Mineurs violents : comment sauver des générations plombées par des parents toxiques et une société démissionnaire ?<!-- --> | Atlantico.fr
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mineurs délinquants prison éducation
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©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Jeunesse à la dérive

L'éducation est-elle un facteur central dans l'augmentation de la violence des mineurs constatée en France ? Quelle est la responsabilité de notre société dans ces actes violents de la jeunesse ? Quelles solutions pourraient être apportées pour endiguer ce fléau ?

Barbara Lefebvre

Barbara Lefebvre

Barbara Lefebvre, enseignante et essayiste. Auteur de C’est ça la France (Albin Michel). Elle a publié en 2018 Génération « j’ai le droit » (Albin Michel), était co-auteur en 2002 de l’ouvrage Les territoires perdus de la République (Pluriel)

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Atlantico.fr : Que révèlent les statistiques sur l'augmentation de la violence des mineurs en France ?

Barbara Lefebvre : Même si on trouvera encore de belles âmes socialement et géographiquement à l’abri des violences mais promptes à donner des leçons d’humanisme, il est aujourd’hui acquis par l’ensemble de la société française que l’augmentation de la délinquance est une réalité, qu’elle se rajeunit, qu’elle enferme durablement l’adolescent qui y fait l’apprentissage de la vie d’adulte. C’est pourquoi les auteurs des actes graves récemment relevés par la presse étaient des multirécidivistes et avaient déjà une carrière de petit délinquant. Cela dépasse donc la question des mineurs puisque les passages à l’acte violent sous forme d’agression gratuite, c’est-à-dire non crapuleuse, sont en hausse, tandis que les violences pour vol ont diminué. Cela contredit les sociologues de l’excuse qui évoquent la pauvreté pour justifier les comportements délictueux de certains mineurs ou jeunes adultes. En France, si on peut parler d’ensauvagement c’est parce qu’on a de plus en plus de risque d’être agressé pour rien plutôt que pour voler votre smartphone. Et si on vous le vole, cela s’accompagnera souvent de coups d’une violence extrême alors que vous êtes à terre impuissant, d’insultes ou de crachats. Il y a donc évidemment un problème d’ordre sociétal, et non pas socio-économique. 

Une société sans violence n’existe pas. Nos parents ou grands-parents ne vivaient pas au jardin d’Eden, néanmoins il existait auparavant des espaces et des figures d’autorité qui limitaient le passage à l’acte notamment dans le cadre de cette violence gratuite qui nous traumatise tous actuellement car les autorités semblent impuissantes à la contenir. Cette violence-là conduit à la mort d’un père de famille pour une place de parking devant un supermarché, à un coup de couteau pour un supposé « regard de travers », à un tabassage pour avoir été rappelé à l’ordre sur le port du masque dans un bus. Que se passe-t-il pour que tant de jeunes gens soient intolérants à la frustration ? On n’imagine pas qu’il y ait une soudaine épidémie de ce type de troubles de la personnalité dûment documentés par la psychiatrie ! Tous ces jeunes ne sont pas diagnostiqués pour un trouble de la personnalité asociale ou borderline, que je sache… 

A quoi est dû cet abaissement du seuil de tolérance à la frustration ? J’ose avancer une hypothèse qui vaut ce qu’elle vaut : la société postmoderne néolibérale a déréglé tous les curseurs qui permettaient au corps social de réguler la violence et a érigé l’individu au rang de souverain absolu. Rien, ni personne ne semble pouvoir contester à l’individu le pouvoir suprême : il a tous les droits. Lui contester son « droit à » (les droits créances) au motif qu’il obère celui de la majorité, est intolérable dans nos sociétés. On le voit dans l’inflation législative consistant à répondre aux susceptibilités de chaque groupe suffisamment bien organisé pour faire entendre des revendications ultra-minoritaires. 

Aujourd’hui, l’individu-roi est hyper-sensible, un rien le traumatise ou le fait sortir de ses gonds. Il a de plus en plus de mal à exister au sein d’un collectif qu’il ne s’est pas choisi « librement ». Ainsi on voit des jeunes apparemment réfractaires aux règles se soumettre volontiers à la loi du groupe dans l’équipe de foot ou dans son clan de pairs où la hiérarchie est pourtant puissamment autoritaire. La vie des hommes est ainsi faite que vous ne choisissez pas les gens que vous fréquenterez à l’école, au travail, dans votre voisinage, mais il y a une part de notre jeunesse qui ne tolère pas de côtoyer à égalité de droit et de devoir l’Autre qui n’est pas de leur clan … 

Deux lieux de sociabilité essentiels où se bâtit le collectif ont été déstabilisés au cours des quatre décennies écoulées : l’école et l’entreprise. Cela s’est produit d’une part sous l’effet du dogme néolibéral de la performance individuelle et de la compétition perpétuelle, d’autre part par un double discours cynique prétendant contester l’autorité pour en réalité assoir la domination autoritaire d’une caste de petits chefs. Cette « barbarie douce » pour reprendre le titre de l’excellent essai de Jean-Pierre Le Goff paru en 1999 a achevé la déstructuration de ces lieux où, jadis, l’individu s’intégrait à un collectif qu’il ne s’était pas choisi sans avoir pour autant l’impression de renoncer à qui il était.  Ainsi, en même temps qu’elle a été vidée de son rôle de transmission exigeante des savoirs, l’école est devenue un lieu de violence pour nombre d’élèves quotidiennement harcelés, menacés, agressés par leurs pairs que l’institution continue de protéger. Les bourreaux demeurent largement impunis et en 2020 ce sont encore et toujours les victimes que l’on déplace discrètement quand la situation devient  trop grave. L’exemple récent de Mila en fut la démonstration. 

L'éducation est-elle un facteur central dans l'augmentation de cette violence ? Quelle est la responsabilité de notre société dans ces actes violents de la jeunesse ?

Une large part de cette violence qu’on observe dans toutes les sociétés ouvertes occidentales est en lien avec le sacre de l’individualisme qui vient heurter d’autres modèles sociétaux. La violence existe partout dans le monde mais elle a toujours un substrat culturel qui permet d’en distinguer des formes différentes selon les lieux. En Occident, où l’immigration extra-européenne a été massive au cours des trois dernières décennies, a eu lieu un choc des cultures qu’on a longtemps nié car la bien-pensance présupposait qu’analyser les violences des jeunes issus de l’immigration était synonyme de stigmatisation raciste. Pourtant, le choc culturel vécu par des familles notamment venues d’Afrique subsaharienne ou du Maghreb a conduit à des formes de syncrétismes donnant naissance à des formes de violence singulières qui se sont enracinées au fil des années. Les réticences à voir la dimension ethnoreligieuse des émeutes de 2005 et 2007 en disent long sur notre décalage. On voit  récemment le problème de l’importation du modèle de violence clanique dans le cadre des codes d’honneur chez les Tchétchènes ; j’observe d’ailleurs qu’on a beaucoup moins de pudeur à les qualifier alors que l’on continue d’utiliser des circonvolutions dans le cas des « émeutes urbaines » des incivilités chez les « jeunes des quartiers populaires ». Au Sénégal, au Mali ou en Côte d’Ivoire, les jeunes délinquants de nos « quartiers populaires » ne se permettraient pas le quart de ce qu’ils font en bas de chez eux, et qui pourrit la vie de la collectivité. Non pas parce qu’ils ont davantage de respect pour autrui là-bas, mais parce que le contrôle social de la violence y est à la fois plus strict et plus dilué : un gamin qui se conduit mal peut être réprimandé avec force par le voisin ou le passant sans que les parents y trouvent à redire. On ne prendra même pas la peine d’appeler la police qui souvent est aux abonnés absents.   

On se souvient de l’accueil glacial que la bien-pensance avait accordé à l’ouvrage « Le déni des cultures » (Le Seuil, 2010) du sociologue Hugues Lagrange insoupçonnable de racisme eu égard à ses travaux depuis des années. Partir des histoires migratoires familiales pour comprendre ces adolescents délinquants ou en rupture sociale, cela aurait dû faire l’unanimité et intéresser les pouvoirs publics qui ne pensent ces sujets que pour des visées électoralistes de court terme : un discours sécuritaire pour se faire élire, puis le politiquement correct et l’excuse sociale une fois élu pour justifier l’impuissance qui est d’abord indifférence envers la population de ces quartiers. 

Tout ne se réduit pas aux conditions économiques et sociales des familles, le chômage d’un parent n’entraîne pas systématiquement la dérive délinquante de sa progéniture, sans quoi la France serait peuplée de millions de délinquants et de criminels. Le pédopsychiatre Maurice Berger ne dit pas autre chose lorsqu’il fait le récit de son expérience de praticien avec des jeunes en centre éducatifs fermés dans son dernier ouvrage « Sur la violence gratuite en France » (L’Artilleur, 2019) : la première étape de ses dérapages dans la violence se trouve dans le dysfonctionnement éducatif familial. Le rôle des mères est essentiel. Singulièrement pour les femmes d’Afrique subsaharienne, les travaux de Lagrange ont montré qu’elles sont le pivot de l’organisation familiale. Quand sa place est dévalorisée dans la cellule familiale, qu’elle ne travaille pas, qu’elle n’est pas insérée dans la société alors que ses enfants et en particulier ses fils le sont, on observe des ruptures de légitimité de la parole d’autorité entre parents et enfants, que le père biologique ne comble pas car traditionnellement la figure paternelle d’autorité est diluée dans la famille élargie (oncles, grand-père). Maurice Berger rappelle aussi l’impact sur l’éducation des enfants d’une mère mariée de force à un homme qu’elle n’aime pas, la qualité du lien avec ses enfants s’en ressent, en particulier les garçons qui peuvent mimer le père. Ses observations après des décennies de pratique avec ces enfants violents le conduisent à dire qu’il y a toujours un dysfonctionnement familial majeur et précoce dans l’histoire de ces jeunes. 

Maurice Berger a raison d’alerter sur l’absence de politiques de prévention de cette violence qui nait dans les premières années de vie de l’enfant en raison de déséquilibres familiaux, il rapporte les dispositifs d’intervention précoce d’aide à la parentalité qui ont montré leur efficacité et la dégradation qui suit leur interruption par les pouvoirs publics dans les pays ou les régions où ils ont été mis en place. Ces dispositifs d’accompagnement, en particulier des mères, doivent intervenir très précocement, même durant la grossesse si les services sociaux ou les associations indiquent des fragilités. Pour cela il faut des intervenants formés, capables de comprendre le fonctionnement clanique de certaines familles. Mais les moyens comme la volonté politique ne sont pas là. La sous-traitance associative a ses limites, la dégradation continue de la situation dans ces quartiers le démontrent et pourtant la dispendieuse « politique de la Ville » continue de s’appuyer sur des associations pour régler des problèmes qui dépassent leurs compétences. 

Quelles solutions peut-on apporter à cette violence qui gangrène la jeunesse française ?

La réponse pénale est bien entendu la réponse immédiate quand une violence est commise. Les peines doivent être prononcées dès le premier acte de façon proportionnée mais stricte. Le « rappel à la loi » a atteint ses limites. Néanmoins, sans traiter les causes socioculturelles profondes de cette violence, on ne cessera de courir après la triste réalité. Un enfant ne devient pas délinquant par hasard. Dans un même quartier, à situation migratoire et socio-économique identique, des familles ne posent aucun problème, d’autres dysfonctionnent gravement. C’est vers les parents que les pouvoirs publics doivent porter l’attention car c’est dans la cellule familiale, dans les violences intrafamiliales, dans les absences paternelles (ou leur présence ectoplasmique), les défaillances maternelles, les conflits fraternels non régulés, que se jouent les destins de cette jeunesse. L’école est souvent le lieu où l’on détecte très tôt ces difficultés, pourtant rien de décisif en termes de suivi des familles, des enfants, n’est jamais posé. On compte toujours sur le temps pour arranger les choses alors que chacun sait que plus le temps passe, plus l’impunité fait son œuvre. Ce n’est pas à seize ans qu’on va sauver un adolescent en rupture scolaire et sociale ! 

Les services sociaux sont, en outre, désarmés face à certaines familles où la délinquance fait partie du décor. Il est par exemple incompréhensible que certaines familles, connues comme le loup blanc, qui terrorisent des quartiers entiers ne soient jamais expulsées de leur logement par les bailleurs sociaux, que la manne des aides sociales continue de tomber malgré les condamnations pénales de tel ou tel de la fratrie. Ces aides sont accordées pour accompagner les parents dans l’éducation de leurs enfants, si elles sont dévoyées de leur sens, pourquoi ne réagit-on pas ?  

L’émancipation de la femme, de la mère, par l’insertion professionnelle est enfin une des clés pour rompre ce cercle vicieux. Quand une femme travaille, qu’elle gagne son argent, qu’elle côtoie le reste de la société, c’est toute la famille qui change. Hélas, on a sous-traité cet objectif majeur d’intégration à des associations de quartiers sans moyen, sans parler de certaines associations aux mains d’acteurs de l’islam politique qui ont tout intérêt à maintenir ses femmes sous leur joug. Il n’y a aucune politique publique ambitieuse à l’échelle des collectivités locales comme à l’échelle nationale pour améliorer la condition des femmes immigrées dans les quartiers alors que les flux migratoires se poursuivent, que des hommes continuent d’aller « au pays » chercher leurs épouses. Marlène Schiappa a focalisé sa com’ sur les violences conjugales mais sur la question du droit des femmes, elle ne s’est pas réellement emparée des mariages forcés, des mutilations sexuelles, de la polygamie autorisée alors qu’elle est illégale en France. Et Elisabeth Moreno qui n’a que les mots «  diversité » et « discrimination » à la bouche n’a pas l’air de s’en soucier.

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