Mgr Matthieu Rougé : « Le Covid comme la guerre en Ukraine nous ont rappelé que la mort devait être assumée » <!-- --> | Atlantico.fr
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La guerre en Ukraine et le Covid-19 ont-ils modifié le regard que portent individuellement les Français sur la mort ?
La guerre en Ukraine et le Covid-19 ont-ils modifié le regard que portent individuellement les Français sur la mort ?
©AFP

Toussaint

L’irruption de la guerre aux frontières de l’Europe et la crise sanitaire ont changé le regard que portent les Français sur la mort. L'évêque de Nanterre, Mgr Matthieu Rougé, décrypte le nouveau rapport de notre société à la mort à l'occasion de la Toussaint.

Matthieu Rougé

Matthieu Rougé

Mgr Matthieu Rougé, évêque de Nanterre, est membre du Conseil Permanent de la Conférence des Evêque de France. Il a publié Un sursaut d’espérance. Réflexions spirituelles pour le monde qui vient aux Editions de l’Observatoire en novembre 2020.

 

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Atlantico : En ce 1er novembre, on a le sentiment que la Toussaint et Le jour des morts sont devenus l’un des rares moment de l’année ou nos sociétés accordent encore de la place à la mort, comment l’expliquez-vous ?

Mgr Matthieu Rougé : Depuis bien longtemps, la Toussaint et le dimanche des Rameaux, entrée dans la célébration de la mort et de la résurrection du Christ, sont parmi les fêtes chrétiennes les plus célébrées. Il y a en effet comme une rencontre spontanée entre question de la  mort et ouverture spirituelle. Même si notre société tente d’évacuer la mort, personne n’échappe au chagrin de la mort de ses proches et aux interrogations qu’elle suscite. Dans mon diocèse, des prêtres se tiendront à la disposition de tous dans les cimetières. Bien des incroyants les solliciteront pour un temps de recueillement voire de prière. C’est une grâce de pouvoir témoigner que la mort terrestre n’est pas le point final de l’existence humaine mais un passage vers la plénitude de l’amour de Dieu.

L’irruption de la guerre aux frontières de l’Europe, après la pandémie de Covid, a-t-elle changé, selon vous, le regard que portent individuellement les Français sur la mort ?

Il me semble que, même si la guerre en Ukraine suscite de vraies angoisses, c’est plutôt la pandémie qui a donné une force nouvelle, en tout cas pour un temps, à la question de la mort. Beaucoup de familles ont été blessées voire traumatisées par l’impossibilité d’accompagner un proche dans ses derniers moments ou de vivre pleinement l’adieu humain et religieux des obsèques. Par ailleurs, la capacité de remise en cause d’une société sûre d’elle-même et de ses capacités technologiques d’un simple virus a manifesté que la mort ne peut pas être évacuée et doit être assumée. Cela dit, dans ce domaine comme dans d’autres, tout risque de redémarrer comme si rien n’avait été. Voilà pourquoi j’ai souhaité que, dans mon diocèse, nous renforcions notre capacité à annoncer la bonne nouvelle du salut auprès des familles en deuil.

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Face à Vladimir Poutine qui agite la menace nucléaire et de la Troisième Guerre mondiale, certains disent craindre l’apocalypse. Joe Biden a d’ailleurs lui-même utilisé ce terme ?  Pensez-vous que notre rapport collectif à la mort et à la possibilité de la disparition de la civilisation va évoluer face à cette menace existentielle proférée ?

Il faut commencer par démystifier le mot « apocalypse » : dans le vocabulaire chrétien, il ne signifie pas « cataclysme final » mais « pleine révélation de l’amour de Dieu face aux blessures et aux violences de l’histoire ». La menace nucléaire est tellement déraisonnable qu’elle a quelque chose de lointain et d’abstrait, me semble-t-il. Les questions les plus immédiates et les plus vives sont celle des morts et des destructions bien réelles qui durent depuis plusieurs mois et de notre incapacité collective à ouvrir un véritable chemin de justice et de paix. Il est indispensable, comme y insiste le Pape François, que le dialogue pour la justice et la paix, aussi difficile soit-il compte tenu de la détermination de l’agresseur, soit énergiquement relancé.

De ce que vous pouvez voir de vos ouailles, et plus largement, avez-vous le sentiment que la crainte se porte plus la mort ou le fait de vieillir, la décrépitude ?

La peur de la mort est plus sourde que celle de la souffrance et de la dépendance mais elle n’est pas moins prégnante sur notre rapport global à l’existence humaine. Il me semble important de redécouvrir que la mort corporelle fait partie de la vie mais ne doit pas faire peur parce qu’elle n’en est pas le dernier mot. C’est tout le sens de l’annonce chrétienne d’une espérance nouvelle. La question du vieillissement et de la dépendance quant à elle appelle des efforts renouvelés de solidarité entre les générations mais aussi l’accueil de toutes le fragilités non pas comme négation mais comme expression de la dignité humaine.

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Que vous inspire le fait qu’une large majorité de Français se déclarent en faveur de lois sur le suicide assisté ? La présentation de ces enjeux-là vous paraît-elle correspondre à la réalité des personnes en fin de vie et de leur famille ?

Ce genre de sondages montre surtout que personne n’a envie de souffrir ni de voir souffrir des proches, ce qui est non seulement légitime mais sain. Mais il n’est pas digne de la condition humaine – et des capacités technologiques de notre époque – de répondre à la souffrance par la mort. De ce point de vue, il vaut la peine d’écouter le témoignage des soignants et des acteurs des soins palliatifs qui ont autre chose à proposer à notre société. J’encourage chacun à découvrir un service de soin palliatif : c’est une véritable école d’humanité et de dignité.

En définitive, quel message vous semble-t-il important de porter d’entendre en ce jour, au regard de la situation ?

La fête de la Toussaint est la grande fête de l’espérance chrétienne : nos vies sont faites pour s’épanouir à jamais dans la lumière de Dieu. Bien des réalités pourraient nous décourager voire nous désespérer dans le temps présent : la situation économique, le péril climatique, les affrontements géopolitiques. Des catholiques souffrent également des fragilités et des blessures de l’Eglise elle-même : j’en souffre moi aussi avec eux et comme eux. Mais face à tout cela, je crois que nous est donné le courage de l’amour et de la vérité. L’espérance chrétienne n’est pas une attitude passive mais un engagement dynamique, fondé sur le triomphe annoncé de la Lumière, en faveur de l’amour et de la vérité, de la justice et de la paix. C’est de cela que témoignent les saints d’hier et d’aujourd’hui.

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