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Menace de taux négatifs imposés par les banques : pourquoi les épargnants n’ont encore rien vu de ce qui pourrait les attendre
©Reuters

Grrrr

A force de baisser ses taux, la Banque Centrale Européenne pourrait donner le mauvais exemple aux banques. Un premier cas de taux négatif en Allemagne devrait pourtant alerter nos dirigeants.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Une banque allemande, la Raiffeisenbank, vient de mettre en place des taux négatifs pour ses épargnants excédant 100 000 euros. Son but est de compenser les marges que la BCE lui aurait grignotées en pratiquant des taux négatifs depuis deux ans. Cette pratique trouve-t-elle aujourd'hui ses limites ?

Mathieu Mucherie : Elle est gonflée, cette banque : elle doit sa survie à la BCE qui la biberonne matin midi et soir en matière de liquidité, elle reçoit des tonnes d’argent à travers le quantitative easing (qui par exemple selon les études de Wu à la FED sur le shadow policy rate correspond à l’équivalent d’une baisse des taux courts de 5% !), elle bénéficie de stress tests officiels aussi truqués qu’une partie de cartes dans un bar louche à Palerme, et pourtant elle n’est pas contente, à cause d’une taxation… de 0,25% !! Elle veut 100 balles, et un Milky Way en plus ?

C’est souvent le problème avec les gens de nos jours : ils veulent le beurre, l’argent du beurre, les faveurs de la crémière, mais aussi dans le même temps une absence totale de risque, une garantie contre la faillite, et un parachute doré au cas où. Un peu comme des anarchistes inscrits à la sécurité sociale, ou comme d’autres Allemands qui veulent sortir du nucléaire mais sans polluer tout le continent, ou comme des gens qui voudraient gagner une guerre mais sans la faire. Et plus c’est gros plus ça passe, alors pourquoi ne pas taxer davantage les clients (qui se font déjà facturer, pour le moindre prêt, 2 bons points de pourcentage au-dessus des conditions de financement à -0,4% au guichet de la BCE, dans un monde pourtant sans inflation) ?

Au passage, notons le caractère surréaliste du débat sur les taux directeurs nominaux, en pleine remontée des taux réels depuis quatre ans !

Alors oui, dans ce cadre d’exagération dans l’ingratitude et la duplicité, disons que la politique de taux court négatif rencontre des limites pratiques et politiques. Mais elle n’a jamais eu ma faveur, pour des raisons économiques : elle est destinée à diffracter le blâme, à faire croire (dans un monde d’illusion nominale crasse) que la BCE est accommodante et imaginative, là où elle est restrictive (cf l’inflation et les anticipations d’inflation, cf l’euro). Elle nous distrait, n’est pas du tout au niveau des enjeux de la reflation nécessaire, se heurte au QE pour perturber les (rares) évaluations, nous fait croire que la politique monétaire est une affaire de taux d’intérêt et non de base monétaire et dans une mesure moindre de taux de changes ; alors si en plus les banques allemandes râlent, s’en servent de bouc-émissaire et/ou ne jouent pas le jeu…

Si la BCE venait à ne plus baisser ses taux, que lui resterait-elle comme option ? Quels sont les jeux d'opposition politiques à de telles actions ? Quelles en sont les causes ? Celles-ci sont-elles rationnelles ?

Il lui resterait plein d’outils, plus puissants, plus efficaces, moins malsains, plus transparents, mais hélas peu en odeur de sainteté auprès des élites Bundesbank (qui à plus de 75% viennent du monde bancaire allemand, CQFD).

D’abord, plus de QE, beaucoup plus, et pas seulement passer de 80 à 90 milliards d’euros d’achats chaque mois, comme ce qui est dans le pipeline pour septembre. Ensuite, "mieux de QE" : plus de forward guidance, et pourquoi pas des achats d’actions. Mais surtout : un adossement de tous ces outils à un vrai objectif, un objectif explicite de PIB nominal (et à défaut un vrai objectif d’inflation, pas une intention genre "l’année prochaine on verra").

Si ça ne suffit pas, ce qui est hélas assez probable vues les pressions déflationnistes à l’œuvre depuis début 2008 dans une zone qui a attendu fin 2014 pour les constater timidement, il faudrait passer à l’artillerie lourde. Deux voies, aujourd’hui impensables et impensées en Allemagne : remise des dettes ou monnaie hélicoptère. Ces deux voies ne coûtent rien directement pour la Banque centrale : dans un régime de monnaie papier, et tant que les pressions déflationnistes font du scénario inflationniste une pure fiction, il ne coûte rien de cantonner plein de choses dans le bilan de la Banque centrale et il n’est pas trop dangereux de financer le consommateur ou le contribuable. La remise des dettes (achetées, logées dans un bilan BCE, puis annulées progressivement, ni vu ni connu) a ma préférence : c’est très chrétien, c’est logique (ne veut-on pas "faire revenir la confiance" ?), et je ne vois pas bien qui est lésé dans l’opération si on ne calibre pas trop mal les montants en jeu et la communication. C’est bien entendu anathème pour la BCE, qui n’a déjà pas supporté le moindre petit effort pour des dettes grecques manifestement exponentielles (donc insoutenables et injustes, sans compter l’effet domino), au prétexte toujours classique et hypocrite de l’aléa moral. Restent les hélicoptères, dont la plupart des modalités impliquent une collaboration avec les autorités budgétaires jugée impie par la BCE (la "fiscal dominance") et à dire vrai quelques libertés avec le Traité (pas les premières, pas les plus graves, et pour la survie même de la monnaie unique). On comprend l’hostilité de la BCE, elle ne veut pas se lier les mains, et puis pourquoi lutter contre une crise qui lui a tant rapporté avec des moyens qu’on pourrait un jour lui reprocher ; on la comprend moins bien chez les autres acteurs de l’économie.

Comment se fait-il en particulier que les banques (je généralise un peu…), qui ont beaucoup à gagner à l’éradication de cette crise de déflation (cf Japon), soient hostiles à toutes les idées de détente monétaire ? Qu’elles soient contre les taux négatifs, pourquoi pas, à la rigueur, bien qu’ils n’expliquent qu’à la marge la compression de leurs marges. Elles sont souvent sceptiques sur le QE, ce qui se comprend beaucoup moins. Elles pensent qu’elles vont financer la remise des dettes comme pour l’hypocrite "échange volontaire" sur la dette grecque en 2011, ce qui n’est pas du tout l’idée, c’est même tout le contraire. Et pour la monnaie hélico, là aussi elles appliquent un principe de précaution démesuré, un alea moral maximaliste ; OK cette voie les évacue du centre du grand jeu de la création monétaire, là où l’argent se gagne, mais c’est temporaire et pour la bonne cause.

Tout se passe comme si les banquiers avaient abandonné l’éthique conséquentialiste (fais ce que tu dois, payes-en le prix, et Dieu sera content) au profit d’une vague éthique déontologique new age (certains moyens sont interdits dès le départ en raison de leur toute-puissance un peu effrayante quand on a lu Minc et Attali au lieu de lire Friedman). Ils ne sont pas les seuls, c’est toute la société qui dérive ainsi depuis longtemps, toujours moins d’utilitarisme, toujours plus de discours sans actes. Mais tant que les banquiers ne changeront pas d’attitude, il sera difficile d’obtenir des choses sérieuses de la part de la BCE : pour cette dernière, les banques sont à la fois des clientes, des objets de supervision et de réglementation, des contreparties sur certains marchés, d’anciens ou de futurs employeurs, des canaux de transmission de la politique monétaire, et la liste s’allonge chaque année. Plus vite elles feront pression à Francfort dans le sens de leur intérêt de moyen-long terme (avec leur levier, il leur faut sortir à tout prix de la déflation !), qui se trouve ici coïncider avec l’intérêt général de la zone euro, mieux cela vaudra à mon avis, car les chances de voir les représentants élus exercer cette pression sont désormais bien minces ; ils se préoccupent d’autres sujets (les banquiers comprennent au moins confusément que ces sujets sont importants), ne s’accordent pas entre eux (alors qu’il existe une sorte de communauté bancaire), et quand parfois ils s’expriment, la BCE fait exprès d’aller dans l’autre sens pour marquer son indépendantisme (alors que la BCE écoute encore les banquiers, la preuve ce blocage sur des taux pourtant très faiblement négatifs).

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