Mesures anti-terroristes : les mérites méconnus de la méthode française<!-- --> | Atlantico.fr
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La politique antiterroriste française est efficace.
La politique antiterroriste française est efficace.
©Reuters

Élève modèle

Alors que le rapport de la commission d'enquête parlementaire sur la surveillance des filières et des individus djihadistes a été présenté par les députés Eric Ciotti (UMP) et Patrick Mennucci (PS), la lutte contre le terrorisme semble être déjà particulièrement efficace en France. Et le fruit d'une longue histoire.

Eric Denécé

Eric Denécé

Eric Denécé, docteur ès Science Politique, habilité à diriger des recherches, est directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

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Atlantico : En quoi  peut-on dire que la politique antiterroriste française est-elle efficace ? Quels sont les mérites de la méthode française en termes de lutte contre le terrorisme ?

Eric Denécé : Tout d’abord on peut le dire tout simplement en raison du faible nombre de victimes que nous constatons depuis 2001. Parmi les pays les plus visés par le terrorisme, la France est celui qui a à déplorer le moins de morts. Il s’agit de bien sûr ici de se comparer aux Britanniques, aux Américains et à un moindre degré aux Espagnols qui ont connu des attentats en 2004. Derrière, nous n’avons pas la même menace que les Italiens ou que les Allemands mais en proportion nous ne sommes pas beaucoup plus touchés. Je rappelle les chiffres des victimes françaises du terrorisme : 102 morts depuis le 11 septembre 2001, à peu près 50% en France et 50% à l’étranger. Alors certes ce chiffre est énorme mais cela fait une moyenne un peu plus de 7 morts par an ce qui montre bien que le terrorisme islamiste n’arrive pas à frapper la France. Il faut d’ailleurs comparer ce chiffre aux 25 500 morts violentes et aux 20 000 victimes de la cigarette comptabilisées chaque année en France. L’impact du terrorisme sur la mortalité est absolument infime.

Il y a une deuxième explication c’est que depuis les années 50, nos services sont organisés pour lutter contre le terrorisme arable au sens large. En France, il y a une longue histoire de guerre contre les terroristes. Dans l’après-guerre, nous étions contre le FLN au moment de la guerre d’indépendance algérienne que ce soit en Algérie ou sur notre territoire. Ensuite au cours des années 70, nous avons commencé à lutter contre le terrorisme palestinien puis dans les années 80 comme nous soutenions l’Irak dans sa guerre contre l’Iran, nous étions confrontés au terrorisme d’origine syrienne et iranienne. Dans les années 90, c’était le terrorisme algérien parce que lorsque le GIA a tenté de renverser le gouvernement d’Alger, il avait des réseaux sur notre territoire. Il y a eu des attentats comme l’on s’en souvient dans les années 1986 et 1995. Et enfin à partir du début des années 2000, la France a été confrontée au terrorisme d’Al Qaïda. En définitive, nous avons une expérience beaucoup plus grande que celle de nos alliés en termes de lutte contre le terrorisme.

En parallèle de cette histoire, la France a très tôt mis en place un système juridique et judiciaire qui nous permet de traiter la menace terroriste. Dès les années 80, il y a eu une évolution de la justice française avec la suppression de la cours de sureté de l’Etat rapidement remplacée par la quatorzième section qui est devenue le parquet antiterroriste. Nous avons donc un dispositif juridique en France qui nous permet vraiment de traiter le terrorisme. Nous avons été les premiers à créer cette association de malfaiteurs en vue d’action terroriste. Et puis avec la LOPPSI 2 (la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) adoptée en 2001, nous avons conçu un dispositif qui nous permet d’arrêter les gens avant qu’ils ne commettent un attentat.   

Dernier point, la France a pour des raisons historiques un système de renseignement qui est beaucoup plus efficace sur le territoire national que celui de nos partenaires. On nous a longtemps reproché d’avoir et les renseignements généraux et la sécurité du territoire qui sont deux services intérieurs. Les RG ont longtemps été soupçonnés, pas totalement à tort, de faire de la police politique mais derrière ces critiques, nous avons des services qui quadrillent le territoire et qui sont fonctionnent assez bien. Leur fusion en 2008 n’a pas eu que des aspects positifs mais globalement, la France à un système de renseignement qui marche. On est en particulier très bien placé quand on fait le rapport dépenses-efficacité. Les Américains, à titre d’exemple, ont  à peu près dix fois plus de personne que nous dans le renseignement et leurs budgets sont 70 fois supérieurs aux nôtres. Or ils ne sont pas 70 fois plus efficaces que nous.

En définitive, que ce soit le dispositif policier ou le dispositif juridique, La France a été précurseur par rapport à ses alliés et son modèle marche bien. Pourtant, deux aspects nous desservent potentiellement aujourd’hui. Il s’agit tout d’abord des accords Schengen qui sont positifs pour les circulations des biens, des personnes et des idées mais qui sont aujourd’hui préoccupants en matière de lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, il faut rappeler que la moitié des musulmans de l’Union européenne sont en France. Cela ne veut absolument pas dire que les musulmans sont des terroristes mais les djihadistes sont recrutés dans cette catégorie de la population. Le fait que nous ayons une proportion de musulmans plus importantes que nos voisins montre bien à quel point notre système fonctionne.

Pour les individus les moins dangereux, le rapport des députés Éric Ciotti et Patrick Mennucci propose de s’inspirer de la « méthode danoise ». Il s’agit de mettre en place un système de tutorat avec des « mentors » qui permettraient de prévenir la radicalisation djihadiste. Quel peut-être l’efficacité d’un tel système ? 

Je pense qu’il faut regarder tout ce qui se fait à l’étranger pare qu’il y a toujours des idées à prendre. Mais prendre des initiatives dans un pays qui compte quatre millions et demi d’habitants et qui a une proportion infime de sa population musulmane ne me semble pas pertinent. J’irais plus loin, toutes les tentatives de déradicalisation qui ont été faites ces dernières années dans l’Europe occidentale, à quelques exceptions près ne fonctionnent pas. Je pense qu’il faut les essayer au cas où mais à mon avis elles ne marchent pas. Sur ce sujet, on est en train de se bercer d’illusion avec ces méthodes de contre-radicalisation ou de déradicalisation quand les personnes reviennent. Il faut mettre l’accent sur le renseignement et le judiciaire, Il ne faut pas négliger la communication mais les phénomènes de déradicalisations sont un processus difficilement contrôlable. De la même façon qu’on n’a pas su empêcher des gens dans les années 30 de rejoindre la Cagoule et l’extrême droite, on n’a pas su empêcher des individus dans les années 50 et 60 de rejoindre l’idéologie communiste, aujourd’hui on ne sait pas empêcher un jeune de devenir islamiste et je crois qu’il n’y a pas de solution miracle. Quand une jeune a entre 18 et 25 ans et qu’il est en recherche d’idéal et d’action, il trouvera toujours une idéologie dans laquelle s’intégrer et on ne pourra pas lui barrer le chemin. L’histoire montre depuis le 11 septembre 2001 que des individus passés par des programmes de déradicalisation sont repassés à l’action ensuite.

Quelles sont malgré tout les marges de progression qui subsistent ? 

Il y a deux points sur lesquels la France peut encore s’améliorer. Tout d’abord la coordination des services est déjà très bonne mais elle n’est pas encore aussi optimale qu’elle pourrait l’être. Mais avant tout, la grande marge de progression c’est le changement de politique française. Le fait qu’aujourd’hui nous soutenions l’opposition à Bachar el Assad alors qu’elle est composée de Daech et d’Al Qaïda alors qu’en même temps on essaie de lutter contre ces mouvements-là, nous sommes dans une contradiction totale. Cette situation empêche nos services de sécurité d’établir des relations avec les services syriens pour avoir des informations sur nos ressortissants qui sont partis faire le djihad. Le fait que nous continuons d’avoir des relations diplomatiques normales avec l’Arabie Saoudite et le Qatar entre aussi en contradiction avec la logique de lutte contre le terrorisme. Et si nous n’étions pas intervenus en Libye, nous n’aurions pas provoqué le chaos avec des groupes terroristes qui s’entrainent au Sahel. Selon moi notre politique créé les problèmes dans lesquels nous sommes et représente la plus grande marge de progression de la France en matière de lutte contre le terrorisme.

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