Menu sans porc à l'école : ce que le vieux fond de culture chrétienne de la France pourrait apprendre aux obsédés de la laïcité et du multiculturalisme<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen a annoncé son intention de ne plus "accepter aucune exigence religieuse" dans les cantines scolaires.
Marine Le Pen a annoncé son intention de ne plus "accepter aucune exigence religieuse" dans les cantines scolaires.
©Reuters

Obsessions laïques

Marine Le Pen a annoncé son intention de ne plus "accepter aucune exigence religieuse" dans les cantines scolaires, en vertu du sacro-saint principe de laïcité. S'il peut paraître important de rappeler que le porc n'est interdit nulle part (ou presque), il convient également de préciser que l'interdiction de la pratique d'un aspect d'une religion quelle qu'elle soit ne relève pas de la laïcité.

Jean-Sébastien Philippart

Jean-Sébastien Philippart

Jean-Sébastien Philippart est philosophe. Il est Conférencier à l'Ecole Supérieure des Arts de Bruxelles. Il est également auteur pour la revue MondesFrancophones.com.

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Atlantico : "Nous n'accepterons aucune exigence religieuse dans les menus des écoles". Cette déclaration de Marine Le Pen relève-t-elle de la laïcité ? Ne faut-il pas plutôt y voir une obsession de la laïcité qui finit par lui être néfaste ?

Jean-Sébastien Philippart : Hors contexte, cette déclaration n’est pas déraisonnable. Le pari de la laïcité « à la française » consiste à croire que la raison et la volonté humaines sont capables de fonder le vivre-ensemble. Si l’Ecole républicaine reconnaît des interdits alimentaires alimentant la logique séparatiste du pur et de l’impur, elle faillit à sa mission qui est de voir en l’autre l’universel qui nous rassemble (ce que les Grecs appelaient le Logos) au-delà de nos particularismes. Précisons que cette vision formelle de l’élève ne fait pas de lui une abstraction telle un « numéro » puisqu’elle vise l’accès à l’autonomie, laquelle est aussi la liberté de pouvoir prendre du recul par rapport à sa communauté d’appartenance. Par contre, désigner systématiquement les musulmans comme à l’origine de toute menace relève bien de l’obsession.

>>> A lire également : Pourquoi la laïcité peut très bien survivre à des menus scolaires adaptés aux différentes religions

Le 11 avril 2011, Roland Ries, maire de Strasbourg déclarait : "Nous servons de la viande halal par respect pour la diversité, mais pas de poisson par respect pour la laïcité". Une fois encore, en quoi une telle déclaration est-elle censée servir la laïcité ?

Cette déclaration trahit bien la confusion entre deux modèles de laïcité. Alors que la version française vise à promouvoir ce qui réunit et fonde la multiplicité, la version anglo-saxonne promeut la multiplicité des identités. Cette déclaration pêche donc par ignorance de sa propre histoire et se croit malin de faire éclater la rupture avec l’Ancien Régime en une messe multiculturaliste.

>>> A lire également :Islam : pourquoi la laïcité nous empêche parfois de comprendre la signification de pratiques religieuses comme le Ramadan

Comment en arrive-t-on à proférer de telles absurdités au nom de la laïcité ? Entre obsession laïque et lubies multiculturelles y a-t-il un juste milieu ?

Le problème tient à l’élément formel de la laïcité (voir en l’autre l’universel) qui peut virer en formalisme, c’est-à-dire oublier qu’il s’incarne dans une histoire. La version française de la laïcité défend un universalisme qui ne tombe pas du ciel mais se tisse au cours d’une histoire où s’éprouvent et se remettent en question les valeurs (voir ici). Lorsqu’on se coupe de cette histoire ou tradition, il ne reste plus qu’un présent qui s’étale indéfiniment sans perspective. Plus rien de neuf ne peut arriver puisque rien ne s’éprouve plus eu égard à de l’ancien. Présent déprimé, haine de soi qui éclate dans le relativisme puisque la tradition ne sert plus de référence. Autrement dit, la laïcité incarnée doit passer par la reconnaissance d’une histoire ou d’une  culture communes dont l’identité demeure par définition ouverte car ouverte par un avenir. 

Quel type d'attitude la longue tradition chrétienne de la France devrait-elle inspirer sur cette question ?

Il y a évidemment beaucoup à dire sur la question. Pour m’en tenir à des généralités et ne pas rentrer dans la particularité française, disons que les réflexions de saint Augustin demeurent paradigmatiques de la situation européenne. En vertu de la ferme distinction entre la cité de Dieu et la cité terrestre qui ne se réduisent pas elles-mêmes ni à l’Église ni à telle ou telle cité, à suivre fidèlement saint Augustin, une confusion entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel est difficilement tenable. Les chrétiens qui ont combattu cette confusion à laquelle l’Église et le pouvoir laïque se sont laissés tenter ont été les « signes » de la cité de Dieu, aurait pu dire Augustin.

Comment la religion catholique est-elle parvenue à coexister de façon relativement apaisée avec la laïcité ? Cette voie est-elle une option pour les autres religions ?

Si l’Eglise a longtemps frayé avec le pouvoir (politique) du fait même de l’ambiguïté que revêt le terme « Royaume » (qui vient avec le Christ), disons que la Révolution l’a contrainte à méditer à nouveau l’Evangile : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Si un tel principe est grosso modo étranger à l’islam en tant que doctrine religieuse (pour reprendre l’exemple du début), le pari de la laïcité consiste aussi à croire que les hommes ne sont jamais faits d’un seul bloc et que la confrontation avec l’autre peut être source d’inspiration ou d’air frais. C’est la pratique de la laïcité, fidèle à elle-même, qui rend la religion compatible avec la dimension politique. Être confronté à la fidélité ne peut que vous inciter à avoir la foi.

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