Mélenchon acclamé à l'Essec : les leçons du cas Sanders pour l’élection française<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Mélenchon acclamé à l'Essec : les leçons du cas Sanders pour l’élection française
©REUTERS/Lucy Nicholson

De l'un naît l'autre ?

Aux Etats-Unis comme ailleurs, on observe une catégorie d'électeurs qui ne croit plus au système même si elle rejette par ailleurs les recettes populistes. Lors des primaires démocrates aux Etats-Unis, cet électorat s'était massivement déplacé pour voter Bernie Sanders.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

Voir la bio »

Atlantico : Quel était le profil sociologique de ces électeurs de la primaire démocrate ne croyant plus au système tout en rejetant par ailleurs les discours populistes ? En quoi se retrouvaient-ils dans le candidat Bernie Sanders ?

Jean-Eric Branaa : La campagne des primaires américaines a révélé qu’il y avait un problème profond dans la société américaine. La nature du problème n’est certainement pas encore totalement analysée : on a parlé des laissés pour compte de la mondialisation, des oubliés des partis politiques, de ceux qui n’ont pas su prendre le train du progrès et de la robotisation, des milieux ruraux et reculés qui s’opposeraient aux milieux urbains. Deux Amériques ont semblé peu à peu se dessiner et cela a lentement rendu crédible l’avance de Donald Trump, jusqu’à lui donner la victoire au final. On oublie pourtant un peu trop souvent qu’il y avait d’authentiques nuances dans ce portrait, voire des oppositions fortes.

Or, Bernie Sanders a représenté lui-aussi un catalyseur puissant de cette colère. Son attrait était même encore plus original : dès le mois de février, il a exercé une attraction puissante sur la jeunesse américaine, devenant le gourou de toute une génération, les moins de trente ans. Et puis, en sondant plus profondément cet électorat qui se tournait vers lui, on s’est rendu compte qu’il était aussi composé des plus âgés. D’ailleurs, la sociologie de cet électorat a laissé plus d’un analyste perplexe : aussi bien des hommes que des femmes, des ultra-libéraux, certes, mais aussi des électeurs qui avaient toujours été des modérés, des diplômés des plus grandes universités tout autant que des non-diplômés, des habitants des villes come ceux des zones rurales, et des Américains jaloux de leur droit à posséder une arme comme d’autres qui sont farouchement opposés à cette prérogative. Il était tout à la fois Trump et Clinton… mais en restant autre chose !

En gagnant dans le New Hampshire avec plus de vingt points d’avance devant Hillary Clinton, Bernie Sanders a démontré qu’il ne faut plus comprendre la politique américaine avec des schémas du passé et des analyses enseignées dans les écoles de sciences politiques : 83% des Démocrates de 18-29 ans ont voté pour lui ce jour-là contre 16% pour Hillary Clinton.

L’attrait du candidat est venu de son profil atypique : parce qu’il est hors norme, il a représenté, à 74 ans ( ! ), la nouveauté dans le paysage politique. Sa plus grande force a été de jouer la carte de l’authenticité. Il a d’ailleurs maintes fois répété qu’il ne cherchait pas à faire carrière et son âge a rendu crédible cette affirmation. Beaucoup d’électeurs éprouvaient un sentiment de rejet vis-à-vis de ce qu’ils perçoivent comme une caste composée d’élus, de journalistes, d’analystes politiques et d’universitaires, qui se permettent de décider à l’avance de l’issue des scrutins.

La différence avec Donald Trump est que ce dernier a capté plus fortement les classes moyennes inférieures blanches, celles qui se sentent en difficulté et qui sont sur le point de perdre leur emploi ou de finir à la rue. Ces gens ont voté pour Trump parce qu’il leur a donné l’impression d’être davantage à leurs côtés que tout autre candidat. Bernie Sanders a, au contraire, été le mégaphone du discours plus convenu aux Etats-Unis sur la protection des minorités : il faut aider les Afro-américains victimes de racisme, lutter contre le sexisme en promouvant les droits des femmes, etc. C’est un discours très puissant et qui fait écho pour beaucoup. Mais, en même temps, ils délaissent les populations en difficulté dans les régions désindustrialisées, plutôt blanches, qui se sentent abandonnées. Il y a cependant eu un point commun indéniable entre ces deux électorats, celui de Trump et celui de Sanders : la peur que ces électeurs ont ressentie pour leur emploi et la méfiance extrême pour le libre marché et les délocalisations.

Lors de la présidentielle américaine qui opposait Hillary Clinton à Donald Trump, ce même électorat ne s'est pas (ou peu) déplacé, ce qui a conduit à l'élection du candidat des Républicains.  Que pouvons-nous en conclure ? Pourquoi le report de voix ne s'est-il pas opéré ?

La proximité des électorats de Trump et de Sanders ne pouvait que donner un résultat inattendu. Le milliardaire américain a été élu par des électeurs qui étaient plus des fans que des citoyens choisissant un leader politique. La campagne s’est faite par un bouche-à-oreille puissant, des citoyens qui se sont engagés en faisant connaître leur choix et qui ont convaincu leur entourage. Rien de tout cela dans le camp démocrate. Hillary Clinton est devenue un produit dans les mains d’une colossale machine de communication. Cela n’avait donc rien à voir. Là où on trouvait une cinquantaine de consultants qui pesaient scrupuleusement chaque mot qu’elle prononçait, on avait ces deux hommes si inhabituels dans le paysage politique, Bernie Sanders et Donald Trump, qui improvisaient sans cesse, quitte à s’engouffrer dans des chemins qui se révélaient être des impasses. Mais qu’importe, ils faisaient marche arrière et recommençaient : au passage, ils avaient encore gagné en image de sincérité et de fraicheur.  La déprime s’est installée chez les électeurs d’Hillary alors que l’enthousiasme a toujours dominé, tant chez les soutiens de son adversaire de la primaire, que dans le camp de celui qui a été son opposant de la campagne.

L’antisystème est devenu la colonne vertébrale de ces deux camps, pourtant antinomiques, et a certainement précipité la chute de la candidate démocrate. Car l’extraordinaire parallèle entre les deux campagnes atypiques a peut-être rendu impossible la victoire d’Hillary Clinton : plutôt que de voter pour elle par défaut –plutôt que de voter pour Donald Trump–, il est fort possible que les soutiens de Bernie Sanders n’aient pas fait le déplacement.  Donald Trump en personne prétend que beaucoup d’électeurs de Bernie Sanders ont même directement voté pour lui. On peut toutefois douter de la réalité de cette transgression ultime : il ne faut pas oublier qu’il s’est ouvertement présenté comme étant un "socialiste",  ce qui, aux Etats-Unis, se traduit souvent par "communiste" et provoque un dégoût et un rejet dont les fondements se trouvent dans un passé  qui n’est pas très vieux : la période de la Guerre froide et de ses excès.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !