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Ce mythe de la mixité sociale qui nous empêche de voir le défi
de la mixité ethnique
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La France des ghettos

Dans un rapport publié mardi, la Cour de comptes épingle dix ans de politique de la ville. Dix ans de dispositifs divers qui n'ont pas réussi à réduire les fractures au sein des quartiers...

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat est démographe, spécialisée dans le domaine de l'immigration. Elle a notamment écrit Assimilation : la fin du modèle français aux éditions du Toucan (2013). Son dernier ouvrage Immigration, idéologie et souci de la vérité vient d'être publié (éditions de l'Artilleur). Son site : www.micheletribalat.fr

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Atlantico : Dans un entretien publié par le Point.fr, le sociologue Renaud Epstein réagit au rapport de la Cour de comptes de ce mardi, qui dresse un constat d'échec de dix ans de politique de la ville. Selon lui, "la mixité sociale n’existe pas" et quand on parle de la rétablir dans les quartiers, "c'est de mixité ethnoraciale qu'il est avant tout question". Partagez-vous ce point de vue ?

Michèle Tribalat : On parle aujourd’hui de mixité sociale comme d’un paradis perdu, paradis qui n’a pourtant jamais vraiment existé. Le terme mixité sociale est  devenu la manière politiquement correcte d’évoquer la mixité ethnique. Prenons l'exemple de la Seine-Saint-Denis : ce département n’a pas connu de grand bouleversement social alors que sa composition ethnique , elle, a considérablement changé : 19 % des moins de 18 ans étaient d’origine étrangère en 1968, ils étaient 57 % en 2005 et probablement encore plus aujourd’hui. En 2010, seuls 35 % des enfants nés en Seine-Saint-Denis avaient leurs deux parents nés en France. Les enfants d’ouvriers voisinaient, à la fin des années 1960, avec des enfants d’ouvriers et d’employés. Se sont ajoutés aujourd’hui des enfants dont les parents n’ont jamais travaillé. Mais ces enfants sont très majoritairement d’origine étrangère.

Il y a quelques années l’actuel ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, qui était alors maire d'Evry avait déclaré vouloir plus de "Blancs, de white, de blancos" sur le marché de sa ville. Manuel Valls avait rappelé qu’en tant qu’élu de banlieue il se "battait  contre la ségrégation territoriale, sociale, ethnique". "Appelons un chat un chat : il ne faut pas avoir peur des mots mais dire les choses telles qu’elles correspondent à la réalité" avait-il déclaré. Est-on aujourd’hui encore dans le déni de réalité ?

Oui. Face aux concentrations ethniques, qui se sont exacerbées dans les grandes unités urbaines, notamment en Ile-de-France, on souhaiterait réintroduire des natifs au carré (nés en France de deux parents nés en France). On ajoute encore à la difficulté en souhaitant que ce soient les classes moyennes ou supérieures qui acceptent d’aller dans des lieux qu’évitent soigneusement, lorsqu’ils le peuvent, les natifs au carré des catégories populaires.

Hugues Lagrange avait proposé que l’on incite les personnes d’origine étrangère qui avaient réussi socialement à rester sur les lieux, alors qu’elles s’empressent généralement de les quitter parce qu’elles partagent le souhait des natifs au carré d’éviter les quartiers violents où leurs enfants auront moins de chance de réussir. Pourquoi devraient-elles, elles en particulier, se sacrifier sur l’autel de la mixité sociale ? On a du mal à garder les natifs au carré des catégories populaires, mais cela ne nous empêche pas de songer à ce que des cadres et catégories intermédiaires réinvestissent les lieux. On rêve en couleur comme diraient les Québécois.

L’absence de mixité ethnoraciale est une réalité. Mais la plupart des habitants des quartiers difficiles sont aussi des pauvres. Sans dénier la réalité ethnique et culturelle, peut-on entièrement éluder la question sociale ?

C’est vrai. Les quartiers dits difficiles sont aussi des quartiers pauvres. Mais ils ne sont pas les seuls lieux de pauvreté en France. Les élites françaises, qui ne voient que ce qui est à proximité de Paris ou à portée d’avion, se sont figurées que les classes populaires se réduisaient aujourd’hui aux habitants des "quartiers populaires", euphémisme qu’elles emploient pour désigner les quartiers des grandes agglomérations regorgeant de populations d’origine étrangère. Les natifs au carré des catégories populaires habitent ailleurs : 62 % des ouvriers âgés de 18-50 ans résident dans des unités urbaines de moins de 20 000 habitants ; 60 % des cadres natifs au carré, dans des unités urbaines de 200 000 habitants ou plus, là où résident aussi deux tiers des immigrés et enfants d’immigrés originaires du Maghreb, du Sahel ou de Turquie (données, enquête trajectoires et origines de l’Ined-Insee, 2008). Il y a donc bien une question sociale, mais fracturée selon des clivages territoriaux, comme l’a montré Christophe Guilluy, selon une ligne ethnique. Ce qui complique bigrement le problème et rend sa solution encore plus difficile.

Dix ans de dispositifs n'ont pas réduit l'écart entre les quartiers pauvres et environnants. La mixité sociale est-elle finalement un objectif illusoire ?

Dans la mesure où ceux qui vont mieux les quittent, les quartiers pauvres restent pauvres. Dès qu’on le peut on préfère vivre ailleurs. Encore une fois la mixité sociale n’a jamais vraiment existé. Si vous avez en tête la mixité ethnique. Elle va être très difficile à réintroduire. Il va falloir convaincre les natifs au carré des catégories populaires de réinvestir des quartiers qu’ils ont précisément tout fait pour éviter. Et pour y faire quoi ? Autrefois, ils étaient ceux qui, de fait, contraignaient, dans leur voisinage, les nouveaux venus à adapter leurs comportements. Ils servaient de référents culturels comme l’écrit Christophe Guilluy. On appelait cela l’assimilation. Leur rôle allait de soi et n’était pas remis en cause comme aujourd’hui où l’on valorise la diversité et l’interculturel. Ils ont jeté l’éponge et l’on ne voit pas qui pourrait les convaincre de s’y recoller à nouveau, au risque de voir leurs propres modes de vie menacés alors qu’ils cherchent précisément à les préserver.

Pour Renaud Epstein, "l’absence de mixité ethnique n’est pas un problème". Il invite la politique de la ville à s’inspirer des exemples anglo-saxons et de "mobiliser toutes les ressources des quartiers, qu'elles soient individuelles, communautaires, économiques, culturelles, avec l'ambition de les engager dans une dynamique de développement social endogène". Le risque n’est-il pas de sombrer dans le communautarisme ?

On veut le beurre et l’argent du beurre : la mixité inter-ethnique harmonieuse sans l’assimilation, la diversité sans les conflits identitaires, la valorisation des identités particulières et un fonctionnement aveugle aux différences. En abandonnant, de fait, l’assimilation, la France s’avance vers un autre modèle encore mal défini, sans en percevoir les conséquences. Si l’on renonce à l’assimilation, ce qui est déjà fait, il faut consentir à une ethnicisation des territoires. On ne peut forcer les gens à voisiner avec ceux dont ils réprouvent les modes de vie. D’autant que la pression et les exigences qui s’expriment côté musulman dans une société prêchant la tolérance et l’ouverture aux autres ont toutes les chances de finir par s’imposer là où ils forment une minorité conséquente.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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