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Migrants : ce que change vraiment l'accord trouvé par le Conseil européen
©LUDOVIC MARIN / AFP

Crise migratoire

Dans la nuit de jeudi 28 à vendredi 29 juin, à Bruxelles, l'Union européenne a trouvé un accord sur la crise migratoire.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Après de nombreuses heures de négociations concernant la question de l'immigration, le Conseil européen a pu "trouver un accord" selon les mots d'Emmanuel Macron sur twitter qui développe en indiquant "une approche européenne confirmée, un agenda complet acté (action extérieure, protection des frontières, responsabilité et solidarité européennes), les propositions françaises adoptées". Comment interpréter les positions du Conseil européen ?

Rémi Bourgeot : Il s'agissait surtout, pour les différents dirigeants nationaux, d'envoyer le signal, sur leur scène politique respective, qu'une nouvelle approche était actée ou était au moins en gestation. Donc il s'agit surtout, en réalité, d'enterrer les principes du règlement de Dublin qui font peser la responsabilité de la gestion des vagues migratoires sur les premiers pays d'accueil. Ce principe est devenu inacceptable aux yeux des Italiens en particulier. Généralement, la plupart des pays affectés par la vague migratoire estiment être abandonnés par l'Europe, exigent plus de solidarité mais, évidemment, dans des sens très différents. On a donc pu constater, à l’occasion de ce sommet qui a duré jusqu'au petit matin, les contradictions entre les diverses demandes. Il est donc impossible d'acter la fin du règlement de Dublin, parce que du fait de ces divergences, il est impossible de le remplacer par un nouveau système. Donc, à la place d'un nouveau système, il s'agit d'esquisser de nouveaux dispositifs (qui restent toujours assez vagues). Cela repose essentiellement sur la création de centres de tri. Avant le sommet, on avait parlé de centres extra-européens pour gérer les départs depuis un certain nombre de pays, d'Afrique du Nord en particulier. Le principe a été confirmé, mais la réalisation reste extrêmement compliquée et on a des contours seulement très flous pour ce système, les pays en question ont évidemment rejeté la possibilité d'accueillir ce type de centres. Il y aussi une idée, à priori nouvelle, qui consiste à mettre en place des centres de tri au sein de l'Union européenne qui seraient placés dans des pays qui seraient volontaires pour les accueillir. Cela est destiné actuellement à l'Italie, qui souhaite ne plus avoir à gérer l'arrivée des bateaux de migrants qui sont secourus par des ONG dans les eaux internationales. Il s'agirait donc que ces migrants soient emmenés vers des centres dans d'autres pays européens pour que leur dossier soit étudié. Là encore, aucun pays ne s'est porté volontaire, mais le principe selon lequel le pays le plus proche devrait gérer de A à Z le flux migratoire en question, est en train d'être démantelé. 

Par ailleurs, une question très sensible est celle de l'immigration secondaire, c'est-à-dire les migrants qui ont d'abord déposé un dossier dans un pays et, en cas de refus, s'orientent vers un autre pays parce qu'ils avaient une autre destination en tête. Ce phénomène touche un peu tous les pays, notamment l'Allemagne - qui, pour des raisons géographiques évidentes, reçoit des migrants qui sont passés par ailleurs -. Donc il s'agit de couper les routes de migrants qui souhaitent atteindre un pays en plusieurs étapes. Cela touche également un pays comme le France, qui - et Macron s'en est plaint au cours des derniers mois -, accueille de plus en plus de migrants qui sont, par exemple, refoulés par l'Allemagne. 

En gros, pendant toute cette nuit de négociations, il s'est agi de gérer les exigences des uns et des autres, notamment dans des contextes où des dirigeants comme Angela Merkel sont en difficulté sur leur scène politique nationale, au sein de leur coalition ou même de leur propre parti. On a donc dessiné de grands principes qui visent à commencer à satisfaire les exigences de tout le monde. Mais évidemment, ça ne définit pas un système qui se substituerait au système actuel. 

Quels sont encore les points qui restent en suspens ? Alors qu'Angela Merkel est confrontée à une fronde interne à sa coalition, menée par son ministre de l'Intérieur, et que Giuseppe Conte avait averti de la fermeté de la position italienne, comment évaluer leur situation suite à cet accord ? 

Il y a une vraie reconnaissance des exigences italiennes, avec l'idée de gérer conjointement l’arrivée des migrants par voie maritime. La mise en place de centres de rétention et d’étude des dossiers en Europe va être extrêmement compliquée mais c’est un signal envoyé à l'Italie qui est en première ligne, en raison de sa position géographique, dans la gestion des flux migratoires venus surtout d'Afrique. Le principe voulant que l'Italie assume la charge de la gestion de ces flux a été, d’une certaine façon, enterré. Du point de vue de la doctrine européenne sur les questions migratoires, on peut parler d’une forme de succès symbolique pour l'Italie, qui ne se traduit pas forcément concrètement à ce stade. Mais déjà depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois avant la formation de la coalition actuellement au pouvoir à Rome, une reconnaissance de ces exigences italiennes a commencé à prendre forme. Le fait que ces demandes ont été prises très au sérieux, bien qu'elles émanent d'un gouvernement populiste, indique qu'il y avait vraiment un sujet à négocier. 

Concernant l'Allemagne, les choses sont plus diffuses. Du fait de l'ultimatum que lui a posé son ministre de l'Intérieur, Angela Merkel était obligée d'annoncer une sorte de refonte du système européen et surtout l’idée d’une gestion en amont des flux de migrants qui s’orientent vers l’Allemagne. Le fond de l’approche d’Angela Merkel continue à reposer sur l’idée d’accords avec des pays tiers, en particulier hors d’Europe, comme cela avait été le cas avec la Turquie sur la rétention des réfugiés syriens. Mais les choses sont encore moins concrètes que dans le cas italien, même si les menaces du ministre allemand de l'Intérieur de mettre en place des mesures de police aux frontières de façon presque unilatérale, sont quand même plutôt d’ordre théorique. Il s'agissait surtout de mettre un coup de pression pour envoyer à ses troupes en Bavière et aux électeurs, un message indiquant qu'il pesait sur la politique fédérale et, au final, sur la politique européenne. 

Au regard des positions exprimées, comment évaluer les rapports de force interne au Conseil européen ?

On a vu quand même une vraie prise de conscience du problème, pour les dirigeants, sur leur scène nationale. Donc là, il y avait vraiment un contexte d'urgence, notamment avec cette crise gouvernementale allemande qui, si elle dégénérait, aurait des conséquences imprévisibles pour l’UE dans son ensemble. Donc, quel que soit le niveau de gravité de la crise politique européenne, tout le monde avait quand même conscience de ne pas pouvoir se permettre de repartir sans même une esquisse d’accord. 

Il y a donc une remise en cause généralisée du même système de gestion des flux migratoires, mais pour des raisons différentes. Les demandes des uns et des autres ont quand même été prises à peu près au sérieux. Les pays d'Europe centrale sont un peu isolés des pays d'Europe de l'Ouest. Ils sont quand même moins confrontés aux flux migratoires, et refusent avant tout l’idée de quotas de répartition. Mais cela a été acté depuis un certain temps, même si l’idée de compensation financière de leur part revient régulièrement dans le débat. De toute façon, on ne peut pas vraiment forcer un pays à accueillir des migrants au nom de quotas, et bien que cela rende le dispositif encore plus complexe, le principe du volontariat s’est plus généralement imposé à tous les échelons de l’accord

Un véritable débat s'est mis en place entre dirigeants européens, même s'il s'agit de débats très tendus sur la base de menaces d'actions unilatérales. Mais il y a quand même une reconnaissance des demandes des uns et des autres, même si ça n'aboutit pas à un système cohérent et que ça n'a aboutit qu'à des engagements extrêmement vagues sur des mesures dont on voit difficilement comment elles vont être mises en place concrètement.

Comment anticiper le sommet de la zone euro de ce vendredi sur les propositions européennes de Macron ?

Sur la zone euro, il y a eu une esquisse avec le récent sommet franco-allemand. Dans le fond, les demandes d'Emmanuel Macron visant une intégration plus poussée au sein de la zone euro ne sont pas acceptables du point de vue allemand étant donné les tabous sur une quelconque forme conséquente de transferts financiers systématiques entre gouvernements européens. Donc Angela Merkel, qui est dans une situation précaire sur la scène politique allemande et la crise migratoire, ne peut pas se permettre de contrecarrer les tabous allemands en la matière, si ce n’est en faisant quelques concessions symboliques.

Pour Emmanuel Macron, la situation est assez critique au fond. Parce que ses projets d'intégration accrue au sein de la zone euro sont au cœur de son agenda politique, de son programme de la campagne présidentielle. Donc, sur le fond, il est impossible d'avancer véritablement du fait des tabous de long terme en Allemagne, accrus par la crise politique à Berlin ; et en même temps, Emmanuel Macron doit afficher des avancées, éventuellement décisives. Ce qui avait été acté au cours du récent sommet franco-allemand reposait sur quelques concessions, notamment sur la création d'un budget d'investissement commun à la zone euro mais très limité dans son montant à priori, comme Merkel l'a expliqué à plusieurs reprises aux médias allemands. 

Il manque donc certaines choses et, sur le fond d'un budget qui serait à la hauteur des déséquilibres entre pays européens ou d'une union bancaire renforcée par une assurance commune sur les dépôts bancaires en zone euro, mais tout cela restant inacceptable du point de vue allemand. La position franco-allemande s'est faite sur la base des réticences allemandes et de la doctrine de gestion de crise déjà en vigueur depuis la crise de l’euro, en particulier en ce qui concerne la logique des plans d’aide et les programmes d’austérité qui les accompagnent. Il s'agit donc d'une esquisse d'accord franco-allemand. Non seulement il est sous-entendu que le budget d'investissement sera en fait très limité. Cela doit en outre être négocié entre tous les pays de la zone euro, sachant que les pays d'Europe du Nord, tout comme l'Allemagne, sont très opposés à des transferts accrus. On va donc plutôt assister à une sorte de confirmation de la proposition franco-allemande, qui se fait sur la base des réticences allemandes, mais en insistant encore plus sur ces réticences, sur les limites à un quelconque mouvement d'intégration supplémentaire. Il s'agit de pouvoir aussi affirmer qu'il existe un véritable noyau franco-allemand qui aurait jeté les bases d'une intégration supplémentaire de la zone euro mais que l'élan a été freiné par les réticences des uns et des autres. Il s’agira probablement d’affirmer que les bases ont tout de même été jetées pour le plus long terme. Dans la réalité, on voit bien des tabous politiques très forts et indépassables.

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