qu’il a su jusque-là concilier fécondité élevée pour les femmes et taux de travail lui aussi important pour les parents ?

Un pays social comme la France doit assurer un niveau de vie satisfaisant aux enfants, doit tout faire pour éviter qu’ils vivent dans la pauvreté (ce qui affecte leur capacité à profiter d’une éducation de qualité et à acquérir les compétences qui seront nécessaires aux actifs du XXIe siècle), doit permettre aux femmes de concilier vie professionnelle et vie familiale. Malgré ces réussites (le fort taux de fécondité, le fort taux d’activité des femmes qui rejoint progressivement celui des hommes, qui est un des plus élevés d’Europe), la politique familiale française reste à améliorer. Les prestations familiales ne sont indexées que sur les prix et pas sur les salaires ; leur importance a fortement diminué ; aussi, les enfants ont en moyenne un niveau de vie plus bas de 10 % que l’ensemble de la population. Il serait surtout souhaitable d’augmenter le niveau de vie des familles les plus pauvres : le taux de pauvreté des enfants de moins de 18 ans reste élevé : 19 % contre 13,5% pour l’ensemble de la population. Les couples avec enfants ont un niveau de vie plus bas que les couples sans enfant, alors qu’ils jouent un rôle social important ; cela signifie en particulier qu’ils habitent plus loin de leur lieu de travail, ce qui pèse lourdement sur l’emploi du temps des mères. Malheureusement, depuis plusieurs années, les gouvernements imposent à la branche Famille un choc d’austérité particulièrement important. Alors que la branche est structurellement excédentaire, on a mis à sa charge les compléments familiaux de retraite et l’Assurance vieillesse des parents au foyer, créant ainsi un déficit artificiel, qui sert de prétexte pour réduire les prestations. Pourtant, l’élevage des enfants est, pour une nation, l’investissement prioritaire, le plus rentable.

Cet article est une mise à jour de Politique familiale : la France est-elle sur le point de sacrifier son dernier atout ? précédemment publié dans nos colonnes

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